ALAIN CLERT — ‘‘La situation de la fiction télé française ? C’est pathétique !’’
« Rani », dernière née des productions Son & Lumière, débarque dès le 14 décembre sur France 2.
Par Nicolas Robert • 18 décembre 2011
A l’occasion de la diffusion de la mini-série "Rani" dès le 14 décembre sur France 2, rencontre avec le Président Directeur Général de Son & Lumière, la société de production derrière "Engrenages".

On est allé le voir pour parler de son dernier gros projet, « Rani »... et on n’a pas été déçu. Alain Clert, l’âme de Son & Lumière, société de production à qui l’on doit « Engrenages », « Avocats et associés » ou encore « Sur le fil », a défendu la mini-série qui revisite l’Inde du XVIIIe siècle et arrive mi-décembre sur les écrans de France 2. Mais il s’est aussi librement confié sur le contexte de production des séries françaises...

Le Village : Comment est né le projet « Rani » ?

Alain Clert : D’une envie de proposer quelque chose qui tournerait autour de l’Inde du XVIIIe siècle. C’est la période que je préfère et je dois dire que c’est un pays qui m’a toujours fait rêver. J’en ai parlé avec Jean Van Hamme, le scénariste (par ailleurs créateur de la BD « Largo Winch », NDLR), qui le connaissait beaucoup mieux que moi. Depuis « Les Steenfort, maîtres de l’orge », on rêvait de retravailler ensemble. J’ai tendance à penser que plus un scénariste a du talent, plus il est ouvert à la
discussion et Jean est un monsieur d’une grande humilité. Un peu plus tard, on s’est lancé en proposant l’idée à France 2. Au final, c’était compliqué et passionnant à mettre en œuvre.

Si vous deviez décrire cette fiction, vous diriez quoi ?

Que ce sont les aventures d’une jeune française dans l’Inde du XVIIIe. Que nous avons voulu faire de la télé d’aujourd’hui, influencée par ce qui se fait en Europe du Nord. Avec un rythme soutenu, un montage nerveux, des dialogues rythmé et une musique ample... Et c’est aussi une série qui s’adresse aux 12 à 77 ans pour laquelle nous avons voulu récréer les décors de l’époque.

Le tournage en Inde a dû être un sacré pari...

Tourner dans des décors naturels, c’est quelque chose de très inhabituel là-bas, et on a dû chercher les lieux de tournage nous-mêmes parce que les habitants du coin n’ont pas de sens des époques. Et en plus il fallait trouver des endroits pas trop bruyants pour y parvenir. Il a fallu quatre ans pour arriver au terme de cette aventure : on fait un métier qui demande beaucoup d’enthousiasme et un peu d’inconscience aussi.

Et... c’était facile à vendre à France 2 ?

En général, le mot “innovant” fait peur aux chaînes. Nous, on a voulu proposer une série avec une une femme d’aujourd’hui, avec des mœurs très libérées pour l’époque [1]. Il a été question de faire de la série une saga de l’été mais ce ne me semblait pas judicieux. Après, il y a eu du changement de l’organigramme de France 2 : la directrice financière a apprécié le projet et a accepté d’en faire quelque chose de haut de gamme. On espère maintenant le vendre à la BBC.

La diffusion en fin d’année vous inspire-t-elle un commentaire particulier ?

Au départ, je n’étais pas forcément convaincu que ce soit le meilleur moment mais on n’arrête pas de me dire que c’est le cas ! On sent que la chaîne est derrière nous en tout cas, notamment pour ce qui est de la communication autour de cette fiction. Si « Rani » marche bien, ça pourrait nous donner davantage de crédibilité pour porter d’autres projets de ce type... »

JPEG - 62.4 ko
"Rani" s’affiche dans le métro parisien
Photo : France 2

Quel est votre regard sur la production de séries françaises au début de cette nouvelle décennie ?

C’est pathétique. Aux International Emmy Awards cette année, « Engrenages » était la seule série représentant la France pendant que le Brésil était présent dans toutes les catégories, et que le Japon ou encore la Russie étaient également très présents. Ce que je trouve hallucinant, c’est qu’il y a encore beaucoup de snobisme en France pour ce genre de productions. On pense encore que le cinéma c’est bien et que la télé, c’est nul. Et on voit bien que les diffuseurs ne veulent plus prendre de risques. Tout ça sans compter les changements de politique réguliers du côté du service public. Aujourd’hui, on essaie de rattraper le temps perdu dans un univers où il faut déjà aller très vite...

A vous entendre, c’est dur de faire bouger les lignes...

C’est très dur de faire des séries en France, parce qu’il faut que les diffuseurs acceptent l’idée de se planter. Il faudrait être prêt à tourner des pilotes, tester des choses, quitte à ce que ce soit un échec. Aujourd’hui, ce n’est pas la logique en vigueur. Et à côté de ça, un créneau de diffusion de plusieurs séries de 52 minutes comme l’était le vendredi soir sur France 2 est maintenant mort.

Bonjour la déprime !

Il va pourtant falloir s’y mettre... ou disparaître. Pour « Rani », on n’a pas eu de mal à “vendre” le scénario aux acteurs sollicités parce qu’on a voulu proposer des personnages attachants et différents. Dans notre pays, on développe trop de personnages grisâtres, sans véritable particularité. Ou alors on les enferme là-dedans. Avec ceux de « Avocats & Associés » par exemple, on a voulu casser ça. Et on doit continuer, parce qu’on vit dans une société passionnante, où tout bouge sur tout les plans. C’est une complète révolution où tout va très vite et il y a des choses à faire en termes de fictions. Il y a par exemple quelque chose de fort à raconter sur la génération des trentenaires, qui se marie mais sait que ça peut ne pas durer toute la vie, qui sait qu’elle va peut-être changer de boulot..."

La suite, pour Son & Lumière, c’est quoi ?

C’est un pilote pour France 3 avec Jacques Santamaria [2]. C’est le projet de remake d’« Engrenages » avec BBC America. C’est aussi le développement de coproductions avec les Britanniques, pour une série en anglais tournée en France... C’est compliqué mais on va y arriver ! Une télévision mondiale est en train de naître et il y a aussi un modèle européen à faire connaître. Dans le Nord du continent, les Danois, avec « The Killing » et « Borgen », proposent des fictions où ce sont les inter-relations entre les personnages qui font tout l’intérêt du projet : la France doit apporter quelque chose à cela.

Propos recueillis par Nicolas Robert.

Lire notre critique :
AVANT-PREMIERE — Rani, épisodes 1 à 3

Post Scriptum

« Rani »
8x52’ - 2011 - Une production Son & Lumière, France Télévisions et Arte France.
Écrit par Jean Van Hamme
Réalisé par Arnaud Sélignac
Avec Mylène Jampanoï, Jean-Hugues Anglade, Yaël Abecassis, Doudou Masta, Olivier Sitruk, Gabriella Wright

Diffusion sur France 2 à partir du 14 décembre à 20h35.