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Nico & Recreation - La voix off-dans les séries, un truc d’escroc (sauf si vous êtes un très bon escroc)

N°2: Quand les Séries Entendent des Voix

Par Nico, le 21 septembre 2015
Par Nico
Publié le
21 septembre 2015
Saison Promenade
Episode Promenade
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Trop souvent, la voix off, c’est l’arme ultime du scénariste feignasse incapable de faire preuve d’imagination pour donner vie à son univers. Parfois, pourtant, il y a quelques bonnes surprises. Reste à savoir pourquoi.

Je fais partie de ceux qui pensent qu’on ne dira jamais assez de bien de la saison 1 de Jane The Virgin.

Avec son pilote, qui slalome avec virtuosité entre les multiples pièges de son argument de départ [1] pour poser des personnages crédibles, décalés mais intelligents.

Avec ses arcs narratifs qui comptent plus de rebondissements qu’une soirée « Elastique, Trampoline & Taser ». Avec sa réappropriation des codes de la Telenovela qui rappelle que c’est en respectant les règles d’un genre que l’on peut se montrer le plus créatif.

Et avec sa voix off, qui joue sur la connivence et se cale complètement dans l’univers de la série.

Mine de rien, c’est énorme. Parce que la voix off, vraiment, c’est un truc de feignasse. Et c’est surtout quelque chose qui, je trouve, n’est pas franchement adapté à l’univers des séries.

Dexter et la fausse-bonne idée par excellence

Utiliser cet artifice pour un film sur 90, 120 ou 180 minutes, pourquoi pas. Ça ne marche pas à chaque fois mais ça peut fonctionner.

Dans une série, une bonne idée de narration va devoir affronter le temps. L’usure. Et c’est loin, très loin de marcher à tous les coups. Prenons l’exemple de Dexter. [2]

Si la saison 1 fonctionne très bien, c’est parce que la voix off nourrit intelligemment le décalage entre ce que le monde voit du héros et la façon dont lui voit le monde. C’est particulièrement saisissant dans les scènes avec Rita, globalement très réussies.

Le problème, c’est que la série, c’est un univers où l’on raconte l’évolution de personnages confrontés à un monde lui-même en mouvement. Et que dans Dexter, l’univers fait semblant d’évoluer. La conclusion de la saison 2, une bonne partie de la saison 3 et tout ce qui se passe après la saison 4 le rappellent de manière très, très pénible.

Le constat devient sans appel : lorsqu’une série n’a plus rien à dire, [3] sa voix off vous le susurre à l’oreille épisode après épisode.

Quand Jane The Virgin regarde chez les Bluth

Est-ce que ça veut dire que le narrateur de Jane The Virgin va inéluctablement sortir de telles platitudes que la vente de perceuses et le nombre de « malencontreux accidents domestiques » vont décoller ? Pas forcément.

En tout cas pas si Jennie Snyder Urman et les scénaristes de Jeanne la Vierge gardent bien à l’esprit à quoi sert une voix off. Comme l’équipe d’Arrested Development.

J’aimerais bien vous dire le contraire, mais le parallèle n’est pas de moi. La première à avoir établi la comparaison, c’est Sonia Saraiya dans un article de Salon, paru l’automne dernier.

Alors que les aventures de Jane ne font que débuter, Saraiya explique que le rôle du narrateur de la série de la CW, c’est de fluidifier le récit (bonne idée : on est dans l’adaptation d’un mélodrame sud-américain) et surtout, poser une tonalité.
Exactement ce que fait Ron Howard dans les aventures de la famille Bluth.

Est-ce que le monument de Mitchell Hurwitz a absolument besoin de son narrateur pour fonctionner ? Non. Mais sa capacité à orienter, à développer un contexte au sens le plus large du terme, fait que la voix off donne du relief à l’atmosphère développée dans la série.

Quelque part, elle explique les choses, mais ce n’est pas que pour ça que ça marche.

C’est surtout une pièce parmi d’autres dans un puzzle où tout s’emboite vraiment. Avec les histoires, le montage et la réalisation. Tout ça pour cadrer le regard [4], fixer l’attention sur une ou plusieurs informations.

Le constat est le même pour Jane The Virgin, qui utilise également l’insert de textes en plus de la voix off. Et c’est encore plus vrai pour Mr. Robot.

Même si, là aussi, les limites de l’exercice sont bien visibles.

Mr. Robot : Voix Off, Risques On

C’est évident : Sam Esmail, le créateur de la série d’USA Network, a vraiment mûri l’usage qu’il fait de la voix off. La narration d’Elliott s’articule très adroitement avec la mise en images et le choix des cadres. Un peu comme dans Dexter, elle assigne une place à part au téléspectateur. Cette fois cependant, plus ce dernier avance et plus il questionne ce qu’il voit.

Extrêmement ludique, tortueux aussi, ce procédé va devoir lui aussi affronter l’épreuve de la durée. Les scénaristes ne devront pas non plus céder à un excès de gourmandise en misant trop sur les fausses pistes [5].

Le risque est gros : si le jeu autour de ce qu’Elliott et le téléspectateur perçoivent devient trop important dans le récit, il peut gravement déséquilibrer l’ensemble. Et Mr. Robot perdra son attrait.

Le danger est peut-être déjà là, d’ailleurs. S’ils ont un côté très sombre, s’ils sont haletants, les dix premiers épisodes de Mr. Robot mettent parfois à mal la puissante dimension politique du show.

J’ai un souvenir assez fort d’une scène du pilote, dans le métro. Mr Robot explique à Elliott que dans notre société, les problèmes ne surviennent pas lorsque l’on ne respecte la loi pas mais lorsque l’on ne respecte pas la loi et qu’on se fait prendre. [6]

Je ne suis pas complètement convaincu que la suite décline aussi fortement cette idée. La dimension "thriller" (portée par Elliott) me paraît prendre une place grandissante au détriment du côté politique, plus ou moins refilé à Angela. Le résultat est moins probant. Plus nébuleux, aussi.

Au final, dans une série où elle est utilisée avec intelligence, la voix off est sans doute le premier indicateur de la qualité d’ensemble d’un projet. Si son intérêt plonge, c’est l’ensemble, en proie à d’autres failles potentielles, qui menace de s’écrouler.

Ce que Sam Esmail ferait bien de ne pas oublier.

Nico
Notes

[1Une vierge qui tombe enceinte accidentellement : c’est le moment de faire votre rentrée… 2014.

[2Dont la fiche pErDUSienne a considérablement changé. Si, si.

[3Ce qui est le cas de plusieurs saisons de Scrubs, alors que la narration de JD participe au succès, au départ.

[4Au sens premier, "offrir un cadre".

[5Et je n’ose même pas imaginer un "Nan, mais tout ça, c’était dans sa tête. Il a tout imaginé en regardant une boule à neige".

[6Un peu comme un scénariste de série qui utilise la narration en voix off : vous avez tout compris.