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The Outs - Critique et bilan des épisodes de la websérie

The Outs (Bilan de la Mini-Série) : You’re gonna make it after all

Par Jéjé, le 24 janvier 2014
Par Jéjé
Publié le
24 janvier 2014
Saison 1
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Looking ne sera peut-être pas une grande série. Et si j’en juge par son premier épisode, j’ai bien peur que cette hypothèse ne se devienne assez vite une réalité. Je reste optimiste, mais même si c’était le cas, je conserverais toujours pour elle une certaine tendresse puisque c’est elle qui, indirectement, est à l’origine de ma découverte de The Outs, mon premier gros, que dis-je, mon premier é-no-rme enthousiasme de 2014 (même si la série date de 2012).

Qu’est-ce que c’est ?

C’est tout bonnement la meilleure série sur un groupe de jeunes gays urbains depuis le Queer As Folk de Russel T. Davies.

Maintenant que c’est dit, c’est plus facile d’annoncer que c’est également une web-série (je sais, ça fait peur).
Une web-série traditionnelle, dans le sens où elle n’a pas été financée à coups de millions de dollars par Netflix ou Amazon, mais par ses créateurs et producteurs au départ. Puis par deux campagnes "Kickstarter" pour un budget total correspondant à… 0,44% des fonds récoltés pour le film Veronica Mars.

Il n’empêche que The Outs n’a visuellement rien à envier à ses consœurs diffusées sur ce que les moins de vingt ans appellent des "chaînes de télévision" et qu’avec cette "petite" somme sept épisodes d’une longueur tout à fait honorables ont été produits (un premier de douze minutes, cinq autres d’environ 25 minutes et un épisode spécial de 42 minutes), tous visibles sur le site officiel de la série.

Je me rends bien compte que cette introduction pleine d’assertions rassurantes révèle surtout les préjugés négatifs et idiots que je pouvais avoir jusqu’ici pour cette forme nouvelle de télévision…

Ça parle de quoi ?

De deux hommes, Mitchell et Jack, dont le couple n’a pas tenu, et dont on suit les vies séparées dans Brooklyn, pour l’un aux côtés de sa meilleure amie, pour l’autre de son nouvel amant, nouvelles vies qui vont sans qu’ils ne s’en rendent compte les rapprocher.

C’est de/avec qui ?

Adam Goldman est le coeur de The Outs : il y joue Mitchell, il a réalisé l’ensemble des épisodes et les a co-écrits avec Sasha Winters, sa co-locataire de ses dernières années à Brooklyn et Oona, la "meilleure amie" de Mitchell dans la série.

Et c’est bien ?

Je l’ai déjà écrit plus haut, j’en remets une couche : c’est formidable.
En sept petits épisodes, The Outs parvient à créer des personnages, un ton, un univers qui marquent, qui sonnent juste et qu’on n’a pas envie de quitter. C’est bien simple, c’est la première fois depuis la première saison de Six Feet Under que je me suis refait une intégrale d’une série juste après avoir en vu le dernier épisode.

Le pilote est un modèle de mise en place. Douze minutes, montre en main, et Mitchell, Jack et Oona, les trois personnages principaux, sont installés avec précision. Uniquement en situations, sans recours à une voix-off facile ou à de longs dialogues explicatifs.
On les découvre certes dans des circonstances typiques de personnages gays urbains (le plan cul anonyme, la discussion féroce avec la meilleure amie, le blind date autour d’un verre…). Mais de petits événements et des répliques drôlatiques les transforment en scènes originales où se révèlent des aspects particuliers de personnages, loin de se définir uniquement par leur orientation sexuelle ou leur genre.
La révélation finale de l’épisode introduit finement l’argument général de The Outs avec un ton sérieux, presque tragique, complètement inattendu, qui tranche avec la légèreté des scènes précédentes.

Ces contrastes d’ambiance sont une des clés de la réussite de la narration, très structurée, très écrite. Les deux épisodes suivants reprennent l’organisation parallèle des intrigues avant qu’à partir du quatrième elles ne se rejoignent, dans le présent et dans le passé (oui, oui, The Outs, manie comme il faut l’art du retour en arrière et du flash-forward dans le flashback [1]). Mais, comme dans le deuxième épisode où on alterne entre la rencontre toute en émotion de Jack avec Paul et une fête burlesque et vaudevilesque dans laquelle errent Mitchell et Oona, on ne sent jamais aucune mécanique rigide dans l’écriture.
La sophistication narrative, au même titre que la précision des dialogues [2] ne sont en rien des vaines démonstrations de savoir-faire, ce sont des outils au service des personnages que l’on va pouvoir voir évoluer et mûrir dans ce format très condensé.

Ces personnages, parlons-en.
Ce sont donc, hormis Oona, tous des gays d’environ vingt-cinq ans. On peut compter avec Jack et Mitchell trois autres personnages masculins importants. Goldman et Winters composent des personnalités variées, en mélangeant quelques caractéristiques "gay" attendues (sens de la dérision, manières, attrait pour la télé-réalité…) avec d’autres traits de caractères plus particuliers.
Ces personnages sont beaucoup moins baroques ou extrêmes que ne l’étaient ceux de Queer As Folk. Le contexte a changé. Ils ne sont pas fades pour autant - touchants, drôles, perdus, déterminés sont les premiers qualificatifs qui me viennent à l’esprit - et surtout pas dé-gay-isés [3] Ils évoluent certes dans un quartier très protégé, à une époque de plus grande tolérance, dans une quasi indifférence de leur environnement proche. Ils n’en restent pas moins des précurseurs d’une vie amoureuse dont ils sont en train de créer les codes.
Je trouve très juste la description de la navigation des personnages entre l’aspiration à une vie avec un partenaire amoureux, sa recherche souvent fastidieuse, la préservation d’une relation naissante et l’assouvissement anonyme de pulsions sexuelles (facilité voire encouragé par la technologie et les réseaux sociaux). Il est très satisfaisant de voir que la représentation de relations sentimentales chez les gays peut dépasser l’invariable peur de l’engagement et l’avalanche immature de considérations autour de cette gigantesque étape qui consisterait à emménager avec son petit ami.
J’aime aussi énormément le fait qu’existe, en arrière-fond, derrière l’apparente détente dans laquelle se nouent les relations gays, le spectre de l’homophobie. Ses conséquences quasi inconscientes sur la façon de vivre sa vie, particulièrement à l’époque de découverte sentimentale dans laquelle sont les personnages, sont formidablement évoquées dans un monologue exceptionnel de Scroffy dans le deuxième épisode.

Mais ce qui me plaît le plus dans The Outs, c’est que le mythe des gays qui ne savent pas grandir soit dynamité et que l’on puisse voir ces personnages et leur relations changer sans que rien n’apparaisse forcé.
On perçoit l’influence sur eux de configurations nouvelles de vie, on voit les sentiments se transformer, les rapports se resserrer, les amitiés se fragiliser, leurs personnalités s’épanouir.
Pour une si série courte, c’est un tour de force assez ahurissant.

Et j’en oublierai presque de dire que The Outs peut être d’une drôlerie phénoménale.
Et qu’elle réussit parfaitement le passage obligé de la special guest star [4].

The Outs est la série que je n’attendais plus, n’attendez pas pour la découvrir.

Jéjé
P.S. Allez, je me jette immédiatement sur Whatever This Is, la nouvelle série de Adam Goldman.
Notes

[1Ceux qui ont vu/verront l’épisode 5 me comprennent/comprendront !

[2J’adore l’utilisation des petits surnoms amoureux, du ’Hey Bitch’ entre Mitchell et Jack qui sonne de façon toujours différente selon les étapes de leur relation au ’Hey, Mister’ entre Scroffy et Jack, qui lui répond à la fin de la série.

[3Néologisme personel qui désigne ces personnages périphériques dans les séries, homosexuels sur le papier mais écrits comme des hétérosexuels.

[4Moi aussi, "je l’adore dans Nashville"…