LE QUINZO — 3.21 : Bref, c’est l’avant-dernier Quinzo
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay & Nicolas Robert • 16 juillet 2012
Le Quinzo, saison 3, épisode 21. Cette quinzaine, Nicolas revient sur la fin de "Bref" ; Dominique pleure les Pierre Mondy et consorts enfermés dans des productions loin de leur talent ; quant à Sullivan, il pointe l’importance du facteur cool.

Bref. C’était finement joué ?

Par Nicolas Robert.

La semaine dernière, il était difficile de passer à côté. Comme il était difficile de louper le phénomène tout au long de l’année. Jeudi, Canal + a diffusé les deux derniers épisodes de « Bref », son programme court phare.

Une sortie en grande pompe, ponctuée par deux derniers épisodes réussis (« Bref. Lui, c’est Kheiron » et « Bref ») qui m’ont fait prendre conscience d’une chose. Cette shortcom, c’est la parfaite partie de poker. Menée avec ce qu’il faut de bluff et de maîtrise pour ramasser la mise.

Pour moi, « Bref » est un peu un des chaînons manquants de la fiction française. Porté par des ambitions sensiblement différentes des autres shortcoms, le programme court de Kyan Khojandi, Bruno Muschio et Harry Tordjman aura joué avec l’ambiguïté jusqu’au bout. Celle d’une fiction qui n’est pas tout à fait une série, qui ne se revendique pas vraiment comme telle [1] mais qui a constamment joué au jeu du chat et de la souris avec le format sériel. Et c’est ce qui fait toute sa singularité.

A la base, on a un projet malin sur la forme (une narration en Voix Off qui colle à un récit syncopé), qu’il est facile de s’approprier (il n’y a qu’à voir les brouettes de parodies que le programme a générées) et qui colle adroitement aux contraintes de diffusion (pas plus de deux minutes par épisode, pour une diffusion bordéli… française).
Mais on a aussi et surtout un programme qui, sur le fond, n’a eu de cesse de regarder vers le monde des séries pour dynamiser son contenu.

D’abord en se débrouillant pour jouer sur la dynamique de la structure modulaire chère aux grands dramas américains (un grand nombre d’épisodes s’inscrivent par exemple dans l’arc qui lie “Je”, le héros, à “Cette fille”, celle qui lui plaît, et Marla, son “Plan cul ++”). Mais aussi en se permettant des ruptures de ton régulières.
Certaines sont parfois douces-amères (« Je suis vieille », « Je suis un plan cul régulier »). D’autres sont carrément sombres (la tétralogie « Je suis allé à une soirée déguisée », jolie performance narrative qui joue sur un effet Rashomon) et offrent aux auteurs le luxe de ne pas être drôles.

C’est clairement en jouant sur cette dimension transgressive de la “fiction qui est un programme court mais voit plus loin” [2] que « Bref » a construit sa particularité… et a peut-être trouvé ses limites aux yeux de ses propres créateurs.

J’entends tout à fait l’argument qui est de dire “ce que nous voulions, c’est surprendre et prendre du plaisir” et qui a conduit les auteurs à boucler la boucle en 82 épisodes. Mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est peut-être leur envie d’histoire, leur appétit de narration qui a soufflé à Khojandi, Muschio et Tordjman l’idée de mettre un terme à l’aventure sous cette forme, structurellement limitée [3].

L’exploration du quotidien d’un trentenaire et de ses tracas aura donné du matériel de choix au développement de « Bref ». Mais finalement, dans la seconde session de 40 épisodes, c’est quand “Je” devenait un personnage à part entière, différent de nous, qu’il était le plus intéressant.
C’est pourquoi j’ai l’impression que toute l’aventure de « Bref » aura été l’exploitation dynamique d’un format pour faire émerger des personnages mais aussi un univers plutôt riche… et exploitable dans un autre [4]. Au cinéma, peut-être (c’est ce que laisse présupposer le dernier épisode). Mais aussi sur un plus petit écran.

Personnellement, je pense que l’option deux lui conviendrait bien mieux. Avant la bande de « Bref », les créateurs de « Kaamelott » et du « Visiteur du futur » ont choisi de sortir du cadre format court pour étancher la soif d’histoires du public. C’était une excellente idée et c’est possible.

Reste à savoir si les créateurs du programme en ont envie. Ou s’ils préfèrent définitivement le poker.

Mondy, Rochefort, et tant d’autres

Par Dominique Montay.

A Comic Con Paris 2012, vous l’aviez tous remarqué, Alexandre Astier était en Master Class. Et si je ne suis pas en position de vénération absolue pour le monsieur (juste admiratif de ses qualités de touche-à-tout), un élément de son allocution m’a particulièrement touché.

D’abord parce que j’étais à 100% d’accord avec lui (ce qui n’est pas tout le temps le cas, loin de là). Ensuite parce que j’ai senti, dans sa voix, autre chose que ce mélange impressionnant de sens de la comédie et de l’improvisation. Il y avait à ce moment là, une sincérité profonde, touchante. Ce moment, c’est quand il a parlé de Pierre Mondy.

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Pierre Mondy
Bien plus qu’un Cordier.

Alexandre Astier se souvenait d’un jour de tournage où, comme à son habitude, il avait donné les textes aux comédiens le matin même. Même à Mondy, qui devait déclamer 4 pages de monologue en plan-séquence. Le réalisateur, conscient de lui demander l’impossible, se rétracta. C’est à l’insistance de Mondy qu’il tourna quand même la scène. 2 prises, toutes à la virgule près.
Cette anecdote, pleine de respect pour l’acteur de 82 ans, s’est transformée en une attaque envers TF1, qui a gâché pendant 20 ans le talent de Mondy en lui faisant jouer « Les Cordiers ».

Sur le fond, je suis en accord total avec Astier. De façon plus générale, chez nous c’est historique, on gâche continuellement le talent de nos « vieux » comédiens. A moins de s’appeler Jean-Louis Trintignan, les exemples sont légions.

Il existe chez nous une étonnante tradition de jeunisme dans les comédiens. Il faut toujours des nouveaux talents, mêmes s’ils en sont dénués (heureusement, ce n’est pas le cas de la majorité). Pour un pays fortement ancré dans ses traditions, avec un aussi fort sens de l’histoire (à la limite de devenir un pays-musée), c’est assez surprenant.

On traite mal nos « anciens ».

Je suis très triste à l’idée de me dire que, pour mon fils de 5 ans et demi, Jean Rochefort sera ce vieux monsieur étrange qui répète sans arrêt « à ma guise », et pas cet acteur formidable, le plus anglo-saxon des comédien français, qui était incroyable de charme et de drôlerie chez Yves Robert, ou chez Patrice Leconte.

Évidemment, il y en aura toujours pour se dire qu’un rôle pépère pour finir sa carrière, c’est pas mal. Pas trop épuisant, bien rémunéré. Mais j’ai envie de croire que s’ils tombent dans ces projets là, c’est parce qu’on ne leur propose pas non plus d’autres projets plus intéressants, plus emballants.

A force de se dire que Pierre Mondy était « has-been », tout à été fait pour qu’il le devienne aux yeux des gens. Alors qu’il est avant tout un grand comédien, doublé d’un professionnel remarquable

En espérant que la génération de créateurs-exécutifs émergente sera moins sectaire que celle d’avant. Qu’on fasse tourner nos anciens. Qu’on profite du meilleur d’eux, de leur vivant, au lieu de se rappeler de leur immense talent le jour de leur Grand Départ.

Retrouver le facteur cool

Par Sullivan Le Postec.

S’il y a eu un certain nombre de succès notables et encourageants, ne serait-ce que parce qu’ils ont mis du baume au cœur à tout le monde, la ribambelle d’échecs qu’a encore connu cette année la fiction de France Télévisions est assez impressionnante — et elle l’est particulièrement quand on considère sa diversité.

Il y a sans doute une version cynique qui consiste à dire que tout ce qui est planté était mauvais, mais en vérité on sait tous que c’est faux, non ? Surtout que parmi les plus gros succès récents, il y a « La Smala s’en Mêle », qui ne compte pas vraiment parmi les plus grandes réussites de la télé française, à moins de considérer ce que TF1 diffuse le lundi soir comme le pinacle de la comédie.
Du coté des échecs, on retrouve bien des séries ratées à la « Rani » et quelques wagons de téléfilms unitaires sans intérêt. Mais on compte aussi le génial « Les Robins des Pauvres », une « Nouvelle Blanche Neige » fun, fraîche et divertissante, ou encore les familles contemporaines de « Clash », entre autres productions qu’on peut considérer, à des degrés divers, comme des réussites artistiques qui n’ont pas ‘‘rencontré leur public’’.

Depuis qu’on est rentré, en 2007, dans cette fameuse crise de la fiction françâââise, évoquée en long en large et en travers au fil des cinq années du Village (la crise d’audience étant alors venue entériner la crise artistique, sur laquelle certains avaient depuis longtemps tenté d’attirer l’attention sans succès) on a beaucoup parlé, sans doute à juste titre, des problèmes de qualité de nos séries. C’est vrai, à force que nos diffuseurs se complaisent dans la satisfaction des chiffres d’audience des années 90 et de la première moitié des années 2000, et s’en servent de prétexte pour ne plus innover, la fiction française avait sérieusement décroché.

Néanmoins, cette liste disparate, pour ne pas dire passablement incohérente, d’échecs est un indice qui pointe vers une autre réalité. Le cas de Canal+ apporte d’autres indices : la chaîne a fait un succès d’audience de sa plus mauvaise Création Originale depuis ses débuts dans la série en 2005, la première saison de « Maison Close ». Comment se fait-il qu’une bonne fiction de France Télé puisse faire un four, et qu’un navet estampillé Canal puisse réunir massivement les abonnés ?
La réponse est assez simple. Une série Canal, c’est cool. Alors qu’une série France Télé, c’est vraiment, vraiment pas cool. (Notez mon sens diplomatique de l’understatement.)

En clair : la crise de la fiction française est un problème d’image au moins autant qu’un problème de qualité. Parce que le facteur cool de la série Canal n’était pas inné. La chaîne crypté a travaillé des années pour l’acquérir.

Si on regarde les deux gros succès séries de la saison passée, à savoir la nouveauté « Les Hommes de l’Ombre » et le succès installé « Fais pas ci, Fais pas ça », on se rend compte de manière assez évidente que ce sont deux séries qui ont réussi à installer une ‘‘marque’’, indépendamment du reste de la fiction France Télé.
« Les Hommes de l’Ombre », parce que c’était la bonne série, programmée juste au bon moment, et que des projections stratégiques (et les réseaux de Dan Franck ?) ont permis à la série de sortir des médias spécialisés à la Télé Quelque Chose, pour gagner les pages de journaux plus respectables et prescripteurs.
« Fais pas ci, Fais pas ça », c’est un cas encore plus spectaculaire de marque qui s’est construite toute seule, par le bouche à oreille et les rediffusions de la première saison sur France 4. C’est une très jolie, et remarquable histoire. Mais autant voir la vérité en face : ça n’arrive pas tous les jours.

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"Rani" s’affiche dans le métro parisien
Photo : France 2

France Télévisions ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion, sérieuse et poussée, sur le marketing de ses séries. Surtout quand on sent poindre une tendance à se décharger de la promo sur les producteurs, voire sur les créatifs. Les impliquer créativement, y compris très en amont de la diffusion, c’est une très bonne chose. Leur refiler lâchement la patate chaude, c’est aller dans le mur : ce n’est pas leur métier, ils n’ont pas les moyens, et il faut que la chaîne joue son rôle d’éditeur avec une stratégie globale.

Les équipes de communication internes de France Télévisions sont bonnes quand il s’agit de s’adresser aux journalistes, au moins aux journalistes des médias institutionnels (même si la qualité des dossiers de presse, parfois exceptionnelle, est bien trop variable pour que cela ne trahisse pas la réalité de l’intérêt de la chaîne pour chaque programme).

En revanche, pour ce qui est de s’adresser au public, le bilan est quasi-totalement catastrophique. Des codes élémentaires de marketing ne sont pas maîtrisés.
Réfléchissez : à part « Fais pas ci... » vous connaissez un seul logo de fiction France Télé ? Non ? Normal ! Ils sont quasi-systématiquement escamotés ou déformés (typographies ou couleurs ne sont jamais respectés) sur les visuels édités par le groupe. Et le résultat esthétique est au minimum daté, voire carrément disgracieux. Il y a certains 4x3 que j’ai vus dans le métro parisien dont je me demande sérieusement s’ils ne sont pas contre-productifs. Quelque chose d’aussi bête que la diffusion de photos promos n’est pas du tout géré correctement. On peut d’ailleurs évoquer au passage les ‘‘précédemment dans’’ conçus par les équipes de France Télé. Ceux d’« Inquisitio » rejoignent ceux du « Village Français » au Panthéon de la ringardise. Tout téléspectateur de moins de quarante ans normalement constitué est pratiquement obligé de zapper devant ces horreurs ! Il suffit pourtant de regarder « Plus Belle la Vie » pour trouver des résumés qui n’ont pas l’air d’avoir été montés en 1992 — et force est de constater que ces rappels efficaces ne font pas fuir un public âgé.

Le facteur cool est indispensable pour que les séries françaises reviennent en grâce. Il ne dépend en rien de la qualité des productions. Ce serait dommage de l’oublier, au risque d’enterrer des pépites qui auraient mérité l’attention du plus grand nombre.

Dernière mise à jour
le 16 juillet 2012 à 18h43

Notes

[1Je n’y étais pas mais lors de la table ronde consacrée aux formats courts lors du festival Séries Mania, on m’a rapporté que Khojandi et Muschio se considéraient comme flattés lorsque l’on parlait de « Bref » comme d’une série.

[2A ce sujet, je vous conseille un article de Damien Leblanc sur Fluctuat : je ne suis pas toujours complètement d’accord… mais ça vaut le détour

[3C’est ça ou mon envie irrépressible d’histoires qui ressort…

[4D’ailleurs, il est intéressant de noter que, pour expliquer leur décision, les trois créateurs de la shortcom affirment qu’ils ne veulent pas « faire la saison de trop » comme beaucoup de séries qu’ils ont aimées.