WHO BY THE MOFF — Les épisodes de Doctor Who signés Moffat à la loupe
Un coup d’œil vers le passé pour mieux anticiper le futur.
Par Sullivan Le Postec • 13 janvier 2010
Alors que s’approche la découverte du « Doctor Who » de Steven Moffat, retour sur ses épisodes écrits sous l’ère Russell T Davies, pour mieux y déceler les traces du futur...

Steven Moffat l’a suffisamment répété, il serait faux (et potentiellement dangereux vis à vis des attentes déçues que cela pourrait créer) de s’attendre à ce que les épisodes écrits par Steven Moffat pendant l’ère Davies (quatre histoires, dont deux racontées sur un double épisode) préfigurent totalement le « Doctor Who » qu’il signera.

C’est que, très clairement, Moffat était engagé par Davies pour signer l’épisode qui sort du lot, celui qui marque par son caractère inhabituel. Mais aussi, bien souvent, l’épisode qui fiche vraiment la frousse. Par définition, tous les épisodes ne peuvent pas être hors-normes sans quoi une série n’a plus de cadre et cesse d’exister. Et si tous les épisodes se révélaient à l’avenir aussi terrifiants qu’un « Blink », une génération de britanniques sacrément perturbés risque de voir le jour.

Pour autant, quelques grandes tendances peuvent sans doute être tirées de ses épisodes qui reviendront sans doute un jour ou l’autre alors qu’il prend la barre de la série (selon les rumeurs, la BBC l’a fait signer, ainsi que Matt Smith, pour cinq ans). Après un petit aide mémoire sur les épisodes écrits par Steven Moffat, nous essaierons de pointer quelques-unes de ces caractéristiques de l’écriture de Steven Moffat.

SAISON 1 :
« The Empty Child » / « The Doctor Dances »

Le Docteur et Rose, à bord du Tardis, traquent à travers le temps et l’espace un engin spatial qui se crashe à Londres pendant la Seconde Guerre Mondiale, alors que la capitale est touchée régulièrement par des bombardements allemand. Rose et le Docteur arrivent un mois après l’objet qu’ils poursuivaient. Un garçonnet vide, dont le visage est un masque à gaz, hante la ville à la recherche de sa maman. Rose fait la connaissance du Capitaine Jack, un ancien Time Agent, travaillant maintenant en freelance et qui, la prenant elle-même pour une Time Agent, entreprend de lui vendre la localisation de l’engin extraterrestre crashé, en le faisant passer pour un vaisseau de valeur...

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La première histoire signée par Steven Moffat apparaît comme la plus classique, maintenant que l’on connaît les suivantes. Au sein de la première saison, cet épisode tranchait cependant en cela qu’il est le seul à installer une ambiance véritablement angoissante et effrayante, à laquelle viennent s’ajouter quelques moments horrifiques avec les scènes de transformation (qui donnèrent lieu à quelques discussions au moment de la création de la version finale : l’effet sonore d’os qui craquent fut supprimé lors de la diffusion sur BBC1, mais intégré dans la version DVD.
C’est aussi l’histoire la plus intégrée à la mythologie de la saison. Moffat introduit ici le personnage de Jack Harkness (ainsi qu’une back-story jamais exploitée, au moins à ce jour : un passé au sein de la Time Agency, qu’il a quittée après qu’elle lui ait effacé trois ans de sa mémoire). Surtout il développe la tension sexuelle entre le Docteur et Rose, par le biais de la présence du personnage hyper-sexué de Jack. La métaphore du Docteur qui réapprend à "danser" est transparente : il s’agit surtout de réapprendre les jeux de l’amour et du sexe. La faction de gardiens du temple qui détestent la sexualisation du personnage du Docteur dans la nouvelle série et ont poussé un ouf de soulagement au départ de Davies ont très certainement eu tord !
Mais ce double épisode comporte aussi de nombreux éléments constitutifs de l’univers de Moffat : l’ambiance effrayante, l’imagerie gothique, le voyage dans le temps et ses paradoxes, mais aussi le méchant doté d’une phrase décalée et énigmatique (ici l’iconique “Are you my mummy ?”)... C’est surtout une histoire rudement bien écrite !

SAISON 2 :
« The Girl in the Fireplace »

Le Docteur, Rose et Mickey arrivent dans un vaisseau spatial en perdition 3000 ans dans le futur. Celui-ci comporte d’innombrables portes temporelles à différents moments de la vie de Madame de Pompadour. En les explorant, le Docteur devient un personnage récurrent dans la vie de celle-ci. Elle tombe amoureuse de lui. Et réciproquement.
Mais le Docteur doit la défendre contre les droïdes responsables de cette situation, qui attendent l’âge de pleine maturité du cerveau de Madame de Pompadour pour en faire la pièce détachée qui finalisera la réparation de leur vaisseau...

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Chef d’œuvre immédiat, « The Girl in the Fireplace » montre Steven Moffat pleinement décidé à exploiter ses obsessions personnelles. C’est un cas rare d’épisode se passant à deux époques, qu’il entrecroise en outre constamment, consacrant sa fascination pour les concepts du voyage dans le temps, qui n’intéressent guère Russell T Davies.
Comme le Docteur, on ne peut s’empêcher de tomber presque littéralement amoureux de Madame de Pompadour en l’espace de 42 minutes. C’est plus “un truc” qu’une réalité, et on est loin de la profondeur des meilleurs personnages Daviesien, mais c’est drôlement bien fait ! On retrouve par ailleurs une imagerie spectaculaire et originale.

SAISON 3 :
« Blink »

Alors qu’elle explore une maison abandonnée, Sally Sparrow découvre un message à son intention sous la tapisserie ! Sa meilleure amie, qui l’accompagne, disparaît bientôt, propulsée des décennies plus tôt par des statues qui sont en fait des extraterrestres connus sous le nom d’Anges Pleureurs. Ils ont envoyés le Docteur et Martha sans le Tardis dans les années 60, et le Docteur communique depuis cette époque avec Sally pour qu’elle puisse amener le vaisseau jusqu’à eux. Pour ce faire, il emploie notamment un moyen original : un message contenu dans un bonus caché dans chacun des DVDs de la collection personnelle de Sally Sparrow !...

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Sans aucun doute l’épisode le plus terrifiant de « Doctor Who », qui joue à fond sur les ambiances nocturnes et l’imagerie gothique.
A l’époque de la saison 3, Steven Moffat était bien occupé : il signe les six épisodes de « Jekyll » cette année-là. Il déclina donc la proposition de Davies d’écrire un double épisode sur les Daleks, puis celle d’écrire un épisode du début de la saison. Il accepta finalement d’écrire l’épisode de l’année tourné avec une présence minimale des acteurs principaux — un principe institué en saison 2, rendu nécessaire par l’ajout au programme d’un 14e épisode, le spécial de Noël, à tourner avec le même nombre de semaines de tournage allouées à une saison qu’avant. Pour aller plus vite, il recycle une idée d’histoire courte écrite quelques années plus tôt pour le Doctor Who Annual 2006, “What I Did On My Christmas Holidays by Sally Sparrow”, à laquelle il rajoute un antagoniste fort, les terrifiants Weeping Angels. « Blink », c’est un scénario vraiment très astucieux, qui s’amuse à nouveau beaucoup avec les paradoxes temporels (versions jeunes et âgées d’un même personnage rencontré à quelques minutes d’intervalle, la conversation par écran interposé), mais qui contient aussi juste ce qu’il faut de légèreté et d’humour (par exemple lorsque Sally réalise que son amie a profité de son voyage dans le temps pour retirer quelques années à son âge)...

SAISON 4 :
« Silence in the Library » / « Forest of the Dead »

Le Docteur est invité par le biais du papier psychique à visiter “The Library”, une planète-bibliothèque du futur. Il s’y rend donc avec Donna, pour découvrir que la Bibliothèque est en quarantaine depuis un siècle, après que tout ses usagers aient disparu mystérieusement.
Parallèlement, nous suivons une petite fille persuadée que la Bibliothèque est un monde imaginaire dans sa tête, mais qui voit celui-ci envahit par le Docteur et Donna ! Ceux-ci sont bientôt rejoints par d’autres envahisseurs : une équipe d’archéologues emmenés par celle qui a appelé le Docteur ici, River Song. Seul problème : son message est arrivé trop tôt. Elle connaît bien le Docteur, très bien même. Mais lui ne l’a encore jamais rencontrée ! Ensemble, ils vont devoir lutter contre les ombres affamées qui envahissent la Bibliothèque, tandis que le Docteur, souhaitant la protéger, enverra Donna malgré lui dans le même monde que les usagers disparus 100 ans plus tôt...

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Cette idée de bibliothèque fut pitchée par Steven Moffat à Russell T Davies au moment de trouver des histoires pour la saison 2. Comme il n’avait pas le temps d’écrire une histoire en deux parties cette année là il l’avait alors remise à plus tard. Quand vient le moment de l’écrire, Moffat savait officiellement depuis quelques semaines qu’il serait le prochain showrunner de « Doctor Who ». Ce double-épisode est donc, de façon assumée, une introduction à son run à venir. C’est le cas évidemment par le biais de la première apparition du personnage de River Song, qui sera forcément clef dans les années à venir.
Le scénario témoigne une fois de plus de l’intelligence de son auteur et est à nouveau bourré d’idées géniales, comme la manière dont la vie virtuelle de Donna est entrecoupée d’ellipses cinématographiques ou encore la trace de la conscience des défunts qui perdurent quelques instants dans le système de communication.
C’est aussi un vrai échange d’auteur à téléspectateur, une histoire sur la manière dont on écrit les histoires, et sur la manière dont le public les perçoit mais aussi une mise en appétit qui prend garde à ne pas trop en dire — pas de
spoilers. Un aspect qui inaugure sans doute une relation légèrement différente entre les fans et Moffat de ce qu’elle était avec Davies, volontairement très distant.

Mentionnons aussi, pour conclure ce passage en revue, « Time Crash », pastille de 8 minutes écrite pour Children in Need en 2007, qui confrontait le dixième Docteur au cinquième (Peter Davison). “You are my Doctor”, concluait 10 à l’adresse de 5, parlant aussi bien pour Tennant que pour Moffat. L’occasion de voir plus que jamais à quel point Steven Moffat est aussi avant-tout un fan de la série qu’il aime immensément, comme en témoigne d’ailleurs le retour du logo à un design proche de celui qu’il était à l’époque.

Les grandes tendances

Ce qui suit ne révèle rien qui ne soit pas montré dans la bande-annonce de la saison 5. Si vous avez évité de la voir en menant une courageuse politique anti-spoiler radicale, évitez donc de lire la suite de ce texte.

La sexualisation du Docteur

Je l’ai dit plus haut, ceux qui espéraient voir le Docteur en revenir au personnage asexué qu’il était dans l’ancienne série devront s’y faire : cela n’arrivera pas. Tout indique même que le run de Russell T Davies n’était à cet égard qu’un tour de chauffe. Nous avons en effet vu le Docteur tomber amoureux de Rose, mais cette relation a été interrompue avant sa résolution. Pour le reste, le Docteur s’est contenté d’embrasser les lèvres de la plupart de ses compagnes de voyage, la plupart des temps pour des motifs non-romantiques.
Steven Moffat, qui a écrit l’épisode qui ré-introduisait le Docteur à la sexualité et au sentiment amoureux, avant d’enchaîner sur un autre dans lequel il tombait amoureux, a abattu à cette égard sa dernière carte avec River Song. Qui doute encore qu’elle sera ni plus ni moins que la femme du Docteur ?

Le voyage dans le temps

Tous les épisodes de Moffat ont évoqué un aspect lié aux réalités concrètes du voyage dans le temps. Sans doute ne pourra-t-il pas amener à la série à un traitement du thème aussi réaliste et radical qu’une série adulte comme « Terminator, The Sarah Connor Chronicles ». Ce n’est pas une raison pour ne pas s’amuser avec cet aspect. Se limitera-t-il, sur ce sujet, à des traitements lors d’intrigues isolées et de la relation non-chronologique entre le Docteur et River Song, ou bien cet aspect sera-t-il amené au premier plan en l’incluant dans un arc de saison ?

Le gothique

Quand les premières photos de Matt Smith sont sorties, tout de noir vêtu devant le Tardis, on a pu se demander un temps s’il portait le costume de son personnage et s’il fallait vraiment s’attendre à un traitement entièrement gothique sur le plan visuel. Heureusement, le costume final a montré qu’une direction artistique plus mesurée avait été choisie et que « Doctor Who » ne va pas devenir un dérivé visuel de « Twilight ». Remarquez quand même que ce qui ressemble fort à des êtres humains aux canines hyper-développées apparaissent dans la bande-annonce. Sans compter que les Weeping Angels seront de retour. Par ailleurs, cette bande-annonce donne effectivement le sentiment de tons plus froids et bleutés, à l’image du nouveau logo.

Everybody lives !

Conséquence, sans doute, de l’univers sombre et horrifique qu’il met souvent en scène, Steven Moffat n,’a encore fait aucune victime dans « Doctor Who », alors que le ratio habituel est au moins de deux ou trois morts par épisode. Même dans « Forest of the dead » où il voulait montrer la mort de River Song, il en est venu à sauver sa conscience ainsi que celle des autres victimes de l’épisode, sur un disque dur.
Steven, il va falloir commencer à tuer du figurant, maintenant !

Le morceau de bravoure

Steven Moffat n’est pas en reste pour créer de grandes scènes visuelles qui resteront dans les mémoires des petits et grands enfants. Rappelons-nous de Rose pendue à un dirigeable par une corde au milieu d’un bombardement de Londres, ou encore du Docteur traversant un miroir à cheval pour atterrir dans une salle de bal de Versailles (séquence qui fut un cauchemar logistique et est passé à deux doigts d’être supprimée).
Mais Moffat est aussi capable d’inventer des séquences de cet ordre beaucoup plus intimistes, et c’est surement là la différence avec Davies. Pensez donc à l’attaque finale des statues sur le Tardis dans « Blink ».
Quoi qu’il en soit, « Doctor Who » va sans aucun doute continuer de repousser les limites de ce qu’on peut montrer avec un budget et des délais de télévision, particulièrement en Europe.

Le détail qui tue

Un script de Moffat, c’est aussi cette présence permanente du détail qui tue, c’est à dire de cette petite idée profondément originale, assurément géniale, qui montre que le scénariste a réellement pensé jusqu’au bout les implications de ce qu’il écrivait. Pensez aux droïdes de « The Girl in the Fireplace » qui cassent les horloges pour éviter que deux tic-tac se fassent entendre dans la pièce, ou à cet irrésistiblement attirant carnet dans lequel River Song note ses rencontres avec le Docteur, pour essayer de s’y retrouver...

River Song

River Song, justement, énorme originalité de son double épisode de la saison 4. Celui-ci met en scène ce qui est en même temps la première et la dernière rencontre de Song et du Docteur : c’est la première fois qu’il la voit, c’est la dernière fois qu’elle le voit. On sent déjà l’appétit goulu de Moffat à raconter cette histoire d’amour non-chronologique. Vu son appétit pour les paradoxes et leur résolution, on ne doute pas que juste après avoir signé Matt Smith, Moffat s’est félicité de ce que cela allait signifier mettre en scène la romance entre un Docteur d’apparence vingtenaire et une femme notablement plus âgée. Gageons aussi que ce qui a perturbé certains (River Song a reconnu le Docteur de Tennant et n’a pas réalisé qu’il était plus jeune que l’incarnation qu’elle-même connaît) sera réglé en deux secondes par Moffat. Après tout le Tardis ne pénètre-t-il pas le cerveau de tous ses passagers pour leur traduire toutes les langues de l’Univers ? Il sera sûrement facile pour lui de faire en sorte que River Song voie toujours le même visage, même en cas de régénération. Après tout, quelle femme aimerait que son mari rentre à la maison dans un corps entièrement différent ?
River Song est apparue dans deux épisodes et quelques images d’une bande-annonce, mais c’est pourtant déjà, sans aucun doute, l’événement le plus important du Whoniverse depuis le retour de la série sur les écrans en 2005. Et ce personnage a toutes les chances de nous accompagner pendant les années à venir.
Elle est aussi le signe de changements à venir dans la personnalité et l’environnement du Docteur... Spoilers !

Les gimmicks

C’est de toute évidence l’aspect le plus inquiétant de l’écriture de Steven Moffat. Celle-ci est remplie de gimmicks. Cela se remarque à peine au rythme d’un épisode par an, mais maintenant que cela sera six ou sept, sans compter les ré-écritures de scripts des autres...
Le méchant zombiesque qui vous pourchasse en répétant une phrase décalée (“Are you my mummy ?”, “You are not complete”, “Who turned off the light ?”), le son qui continue alors qu’il ne devrait pas (la bande enregistrée de l’empty child, le tic tac de l’horloge de la cheminée, deux scènes quasi identiques, et une variation visuelle dans le dernier opus : “vous avez dit qu’il y avait cinq survivants dans cette pièces, alors pourquoi sommes nous six ?”), le mot clef répété dix fois dans les dialogues (dance, blink, spoilers)... Si ces motifs reviennent trop souvent, ils deviendront vite aussi horripilants que les tics d’écriture de Russell T Davies...

Post Scriptum

Dans moins de trois mois, le new Who débarque à l’antenne de BBC1. Nous aurons alors l’occasion de voir si Steven Moffat se sera montré conforme à nos attentes. Pas besoin de vous dire qu’au Village, on meure d’impatience !...