The Good Place est un vrai palimpseste. Non, je ne vais pas vous embêter avec Gérard Genette (avec qui ?!) mais avec Michael Schur et la meilleure série à l’antenne.
Qui est tout aussi intelligente que Genette. Mais bien, bien plus drôle.
Point de surprise, The Good Place est revenue sur Terre pour notre plus grand plaisir avec le début de sa troisième saison et c’est du grand art qui recommence. Elle sait se réinventer à chaque épisode et je pense n’avoir pas vu quelque chose d’aussi maîtrisé depuis .. [insérer ce que vous voulez comme ça, on ne se fâche pas] [moi, j’insère The Leftovers].
Réécrire pour avancer
Les prémisses de la saison nous ramènent donc sur Terre où notre quatuor n’est donc plus mort mais amnésique et tente, sous la houlette contrebandière de Michael et Janet, de se racheter afin de prétendre au vrai paradis. Et c’est brillant de simplicité et de continuité avec l’univers construit jusqu’ici. Pourtant, le challenge était de taille : comment se renouveler réellement après les possibilités incommensurables qu’offrait et donnait le show, entre ses reboots potentiels et son pouvoir de tordre la réalité ?
Par définition, un palimpseste est un manuscrit fait d’un parchemin déjà utilisé que les copistes médiévaux grattaient pour effacer les écritures et ainsi réécrire dessus un nouveau texte. Mais le premier ne disparaissait jamais. Vous voyez le rapport avec notre série télévisée ? J’y arrive.
De retour à la “normalité”, il faut trouver de quoi maintenir le cap pour la série sans être plan plan, avoir de quoi dire sans faire redite sur les personnages et leurs relations, surtout quand Michael et Janet cherchent à maintenir la configuration, sauf dans un autre espace-temps où ils n’ont plus prise. C’est là où le propos palimpseste de la série prend tout son sens et son génie : le démon et sa comparse ne sont plus maîtres de leur récit [1] et doivent composer avec celui de leurs ami.e.s. Ce ne sont plus eux qui réécrivent l’histoire mais le font avec le concours des quatre humains (et d’un invité aussi drôle qu’inattendu pour ma part).
Ils font genre(s)
Selon Gérard Genette (si, j’embête un peu avec pour avoir l’air intelligent), un palimpseste est l’ensemble des relations qui peuvent exister entre deux ou plusieurs textes, développant ainsi un monde partagé entre les différentes fictions. Il y définit six pratiques hypertextuelles : le pastiche, la citation, la parodie, la forgerie, l’ironie, la transposition et le travestissement. Je vais déjà beaucoup trop loin mais The Good Place mérite cette analyse, tellement elle est riche, surtout avec le début de sa troisième saison.
Par essence, l’épisode est un parchemin sur lequel on réécrit pour l’étendre, l’approfondir, continuer l’histoire. En cela, la série dans son ensemble tisse un lien continu mais continuellement changeant. En suivant notre groupe de six fous, The Good Place prend le risque de se redire, de se dédire, de nous perdre en chemin. Pourtant, elle dépasse cela en se parodiant elle-même, en jouant de sa structure (le reboot), de ses propres scènes (Eleanor qui nous rejoue la catastrophe du pilot dans le quatrième épisode ici), de sa propre mythologie (le triangle amoureux). En pastichant ses acteurs même : dans le double premier épisode, magistral, Tahani écrit un livre de développement personnel qui fait alors écho au travail de Jameela Jamil, l’interprète, et son mouvement “I Weigh”. Les showrunners se permettent de jouer de la popularité de la jeune femme pour faire rire sans ridiculiser : c’est simple mais brillant.
Et elle ne fait pas qu’écrire sur la réalité, elle reécrit sur le genre même de la série : par son postulat de départ, The Good Place est une comédie inclassable, à mi-chemin entre différents genres. Bien heureux celui qui arrive à la catégoriser tant elle fait constamment le grand écart entre la comédie de bandes de copains, rejouant les relations amoureuses compliquées et le choc des personnalités, à la comédie de bureau, que ce soit en Enfer avec Michael, ses ennemis, le juge ou sur Terre désormais avec l’étude médico-philosophique de Chidi. Tout cela inscrit en filigrane une comédie conceptuelle qui n’a de cesse d’utiliser les codes connus pour les déjouer.
SuperBoard ! SuperBoard !
Ce qu’installe le 3.04 - The Snowplow est d’autant plus intéressant qu’il met le concept dans la réalité, change toute la perception que l’on a des éléments surnaturels qui se dilue dans la réalité alors qu’auparavant, c’était l’inverse et ce qui faisait toute l’identité de la série.
Preuve en est : Eleanor cherche un travail parce qu’elle a déménagé en Australie pour Chidi, chose triviale pour Michael qui pense que cela interfère avec son petit jeu. En fond, The Good Place nous demande ce qui est le plus profitable à l’homme : être quelqu’un de bien envers soi-même et les autres ou “être quelqu’un”, reconnu par son travail, ses amis, etc. L’amitié, le Brain-y Bunch, est ce qui tient la série, son identité, depuis ses débuts et ce qui la rend unique. Le discours de Simone l’explicite enfin : ils sont eux-mêmes parce que c’est la première fois qu’ils appartiennent à un groupe qui les définit.
Là où l’on s’attendait, en ce début de saison, à ce qu’elle se concentre sur les retrouvailles entre Eleanor et Chidi, les scénaristes nous introduisent Simone, une neuro-chirurgienne qui entame une relation avec ce dernier. Loin d’en faire une antagoniste et Eleanor/Chidi une resucée des Will They/Won’t They, The Good Place, par l’intermédiaire de Janet dans le troisième épisode, nous dit tout simplement que c’est normal, certains reboots ne voient pas en ce couple des âmes sœurs et qu’il ne faut donc pas forcément attendre de la série une issue logique à leur relation. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup. Ça veut dire que l’on ne ferme pas une porte, loin de là, mais qu’on en ouvre d’autres. Il en est de même avec Tahani, Jason et Janet, le meilleur triangle amoureux du monde, qui se diversifie ici avec Larry, le quatrième Hemsworth. Et qu’est-ce que c’est drôle.
Oh et ce quatrième épisode se permet aussi la parodie discrète mais génialissime de Trial & Error avec un SuperBoard. J’ai beaucoup trop ri. Mais j’en avais encore assez pour Heir BnB. Et ma bouche est tombée sur la fin du dernier épisode, une fois de plus encore totalement osée.
Un palimpseste, c’est cet article que j’ai écrit bout par bout, effaçant, réécrivant les mêmes phrases pour qu’elles sonnent mieux afin de montrer un peu de mon immense amour pour The Good Place, pour sa saison 3, pour ses blagues à double sens, pour son tempo comique, pour ses ratures qui en font une des meilleures séries de tous les temps.
[1] On m’a fait très judicieusement remarqué sur Twitter que Michael agit comme un scénariste qui tente de façonner sa série, ses personnages et tente de maintenir les apparences et le contrôle en manipulant, tordant la réalité. C’est brillant.