DOCTOR WHO — An Unearthly Child (épisodes 1 à 4, 1963)
Les origines du phénomène de la télévision britannique.
Par Sullivan Le Postec • 17 mai 2012
Retour sur les débuts de « Doctor Who », le tout premier sérial, composé de quatre épisodes, qui fêteront leur cinquantième anniversaire en novembre 2013. On y découvre le Docteur et ses trois premiers Compagnons.

A quelques jours de la Nuit « Doctor Who » sur France 4, Le Village vous propose de revenir aux origines. Les premiers pas du Docteur se sont faits via une aventure en quatre partie — en vérité, plutôt un segment prologue suivi d’une aventure en trois épisodes. Dans celle-ci, pas de menace extraterrestre : seulement un conflit entre des hommes préhistoriques qui ont perdu le savoir-faire du feu...

An Unearthly Child

Écrit par Anthony Coburn ; réalisé par Waris Hussein.
Première partie : An Unearthly Child. Les professeurs Ian Chesterton (incarné par William Russell) et Barbara Wright (Jacqueline Hill) discutent ensemble d’une de leurs élèves, la mystérieuse Susan Foreman (Carole Ann Ford), âgée de 15 ans. Celle-ci est brillante, corrigeant parfois les professeurs sur des notions d’histoire ou de physique. Mais elle est pourtant parfaitement ignorante d’autres sujets. Barbara a découvert qu’à l’adresse qui figure au secrétariat de l’école dans le dossier de Susan, il n’y a qu’un terrain vague. Un peu inquiets et surtout curieux, Ian et Barbara l’y suivent. Elle disparait dans une cabine de police, telle qu’on en trouvait couramment dans le Londres de 1963. Les deux professeurs voient bientôt apparaitre un autre personnage, un vieil homme. Ils arrivent à forcer leur passage et à entrer avec eux dans la cabine, qu’ils découvrent plus grande à l’intérieur. Susan leur explique qu’ils sont dans le Tardis, le vaisseau de son grand-père. Ils sont deux extraterrestres isolés de leur civilisation. Le Docteur refuse de laisser partir les deux professeurs, craignant qu’il ne les dénonce aux autorités. Incrédules, ils connaissent bientôt leur premier voyage dans le temps et dans l’espace...
Deuxième partie : The Cave of Skulls. Le Tardis s’est posé en 100 000 avant JC. Le Docteur et Susan, surpris, constatent qu’après les cinq derniers mois passés dans le Londres des années 60, le Tardis a gardé son apparence de Cabine de police. Dans la région, plusieurs tribus d’hommes préhistoriques sont en conflit depuis que l’homme qui avait appris à faire du feu est mort sans transmettre son savoir. L’une de ces tribus enlève le Docteur. Alors qu’ils essayent de lui venir en aide, Ian, Barbara et Susan sont aussi faits prisonniers. Ils sont enfermés dans une cave pleine de crânes humains qui ont été fracassés.
Troisième partie : The Forest of Fear. Le Docteur et ses trois compagnons parviennent à s’échapper grâce à une vieille femme qui veut empêcher le retour du feu. Ils s’enfuient jusqu’à une forêt, traqués par des membres de la tribu. Mais lorsque l’un de leurs poursuivants est blessé par un animal, Barbara et Ian insistent pour lui venir en aide, au grand dam du Docteur. Quand ils parviennent jusqu’au Tardis, celui-ci est encerclé par des hommes préhistoriques.
Quatrième partie : The Firemaker. Le Docteur et ses compagnons sont ramenés aux caves de la tribu. Ian leur enseigne comment faire du feu. En effrayant la tribu, ils parviennent à nouveau à s’échapper. Les hommes préhistoriques partent à nouveau à leur poursuite, mais arrivent seulement à temps pour voir le Tardis disparaître.

L’ébauche du Docteur

La différence entre le Docteur moderne et celui proposé par William Hartnell est ce qui frappe le plus lorsque l’on visionne ces tous premiers épisodes, qui ont lancé une série de bientôt 50 ans. Il y a bien peu de joie de vivre dans cette version-là du personnage. Il vit avec sa petite-fille Susan, entièrement coupé de sa civilisation. C’est pour elle qu’il a accepté de rester plusieurs mois au même endroit. Depuis cinq mois, Susan étudie dans un Lycée de Londres. Ce Docteur est reclus et caractériel, il n’aime pas beaucoup les humains, ni personne en général, et semble bien moins puissant que celui auquel nous sommes désormais accoutumé. Il est certain qu’on imagine mal le Docteur actuel ne pas voyager pendant cinq mois. Cela dit, cet arrêt est aussi justifié par le fait que le Tardis a besoin de réparation, une conséquence de sa rupture avec sa civilisation. A ce stade de la série, le Docteur n’a aucun contrôle de là où l’emmène le Tardis et doit déterminer par lui-même quand et où il se trouve.

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Cela aurait même pu être pire. Au départ, c’est une aventure titrée « The Giants », écrite par C. E. Webber, le coauteur de la Bible initiale de la série avec Donald Wilson et Sydney Newman. Mais la production n’était pas satisfaite du script, et doutait de sa faisabilité technique (il aurait fallu faire apparaître les personnages principaux minuscules). « The Giants » fut donc mis de côté, et ce qui devait être la deuxième aventure est devenu la première. Le scénariste Anthony Coburn a repris des éléments du prologue de C.E. Weber dans son premier script, mais a procédé à quelques changements, notamment le fait de rendre le Docteur moins désagréable et menaçant. C’est lui aussi qui eut l’idée de donner au vaisseau du Docteur l’apparence d’une cabine de police. Pour encore vingt ans, à chaque fois qu’elle utilise l’acronyme Tardis, la BBC verse d’ailleurs des royalties aux héritiers de Coburn.
Enfin, Coburn craignant de possibles sous-entendus, il insista pour faire de Susan la petite-fille du Docteur, et pas simplement une Compagne de voyage de 15 ans à laquelle il ne serait pas lié.

Un autre fait notable est que les deux premiers compagnons humains du Docteur, Ian et Barbara, sont emmenés par le Docteur à bord du Tardis contre leur volonté. C’est d’autant plus marquant qu’à cette époque, le Docteur ne contrôle pas les déplacements du tardis, et n’a donc pas véritablement la possibilité de les ramener chez eux. L’ambiance à bord du Tardis est donc sensiblement différente de celle que l’on connaît aujourd’hui. L’exploration des relations entre cet assemblage de personnages est d’ailleurs l’objet de la troisième aventure de la série : « The Edge of Destruction », dont les deux parties seront diffusées sur France 4 dans le cadre de la Nuit « Doctor Who » samedi 19 mai 2012.

Pour l’anecdote, le tout premier épisode a été tourné deux fois. La première, marqué par des incidents techniques, a finalement été écartée, ce qui donna l’occasion de faire quelques ajustements : par exemple, le premier Docteur était vêtu d’un costume cravate, au lieu de la tenue début du XXe siècle à laquelle nous sommes habitués.
La version originale a été exhumée pour une sortie VHS en 1990 et figure en bonus sur l’édition DVD britannique.

Modernité

Retourner à la source du phénomène culturel qu’est « Doctor Who » en revoyant la toute première aventure du Docteur, aujourd’hui connue sous le nom général de « An Unearthly Child », c’est réaliser que les différences entre la télévision britannique et la télévision française ne datent pas d’hier. Si les trois épisodes de l’aventure à proprement parlé, situé 100 000 ans avant JC, ne sont pas très réussis, le premier est un prologue formidable et une excellente introduction à la série.

Bien sûr l’épisode porte les marques des limitations de la télévision du début des années 60 dans sa réalisation (après quelques jours de répétition, les épisodes étaient filmés en une soirée, dans les conditions du direct) ou dans ses effets spéciaux. Reste qu’on est aussi marqué par ses signes de modernité. On n’a pas de mal à comprendre comment les images mystérieuses du générique, qui figuraient le déplacement du Tardis dans le vortex temporel, et son accompagnement sonore si intemporel qu’il a traversé cinquante ans sans grande modification, ont pu à jamais marquer les esprits des téléspectateurs en cet hiver 1963.
Le rythme de l’exposition — Ian et Barbara évoquent Susan dans une conversation entrecoupé de flash-backs vers ses diverses excentricités en classe — est plus dynamique et moderne que la plupart de la fiction télévisée française des années 90, où l’on n’aurait jamais imaginé faire de la SF !

Si un certain nombre d’éléments iconiques sont introduits, pour l’heure ce qui deviendra par la suite la mythologie de la série reste assez vague : la race du Docteur et de Susan n’est pas nommée, et il est suggéré qu’ils ont rompu tout lien avec eux. Le Docteur n’a pas encore son tournevis électronique, ni autre gadget.

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Les premiers pas de Ian et Barbara à bord du Tardis

Histoire

Conformément à sa mission initiale, la première aventure plonge les personnages dans l’histoire de la Terre. Les enjeux sont ceux de la Terre préhistorique, sans invasion extraterrestre ni aucune menace fantastique.

Néanmoins, cette toute première aventure laisse peut-être déjà entrevoir les raisons pour lesquelles cet aspect de la série n’a pas pris et a vite été abandonné. Autant la science-fiction s’accommode pas mal de la fantaisie, autant les prétentions historiques paraissent difficilement compatibles avec les conditions de production de l’époque.
Un groupe d’acteurs britanniques affublés de perruques approximatives et de peaux de bêtes synthétiques se font assez mal passer pour des hommes préhistoriques de 100 000 ans avant JC. Plus largement, la pertinence historique de cette histoire de tribus qui ont oublié comment faire du feu reste assez largement à démontrer, au-delà des nombreuses longueurs du récit.


Ces premiers épisodes de « Doctor Who » se composent d’un prologue formidable, introduction parfaite et étonnante de modernité à une série qui a traversé les décennies, et d’une aventure préhistorique malheureusement pas à la hauteur de cette introduction. Les bases sont là, néanmoins, et même clairement affirmées : a bien des égards, la structure de base de « Doctor Who » a moins évolué en cinquante ans que celle de « Chapeau Melon et Bottes de Cuir » dans ses premières saisons.

100 000 BC
Aux tous débuts de la série, il n’était pas d’usage de donner un titre commun aux différentes parties d’un serial. Ce n’est donc qu’ensuite qu’on a cherché à leur en donner un, rétroactivement. Le titre du premier épisode, « An Unearthly Child » s’est imposé pour désigner l’ensemble du serial. A l’époque, d’autres titres ont été utilisé, par les membres de la production pour désigner le serial, et sont parfois utilisés dans certaines ouvrages ou produits dérivés : principalement « The Tribe of Gum » et « 100 000 BC ».

Back to the beginning
Une histoire de 1988, « Remembrance of the Daleks », située dans l’avant-dernière saison avant l’arrêt de la série, ramène le Docteur sur les lieux de cette première aventure. Le septième Docteur et Ace se retrouvent en effet à nouveau à Coal Hill School, le lycée de Susan, au lendemain de son départ avec ses professeurs et le Docteur. Le livre sur la révolution française qu’elle avait posé sur une table s’y trouve d’ailleurs toujours. Les personnages reviennent aussi sur les lieux du terrain vague de Totters Lane où était stationné le Tardis. Cette histoire de l’époque où les Daleks étaient en guerre civile contient par ailleurs des références à d’autres aventures précédentes mettant en scène les ennemis mortels du Docteur.

Dernière mise à jour
le 17 mai 2012 à 06h31