EMPREINTES CRIMINELLES — Saison 1
Comment réinventer la fiction policière française ?
Par Sullivan Le Postec • 18 mars 2011
« Empreintes Criminelles » arrive le vendredi 25 mars sur France 2. Cette série nous propose de revenir aux origines de la police scientifique, popularisée par les Experts, dans le Paris des années 20.

Après un long moment dans les tiroirs de France Télévisions, « Empreintes Criminelles » arrive à l’antenne vendredi 25 mars à 20h35 sur France 2. Une diffusion qu’il ne faudra pas rater puisqu’à raison de trois épisodes par soirée, la première saison sera diffusée en deux semaines.

Le policier à la française

Le policier est un genre majeur de la fiction télévisée, probablement son genre principal en volume. Pas étonnant donc que la crise de la fiction française soit aussi largement une crise de la fiction policière. Pendant longtemps, la France a décliné le format inventé à TF1 dans la deuxième des moitiés des années 80 avec « Navarro ». La France étant la France, tant que cela marchait, personne ne s’est posé la question de ce qu’on mettrait à l’antenne après. Du coup, quand ces fictions sont mortes sur place, aux alentours de 2005-2006, il n’y avait pas grand-chose pour les remplacer.

France 2 avait bien un peu d’avance, elle qui avait lancé des polars de 52 mn dès la fin des années 90. Malheureusement, la nouvelle direction qui arrive alors à France Télévisions se désintéresse de ce format, et organise la mort à petits feu de ces séries, sans chercher à les renouveler.
Nous nous retrouvons donc aujourd’hui à devoir réinventer totalement la fiction policière hexagonale, en partant de zéro ou presque, tout cela alors que les formats américains, hyper-exposés, sont désormais la référence collective en la matière.

Tout cela avec une dose supplémentaire de paradoxe : la génération aujourd’hui aux manettes au sein des chaînes est largement composée d’amateurs de polars, ceux qui ont vu le genre gagner en respectabilité il y a trente ans – à l’image de ce qui s’est passé autour des séries depuis 10 ans. Sauf que la génération d’amateurs de série en question, grosso modo les moins de 30 – 35 ans, est justement une génération un peu fatiguée du polar, et qui recherche largement autre chose.
C’est clair la situation est compliquée. Elle a entraîné une série de réponses parfois franchement maladroites, au premier rang desquelles les copies de formats américains – de « RIS » à « Paris Enquêtes Criminelles », avec 10 mn de remplissage insérées dans les épisodes et deux à trois fois moins de budget que la version originale, diffusée aux mêmes horaires sur la même chaîne.

Un concept intelligent

Dans ce contexte, « Empreintes Criminelles » apparaît comme une des réponses les plus intelligentes conçue en France ces dernières années. En s’intéressant aux pionniers français des années 20, les ancêtres des Experts, la série prend en compte l’influence américaine. Mais, bien mieux que les traductions de scénarios des séries de TF1, elle arrive à imposer une véritable french touch, cohérente et intéressante, en tirant parti de la dose de glamour apporté par le Paris des années folles.

Dans le grenier du 36 quai des Orfèvres, une équipe expérimentale chargée de résoudre des affaires de meurtres au moyen de la science, est constituée dans le pilote. Dans chaque épisode, elle s’attaque en parallèle à deux enquêtes. Les briques posées sont bonnes. L’Univers de la série est attrayant. Les personnages sont bien caractérisés et bien interprétés. Pas sûr néanmoins que ces six épisodes exploitent pleinement ce potentiel – ce qui est en partie logique puisque tout a été écrit avant le tournage, ce qui interdit de rebondir sur les performances des acteurs. Il faudra attendre une éventuelle saison 2 pour cela. Certaines des enquêtes, particulièrement dans les deux premiers épisodes, donnent le sentiment d’être inutilement tarabiscotées, au détriment du développement des personnages. Puisqu’ils sont réussis et intrigants, c’est parfois un poil frustrant. D’autres épisodes développent des intrigues qui mettent davantage l’accent sur les questions fortes de l’époque, ce qui offre à la série une profondeur bienvenue qui manque aux deux premiers épisodes.
L’écriture est très efficace, tout en étant parfois un poil plus mécanique que fluide. A deux ou trois reprises, elle n’exploite pas pleinement son potentiel : le début du premier épisode, par exemple, et ses quinze minutes pour convaincre, aurait certainement pu donner lieu à un traitement plus excitant. J’ai aussi trouvé que la série me prenait quelque fois un peu trop par la main pour m’expliquer l’avancement des enquêtes... mais je ne supporte pas les « Experts » pour exactement la même raison. Vu le succès de la franchise amériaine, force est de reconnaître que je ne suis pas un échantillon de public très représentatif. A dire vrai, « Empreintes Criminelles » fait tout de même clairement plus confiance à l’intelligence de son spectateur que les divers « CSI ».

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Ce qui frappe aussi, c’est évidemment le soin apporté au visuel de la série. L’image a été travaillée, tant au tournage (éclairage, fumée) qu’en post-production (traitement des couleurs, intéressant mais qui aurait gagné à être un tout petit peu moins mono-chrome). La réalisation cherche à insuffler dynamisme et vigueur visuelle au résultat. Les moyens d’« Empreintes Criminelles » sont très loin de ceux de fiction américaine, et parfois le résultat s’en ressent, notamment parce que le montage ne dispose pas des multiples angles qui permettent le découpage hyper-dynamique des séries américaines. On notera quelques très belles transitions vers des flash-backs dans le premier épisode — le réalisateur Christian Bonnet nous a expliqué qu’il aurait aimé avoir les moyens d’en avoir plus.

« Empreintes Criminelles » tente donc le renouvellement de la fiction policière française avec un résultat très encourageant. C’est d’autant plus rageant de constater que le traitement de la série par le service programmation de France 2 ne témoigne pas d’une confiance folle. Il nous fait douter de la possibilité d’une saison 2 (alors même qu’une première version dialoguée de six nouveaux épisodes existe déjà). Le sort de la série dépend maintenant de ses résultats d’audience. Elle mériterait vraiment qu’on lui laisse l’occasion de se développer et de tenir toutes ses promesses...

Post Scriptum

« Empreintes Criminelles »
Saison 1, 6 épisodes. Une co-production MakingProd et Septembre Production pour France Télévisions.
Créée par Stéphane Drouet, Olivier Marvaud et Lionel Olenga d’après une idée originale de Stéphane Drouet.
Réalisation : Christian Bonnet. Scénarios : Olivier Marvaud, Lionel Olenga, Pascal Perbet, Nathalie Suhard, Soiliho Bodin, Nicolas Clément, Eric Eider, Odile Bouhier, Olivier Dujols et Grigori Mioche.
Distribution : Pierre Cassignard, Julie Debazac, Arnaud Binard, Alexandre Steiger, Hubert Benhamdine, Cassandre Vittu, Jacques Fontanel, Sören Prévost et Marion Creusvaux.