CLARA SHELLER - 2.05 : Le Mystère du Catogan
En analyse
Par Sullivan Le Postec • 4 janvier 2009
Dans son meilleur épisode de la saison, « Clara Sheller » impressionne par une écriture inventive et audacieuse qui rend justice au potentiel de la série.

Episode concept, analyse de caractère d’une grande justesse et moment clé des révélations, cet épisode l’est tout à la fois. Et c’est particulièrement brillant.

Clara fait un rêve étrange dans lequel, après que JP ait tenté de leur imposer de porter un préservatif, elle met Gilles ‘‘enceint’’. Clara évoque le sujet auprès de son psy. Tout se passe bizarrement depuis qu’elle est rentrée de la campagne. Elle était alors passée chez JP, qui l’avait mise dehors en expliquant être avec Pascal. Chez elle, Gilles n’était pas là, n’arrivant que quelques heures plus tard en portant un nouveau blouson. C’est à cette période qu’elle a finalement décidé de ‘‘s’attaquer à la masse de névrose qui lui sert de personnalité’’, comme dit JP, en demandant conseil à Victoire pour se trouver un psy. En rentrant de sa première séance, elle avait annoncé sa démarche à Gilles. Et, pour la première fois depuis la campagne, ils avaient fait l’amour... avec un préservatif que Gilles lui a imposé. L’analyse de Clara l’amène maintenant à se demander si c’est vraiment d’avoir un enfant qui lui fait peur, ou bien le fait qu’avoir un enfant signifierait qu’elle n’en est plus un elle-même...
Giles voit sa propre psy à qui il confie son désarroi depuis que Clara est revenue de la campagne alors qu’il était dans les bras de JP. Maintenant, il se trouve obligé de faire ce qu’il a tant reproché à Clara et ses parents : mentir. Il lui confie aussi que la seule fois ces dernières semaines où il a fait l’amour à Clara, c’était juste après avoir vu JP et résisté difficilement à la tentation de coucher à nouveau avec lui. Depuis c’est arrivé. Gilles s’est même rendu chez JP avec des préservatifs dans la poche...
JP confie sa surprise à son propre thérapeute non-officiel, Joseph. La première fois que lui et Gilles ont couché ensemble, il a pensé à un accident. Mais maintenant... Celui-ci pousse JP a ne pas hésiter à tenter de réellement se lancer d’une histoire avec Gilles, même si cela fait peur à JP de piquer son mec à sa meilleure amie. ‘‘Elle l’a eu pendant trois ans, qu’est-ce qu’elle en a fait ?’’ l’interroge Joseph. Mais pour celui qui s’est sacrifié trois ans plus tôt pour le bonheur de son amie, il n’est pas facile d’être le salopard qui allait devoir couper le cordon du trio. Trois. Le chiffre de la tragédie.
En pleine séance, Clara rassemble soudain les pièces du puzzle, ce que son inconscient avait déjà fait au travers de son rêve. Le retour de week-end de Pascal et Denis qui empêchait de croire qu’il était celui qui se trouvait avec JP à son retour de la campagne. Le préservatif disparu dans sa chambre. JP et Gilles qui ne se regardent plus en sa présence. Clara fonce jusqu’au journal où elle interrompt JP en pleine conférence sur le budget. Elle lui pose directement la question : couche-t-il avec Gilles ? JP lui répond simplement : ‘‘oui’’.

Si la saison se résumait à un épisode

Le cliffhanger un tantinet facile de l’épisode précédent aurait pu conduire à un épisode à l’opposé total de celui-là. Quelque chose entre la comédie de Boulevard et l’explosion hystérique avec claquements de porte, cris, amants dans le placard et explications mélodramatiques. Cette partition-là, avec juste ce qu’il faut de décalage et de recul, a déjà été jouée, et fort bien, un peu plus tôt dans la saison et notamment dans le troisième épisode avec sa bataille de filles inscrite explicitement dans la tradition du soap opera grandiloquent. Avec ce cinquième épisode, Nicolas Mercier a donc l’intelligence de tenter autre chose, et même d’en prendre le contre-pied, établissant au passage l’élasticité de sa série.
L’épisode 3 de la première saison, « Etat Secret » était celui qui montrait l’étendue du potentiel de cette série attachante malgré ses défauts. Cette année, « Le mystère du catogan » remplit ce rôle, montrant à quel point « Clara Sheller » peut-être innovante dans son écriture et juste dans son traitement des personnages.

On voit plus que rarement dans la fiction française ce type d’épisode qui joue avec le format habituel de leur série pour proposer quelque chose de différent. A savoir, ici, l’entrecroisement des points de vue des personnages par le biais des confidences qu’ils font à leurs psys respectifs (Joseph jouant ce rôle pour JP) qui permet de donner un sens différent à certaines séquences selon le regard que l’on pose dessus.

Au-delà de la rupture dans la formule, l’intérêt de l’épisode est aussi qu’il éclaire de manière particulièrement intéressante les personnages, construisant des personnalités fictives qui apparaissent riches et complètes. Ce traitement amplifie notamment l’approfondissement du personnage de Gilles, commencé plus tôt dans la saison, et qui trouve une véritable cohérence.

Juke-box

Je n’ai pas encore évoqué la bande-son de la série dans ces critiques. Pour cette deuxième saison, elle a fait l’objet de beaucoup d’attention et d’investissement de la part de la production. L’un des défauts de la première saison étant en effet qu’une poignée de titres (« Again » d’Archive notamment) revenaient en boucle.
Le résultat me semble mitigé. Je suis loin d’être certain que le coté juke-box permanent soit le meilleur élément à reprendre aux séries américaines, à fortiori au moment ou chacun est en train de prendre conscience que cette tendance à ses limites, à l’exception de certaines séries spécifiques où cela fait sens – et où la programmation musicale est très réussie, « Cold Case » est l’exemple parfait.

En l’état, la seconde saison de « Clara Sheller » réunit quasiment les deux défauts. Quelques répétitions de morceaux donnent encore un coté légèrement cheap à la bande son (une large part des spectateurs a peine à croire que la musique a été un gros investissement cette saison) et les titres semblent à l’occasion un peu plaqués. A fortiori dans la mesure où le mixage sonore est pour le moins peu subtil.

Un an de plus

Une anecdote amusante pour conclure. Une voix-off de JP à la fin de l’épisode laisse entendre une coquille que la production aura laissée glisser lors des réécritures. A l’origine, deux ans devaient s’être écoulés entre la première et la seconde saison. Sauf que le désistement de Mélanie Doutey et le remplacement de l’ensemble de la distribution qui y fit suite conduisit à une année de retard dans les tournages, si bien que ces nouveaux épisodes arrivèrent finalement plus de trois ans après les premiers. Les épisodes ont été réécrits pour en tenir compte. Mais le correcteur a, sur l’ensemble des six épisodes, omis de remplacer un deux par un trois dans une voix-off de JP, quand il évoque leurs premières soirées en commun.

A l’issue de cet épisode, quasi-toutes les cartes sont sur la table, et Clara est en mesure de comprendre qu’elle a tout perdu. Effondrement ou nouveau départ, réponse dans le dernier épisode.