CHRISTOPHE JANIN - "On avait une totale liberté qui serait aujourd’hui totalement impensable." • Dossier 30DM
Par Dominique Montay • 9 décembre 2007
Christophe Janin a passé dix ans sous les ordres de Jean-Luc Delarue pour Réservoir Prod. La meilleure année qu’il a passé là-bas, c’est celle où il travaillait sur « Les 30 dernières minutes », c’est lui qui le dit, une expérience qu’il estime rare dans ce milieu, riche en liberté de ton.

Christophe, comment vous êtes-vous retrouvé sur « Les 30 dernières minutes » ?

A la base, je travaillais pour Réservoir Prod. Quand le projet est arrivé, la boîte de Jean-Luc Delarue existait depuis 3 ans environ. J’y travaillais en tant que Rédacteur en chef d’une émission en quotidienne sur France 2 dont je gérais les reportages. C’était mon boulot : j’étais journaliste reporter, mais très attiré par la fiction. On a tourné un court métrage avec Kad et Olivier pour la journée de la télé sur Canal+. A l’époque, Canal avait demandé à toutes les boîtes de production de Paris de proposer un petit programme court sur la télévision. Kad et Olivier, qui travaillaient aussi chez Réservoir, avaient écrits un scénario qu’ils m’ont demandé de réaliser parce que je m’entendais bien avec eux. Ca c’était bien passé, ça avait plu à tout le monde et ensuite est arrivé cette histoire des 30 dernières minutes et j’ai été rapidement intégré à la chose en interne.

Vous avez tout de suite adhéré au concept ?

En fait le concept venait un peu de moi. Pour expliquer, Delarue avait vendu une quotidienne à France 2 « C’est l’heure », qui passait à 19h et qui ne marchait pas du tout en terme d’audiences. Alors pour limiter la casse, ils l’ont amputé d’une demi heure. Et à l’époque, grâce à sa célébrité, Delarue protégeait très bien ses contrats, c’était donc un peu compliqué de lui supprimer cette demi-heure. France 2 lui a proposé une troisième partie de soirée « carte blanche » le samedi soir. Pendant plus d’un mois ils ont planché sur pleins d’idées différentes : des magazines, des émissions. Mais la contrainte, c’était de réutiliser les chroniqueurs qui étaient laissés sur la touche à cause de la demi-heure perdue, Kad et Olivier, Florian Gazan et Tania de Montaigne. Il y avait un budget très maigre de 300.000 francs et toutes leurs idées coûtaient trop cher. Plusieurs producteurs ont proposé des projets, en interne, à Kad et Olivier, mais ça ne plaisait à personne. Arrivé vers les vacances de Noël, il fallait impérativement proposer une émission. Donc je suis allé voir Kad et Olivier pour leur proposer l’idée d’un sitcom. A l’époque, ça n’était pas répandu en France. On avait eu « Magui », « Marc et Sophie », ce genre de choses. On savait aussi que Canal préparait « H », on sentait bien que c’était dans l’air du temps. On a donc discuté de ça avec Kad et Olivier à la Maison de la Radio. Au début ils étaient un peu réticents, ça fichait un peu la trouille, faut bien dire. Alors pour limiter les risques, au lieu de filmer en studio, on s’est dit qu’on allait filmer dans les bureaux de Réservoir Prod, qu’on allait raconter le quotidien d’une rédaction, avec une seule caméra, une équipe légère, et c’était parti ! Ils ont bien accroché à l’idée puis ils se la sont appropriée. Deux scénaristes sont arrivés, Frédéric le Bolloc’h et Hervé Eparvier et ils ont écrit un pilote, en quelques jours en plein mois de décembre. Après, tout s’est enchaîné très vite.

Vous aviez une bonne culture de sitcom étrangères avant de vous lancer ?

On n’avait pas énormément de visibilité sur les Sitcom étrangères, à l’époque. On regardait beaucoup « Friends », ça s’arrêtait là. On appelait notre série sitcom, mais une sitcom, c’est filmé en public, avec plusieurs caméra, un ou deux décors max... nous on filmait plus un sketch géant de 26 minutes. Au départ, on avait des codes très précis, mais très rapidement, avec l’apport de l’univers délirant de Kad et Olivier, on s’en est très vite éloigné pour arriver à un monde absurde dans lequel on avait totale liberté. On avait plus une culture de comédie, de rythme de l’humour, qu’une culture sitcom à proprement parler. De plus, nos référence, plus que les séries, venaient du cinéma, qu’on parodiait très souvent, et qui inspirait notre façon d’écrire ou de filmer.

Est-ce que justement, avec cette logique de filmer des intérieurs et extérieurs différents, un peu comme un film, le manque de budget n’a pas été un frein à vos ambitions ?

C’était souvent un problème. Vu le budget nous contraignait à tourner ça en trois jours et on avait 12-15 jours d’avance sur la diffusion. On n’avait pas le droit à l’erreur. Les scénaristes écrivaient ce qui allait être filmé la semaine suivante, sans marge. C’était une contrainte mais aussi un avantage. Déjà, on avait une équipe réduite, c’était plus facile à gérer, pour bosser rapidement. Kad et Olivier étaient très réactifs en terme de jeu, les autres comédiens avaient vite chopé le ton, aussi. Et surtout, comme ça ne coûtait pas beaucoup, on nous fichait la paix. Il n’y avait pas d’enjeu, Delarue lui-même s’en foutait, personne ne nous mettait de bâtons dans les roues. On avait une totale liberté qui serait aujourd’hui totalement impensable.

Comment s’organisait votre travail ?

Pendant « Les 30 dernières minutes » je n’avais absolument pas le temps de faire autre chose. Le lundi, c’était montage de l’épisode de la semaine d’avant, qui débordait souvent sur le mardi, puis préparation du tournage du suivant et mercredi-jeudi-vendredi en tournage... et juste le week-end pour se reposer. Pendant 7 mois, c’était « Les 30 dernières minutes » et rien d’autre.

Vous vous situiez où dans le processus créatif, dès le départ à l’écriture ?

On avait un mode de travail admis. Kad et Olivier arrivaient avec l’idée, les auteurs s’occupaient du scénar, et j’avais totale liberté sur la réalisation. Lumière, cadrage, découpage, j’étais seul maître à bord. On marchait à la confiance pour éviter d’avoir à se disperser. J’avais la chance de travailler aussi avec un équipe technique qui bossait avec les Nuls, sur « Histoires de la télévision ».

Et au niveau des comédiens, ça se passait comment ?

Vu qu’on avait décidé de dépeindre le quotidien d’une rédaction, on s’est vite aperçu que Kad et Olivier ne suffiraient pas. On a donc donné des rôles à des comédiens non professionnels, Florian, Tania qui venaient de la quotidienne coupée. Pour les autres rôles, il a fallu faire très vite. On a du voir une trentaine de comédiens en 3 jours, autant des professionnels que juste des gens qui avaient vu l’annonce. On a donc embauché Stéphane, Fanny… mais le mélange entre les non professionnels et les comédiens de formation a créé assez souvent des problèmes de rythme au niveau du jeu. Ca nous a forcé à changer notre façon d’écrire suivant à qui le texte était destiné. Après, Tania – une fille avec un caractère très trempé qui était très réfractaire à la direction d’acteur - a beaucoup progressé, mais Florian, au bout d’un moment, et aussi parce qu’il travaillait sur beaucoup de choses à côté, a préféré se mettre en retrait.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le changement de personnage entre Jafar et Jean-Marc Vador ?

J’adorais la tête du mec qui jouait Jafar. Il m’avait fait une grosse impression au casting. Mais c’était un comédien très angoissé et torturé. Et il était terrorisé à chaque fois qu’on tournait. C’était un bon comédien, mais il était bloqué. A la base il venait du one-man-show, et ça le déstabilisait complètement d’avoir à retourner les même prises. Dès qu’on tournait, il se bloquait complètement. Au final, on avait quand même ce qu’on voulait mais entre les prises où il jouait faux et celles où il oubliait son texte, ça prenait un temps fou de tourner ses scènes, à cause de cette angoisse. Et au bout de sept épisodes, il sentait bien qu’il posait problème, il est venu nous voir pour mettre fin à l’aventure. Il se sentait très mal vis-à-vis de ça. On a donc intégré ça dans l’histoire et fait appel à Mathieu Lagarrigue qui était à l’époque en balance avec Maderic pour le rôle.

Maderic, après « Les 30 dernières minutes », a même changé de nom de scène avant de disparaître complètement du milieu.

Quand il est parti, on n’a plus eu de contact. On l’avait juste fait revenir pour l’épisode final. Il avait le même type d’angoisse sur scène que face à une caméra… je ne sais vraiment pas ce qu’il est devenu.

Vous avez gardé contact avec des anciens acteurs de la série ?

Oui, bien sûr, certains. Mathieu Lagarrigue, Stéphane Troadec sont devenus des amis. J’ai perdu de vue Fanny Paliard, qui joue au théâtre. Florence Maury, je la croise de temps à autres. Et Kad et Olivier, évidemment. Stéphane arrive à vivre de son métier d’acteur. Il a un contrat à l’année à l’Opéra Bastille, il apparaît souvent dans des pubs… je suis assez fan de cet acteur.

Vous travaillez toujours chez Réservoir Prod ?

J’ai quitté la boite il y a trois ans, après 10 ans, c’est beaucoup. On a retenté le sitcom sur Internet avec eux, via Réservoir Net, « In Vitro ». Mais le problème de cette série, c’est qu’on l’a lancé à une époque où le haut débit était indisponible en France. On a fait 13 épisodes de 5-6 minutes, mais techniquement, c’était ingérable à visionner convenablement. C’est resté sans suite. Après, j’ai travaillé sur une soirée spéciale sur l’environnement « Une famille dans la tourmente », pour Réservoir. Là-dessus, j’ai joué le pompier de service, vu que le réalisateur prévu au départ est parti un mois avant le tournage. C’était un boulot intéressant, avec un sujet fort, des effets spéciaux mais avec un scénario un peu lourd. J’ai très vite voulu tourner ça comme un documentaire, un peu ce qu’avait fait Paul Greengrass sur « Bloody Sunday ». Lorsque j’ai montré le film à Jean-Luc Delarue pour lui dire que je voulais me diriger vers ça, il m’a très vite calmé er rappelé que c’était pour du prime time sur France 2 ! Donc j’ai mis de l’eau dans mon vin assez vite.

Pourquoi ne pas avoir continué dans la fiction ?

Je persiste. Mais je n’arrive pas à monter des projets suffisamment intéressants. Pour gagner de l’argent, je continue à faire des sujets pour des magasines de flux, mais je n’ai jamais cessé de tenter ma chance. On travaille souvent sur des projets pendant 6 mois sans que ça aboutisse. J’ai travaillé sur un docu-fiction sur Mars pour Discovery Channel, un coup c’était validé, et au final ça ne s’est pas fait. C’est compliqué, en France, de monter des projets qui sortent un peu de l’ordinaire. « Les 30 dernières minutes », c’est un accident, ça n’aurait jamais dû exister, surtout sous cette forme-là. C’était un concours de circonstances. On en reparle avec Kad et olivier, pour eux, même si ils ont fait plein de choses différentes derrière, c’est un des rares moments où ils se sont sentis en totale liberté.

Cette liberté, justement, n’a-t-elle pas rendu impossible l’édition en DVD de la série, surtout avec l’utilisation de musiques non libres de droits ?

Le problème des extraits, des bouts de reportage, c’était une requête de la boite de prod qui voulait insérer ça dans le récit. Moi je n’ai jamais été convaincu et à partir du 15ème épisode, on ne l’a plus fait. Mais c’est surtout Reservoir Prod qui ne veut pas sortir la série. On avait un ingénieur du son sur la série, Pascal Gendry, qui était aussi compositeur, avait proposé de remplacer ces musiques par des morceaux identiques au niveau tempo, on aurait pu aussi couper les morceaux de documentaires et autres bandes-annonces, mais Réservoir Prod ne voulait pas remettre de l’argent dessus, la popularité de Kad et Olivier n’étant pas, à l’époque, celle qu’elle est maintenant. Il y a de grandes chances qu’elle ne soit jamais éditée en DVD et qu’elle sombre dans l’oubli. Et encore, on a eu de la chance que comédie ait voulu rediffuser la série.

Même avec les rires enregistrés ?

Moi je n’étais pas pour. C’est Olivier qui a supervisé le rajout. Mais moi, je reste à ma version sans rire. En plus, j’ai du mal à me rendre compte de ce que ça donnerait aujourd’hui, vu qu’il doit y avoir des trucs très datés. Un peu comme quand on regarde « Objectif Nul » aujourd’hui, vu que ça fait référence à des évènements de l’époque. Il y a des trucs qui fonctionnent purement à l’absurde ou à l’univers d’Olivier qui fonctionnent sûrement très bien encore, mais pour le reste, j’ai des doutes. J’ai quand même regardé des extraits pour me remettre dedans, et je me suis surpris à rire sur pas mal de choses, donc…
A une époque, Réservoir avait essayé de vendre la série à l’étranger, au MIP, deux années de suite. Une chaîne japonaise était intéressée. J’avais fabriqué une bande-annonce à l’américaine pour l’occasion. Au visionnage, au moment ils ont aperçu le visage de Tania de Montaigne, ils ont dit non tout de suite ! Tout ça parce qu’il y avait une black à l’image.

Vous aviez conscience d’être suivi par un bon noyau de fans ?

La chaîne s’en fichait mais nous, non. On consultait régulièrement les chiffres. On était assez surpris des résultats, vu que ça passait à minuit, voir beaucoup plus tard quand les émissions d’avant nous prenaient du retard. On avait une moyenne de 600 000 personnes qui restaient du début à la fin. Il existait un site Internet (http://30dernieres.ifrance.com/) de fans avec un forum assez vivant, même après l’arrêt de la série, sur lequel j’ai posté de temps en temps et encore aujourd’hui on me parle des « 30 dernières minutes ». Mais ça restait assez confidentiel. On n’a eu absolument aucune promotion, à part un gros article sur Télé 7 Jours au début de la série. C’est pour ça qu’on essayait d’avoir des vedettes dans les épisodes. Mais pour la regarder, il fallait vraiment être au courant.

C’est un bon souvenir ?

Excellent. Même si on se plaignait des conditions de travail, c’était une super expérience. On a eu des moments de découragement, et parfois d’engueulade, mais au final, c’était le top. Je disais souvent à mes collègues, vous allez regretter cette période, et c’est le cas. C’est la seule année où j’ai vraiment pris du plaisir à travailler chez Réservoir Prod. Il y avait un état d’esprit colonie de vacances mais avec des gens hyper motivés. Mais c’est surtout parce que la chaîne nous laissait libre.

Vous voyez quelque chose qui s’en rapproche, aujourd’hui ?

Bien sûr ! « Kaamelott », c’est génial. Je retrouve cet esprit de bande, là-dedans. C’est cohérent, bien écrit, ça cartonne. C’est un peu « Les 30 dernières minutes », mais avec le succès. Ils font ce qu’ils veulent, tout est géré par Alexandre Astier. Dedans, ses potes jouent, il a fait tout déménager à Lyon, personne ne corrige ses textes parce qu’il est dans la position de tout refuser en bloc, parce que ça marche. Ils ont plus de moyens que nous, mais nous étions moins structurés, ça partait un peu dans tous les sens. Il faisait beau, on tournait dehors ! Chez « Kaamelott », il y a plus de cohérence. J’aurais aimé faire plus ça dans « Les 30 dernières minutes ». « Kaamelott », c’est une vraie aubaine pour la fiction française, la preuve que tout n’est pas perdu. Si on se présentait aujourd’hui avec « Les 30 dernières minutes » on serait refusé d’entrée. Impossible de résumer la série en une phrase, c’était trop référentiel… les chaînes auraient trop peur.

C’est un peu la marque de fabrique de Kad et Olivier, l’humour absurde et référentiel

Ils ne sont pas consensuels. « Pamela Rose » a bien marché, mais « Un ticket pour l’espace », pas du tout. Et du coup, ils n’ont pas carte blanche sur les chaînes. Olivier a plus de chance de s’installer au cinéma. J’adore son univers, qui en solo, est différent de celui de Kad et Olivier. Kad et O, c’est l’humour de référence absolu. Olivier n’a pas énormément de références. Son type d’humour, c’est raconter l’histoire du mec qui a construit les Alpes à partir des pierres récupérées en creusant les volcans d’Auvergne. Des histoires assez délirantes, absurde et assez magiques.

Un petit mot pour les fans

On avait envisagé de faire une suite, mais vu qu’on a tué tous les personnages à la fin… et puis retravailler avec Kad et Olivier… on y a pensé, mais ils sont sur tellement de projets différents, que c’est très compliqué. Ce qui fait la valeur de la série, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’épisodes et que ça n’a pas été beaucoup diffusé, ça la rend rare et intéressante. Réservoir Prod a toujours les originaux des épisodes, donc si ils se décident à ressortir la série, ils pourront. Lorsque Kad et Olivier passent à la télévision et qu’on a une vue d’ensemble de leur carrière, il n’est jamais fait allusion aux « 30 dernières minutes ». Alors, un jour, ça ressortira peut-être, mais c’est sûrement aussi à Kad et Oliver de bouger un peu là-dessus, ils ont le pouvoir de le faire, mais sûrement pas le temps. Ils voulaient mettre des extraits dans l’Antotologie, mais les négociations avec Réservoir Prod n’ont menées à rien. On n’a plus qu’à souhaiter que Jean-Luc Delarue y voit un intérêt ou que Réservoir Prod soit vendu et qu’ils tombent sur la série.

Merci Christophe Janin