CLASH — Saison 1
France 2 prend le risque du péril jeune
Par Sullivan Le Postec • 23 mai 2012
Des ados, et leurs parents, au centre d’une série de prime-time. C’est le pari, risqué, que fait France 2 en prime-time le mercredi soir. Verdict.

L’ado héros de prime-time, cela a commencé il y a plus de vingt ans aux États-Unis, avec l’arrivée en 1990 de « Beverly Hills 90210 » sur la Fox, nouveau Network qui n’avait alors que trois ans d’existence. « 90210 » allait ouvrir la voie à nombre d’autres teen-shows — dont beaucoup de bien meilleurs. Le modèle européen, c’est « Skins », lancé en janvier 2007. C’est l’un des premiers programmes phare, de E4, la petite sœur de Channel 4 sur la TNT britannique. En 2012, la France tente le coup, sur une chaîne historique, France 2. On sent poindre là une donnée importante du problème que « Clash » doit affronter.

Réunir les publics

On constate vite qu’ailleurs dans le monde, la série d’ados en soirée a quasi toujours été le fait de chaînes émergentes — surtout si on considère celles qui ont rencontré leur public, les tentatives des Networks historiques américains d’investir le genre, de « My So-Called Life » à « Life as We Know It », s’étant toutes soldées par des échecs. Mais chez nous, perdure cette anomalie : la fiction de chaînes émergentes n’existe toujours pas. France 2 prend le risque de se lancer, quand bien même l’évidence aurait voulu que « Clash » soit une série de France 4.

Pour tenter de résoudre ce paradoxe, la série tente de décaler son regard, d’élargir son sujet pour qu’il devienne celui de la famille et des relations ados-parents. Mais ce sont bien les ados qui sont le cœur de ce projet : c’est eux qui sont amis et sont le lien entre les épisodes.
Dans l’écriture, la production et la réalisation, trouver l’équilibre pour tenter de ne pas ‘‘cliver’’, et de réunir toute la famille devant l’écran (ou plutôt devant les écrans : la télévision pour les uns, la catch-up pour les autres), a été le principal défi. En témoigne l’existence de deux génériques (celui fort réussi diffusé à Série Mania diffère de celui, plus banal et rétro, qui sera sur France 2), la suppression des pré-génériques (des séquences flash-forward qui ont été recyclées en promo pour le web), mais aussi des débats sur l’ordre des épisodes (celui qui était le premier au moment de notre visite sur le tournage sera finalement diffusé en deuxième). On le voit, la série a été l’objet de débat en coulisses, qui démontrent que la chaîne n’ignorait pas s’aventurer en terrain glissant. Les premiers chiffres d’audience tombés, il a fallu se rendre à l’évidence : ce risque était davantage suicidaire que courageux.

Chaque épisode est centré sur une famille en particulier, dans une structure dramaturgique qui évoque celle de « Skins ». Un format qui semble étrange en France, mais qui est très courant en Grande-Bretagne (il est idéal quand on produit seulement une poignée d’épisodes, de quatre à six annuels, comme c’est majoritairement le cas outre-Manche).
Mais il y a encore beaucoup à faire en France pour acclimater tout le monde, et le public en premier lieu, aux multiples formats possibles de la fiction sérielle.

En terme de ton, en revanche, on s’éloigne de « Skins » pour mieux tenter de se rapprocher de « Once & Again, deuxième chance », très jolie série de trois saisons diffusée sur ABC aux États-Unis et M6 en France, ou encore de « My So-Called Life / Angela, 15 ans » : plus subtil, plus humain et réaliste surtout.
Car si l’adjectif réaliste a souvent été accolé à « Skins », c’est un point de vue absurde. On pourrait dire que Skins est une série sur la manière dont les ados se fantasment eux-mêmes (les auteurs de l’atelier d’écriture qui mijote les intrigues sont des teenagers eux-mêmes, les scripts sont ensuite écrits par des scénaristes adultes confirmés, principalement Bryan Elsley). Alors « Clash » serait une série sur des adultes qui tenteraient tout à la fois de comprendre des ados qui leur semblent étrangers, et de tirer un bilan des modèles éducatifs post soixante-huitards.

JPEG - 77.3 ko

Une réussite contrastée

A l’image de « Skins », les épisodes portent le titre de leur protagoniste ado. Mais comme nous sommes en France, où tout doit être explicatif et surligné, est ajouté un sous-titre (« La maladie d’amour », « L’école des hommes »…).
Dans l’ensemble, la série est plutôt réussie : les personnages sont attachants et particulièrement bien distribués, en particulier du côté des ados. Le ton est assez juste, en dépit de petites lourdeurs. Parmi celles-ci, la répétition de titres musicaux, ici le « Walker » de Cascadeur rejoué trois ou quatre fois en contradiction totale avec un usage normal de la musique en fiction — ce n’est pas pour rien que la quasi-totalité des bonnes BO de séries sont thématiques : une musique y renvoie toujours au même personnage, à la même émotion. Là, on est dans le remplissage sonore, un défaut que l’on retrouvait déjà chez « Clara Sheller », d’ailleurs. La même musique utilisée pour illustrer des émotions complètement différentes finit par brouiller le ressenti du téléspectateur.
Dommage aussi qu’il faille attendre quatre épisodes pour avoir droit à la première des deux familles de classe moyenne ou modeste de la série. Les quatre autres appartiennent aux mêmes catégories socio-professionnelles triple plus qu’on retrouvait déjà dans « Des Soucis et des Hommes ».

Les voies des diffuseurs français étant impénétrables, France 2 a choisi de commencer la diffusion par le moins réussi de tous les épisodes. « Robin » repose sur un secret de famille qu’on devine tellement vite que le Robin en question semble particulièrement stupide de ne pas réussir à le percer. Au moment de la scène cathartique finale dans laquelle la vérité sort enfin, on a tellement dépassé le stade de l’agacement qu’elle ne déclenche pas du tout l’émotion. C’est d’autant plus vrai que le parcours du personnage est particulièrement outrancier, et paraîtra donc « cliché » (même si je déteste ce mot).
Le deuxième épisode, « Olivia », donnera une meilleure idée de la série. La situation décrite est très intéressante, et la relation mère-fille mise en scène se révèle touchante. Dommage que les enjeux stagnent un peu.

La deuxième soirée sera la meilleure. « Hugo » navigue à mon sens avec réussite entre comédie et émotion jusqu’à une conclusion qui m’a bouleversé : pour le coup, la volonté de montrer un moment cathartique réussit pleinement. Même émotion, mais une incompréhension encore plus grande dans la famille déchirée de « Dylan », lui aussi formidable.

La dernière soirée s’ouvrira sur un épisode très osé, « Cassius ». Malgré d’étranges zig-zag de tonalité, il fonctionne plutôt bien. Mais ce segment risque de prendre totalement à rebrousse-poil le public de France 2. (Voire provoquer la polémique.) Cette première saison se termine sur « Émilie », un épisode basé sur une très bonne situation sur le papier, mais qui ne réussit pas vraiment le passage à l’écran et se révèle finalement assez décevant. La faute, sans doute, au personnage de Mathilda May à la fois complètement outrancier dans son écriture et extrêmement fade dans son interprétation. Cet épisode a néanmoins le mérite de laisser plus de place au groupe et conclut donc plutôt bien cette première série d’épisodes. C’est tant mieux parce qu’à moins que France 2 réalise enfin que « Clash » est une série dont l’identité correspond à France 4, on voit mal comment il pourrait y en avoir d’autres. Et même là, il reste à prouver que le casting des personnages adultes, alignement inutile de vedettes, serait compatible avec une économie plus serrée.

Bandes-annonce

Post Scriptum

« Clash », saison 1
Une production Scarlett / Chic Films pour France 2.
Créé par Baya Kasmi et Pierre Linhart.
Écrit par : Baya Kasmi, Pierre Linhart, Jennifer Have et Catherine Hoffmann.
Réalisé par : Pascal Lahmani.
Produit par : Joey Faré et Marco Cherqui.
Avec : Simon Koukissa, Camille Claris, Thomas Solivérès, Thomas Silberstein, Zara Prassinot, Arthur Jacquin, Alysse Hallali, Cristiana Réali, Mathilda May, Catherine Mouchet, Serge Riaboukine, Claire Nebout, Jérôme Kircher, Eric Ruf, Michel Jonasz, Christine Citti, Laure Marsac, Eric Metayer, Jean-Pierre Lorit, Anne Charrier, Eriq Ebouanney.

A partir du mercredi 9 mai sur France 2 - 20h35.