CLAUDE CHELLI — “Reporters parle de l’emprise économique et politique qui limite le champ d’action des journalistes”
Entretien avec le producteur de "Reporters"
Par Sullivan Le Postec • 24 juin 2007
Claude Chelli, producteur pour Capa Drama nous parle de son rôle dans la conception de la série et de sa vision de « Reporters ».

Pendant six ans, Claude Chelli fut le directeur de rédaction de l’agence Capa. Il passe ensuite, au sein du même groupe, à la fiction en devenant Directeur du développement au sein de Capa Drama. Il incarne la ligne éditoriale de la société de production, qui veut laisser une large place au réel en produisant des fictions très documentées. C’est, notamment, un téléfilm comme « Facteur VIII », ou les excellentes séries « Police District » et « Age Sensible ». En 2007, il produit la quatrième série de Canal +, « Reporters ». Entretien.

Le Village : Vous dirigez le développement à Capa Drama. Que recouvre cette fonction ?

Claude Chelli : Comme son nom l’indique, il s’agit de prévoir, d’organiser le développement de Capa Drama en conformité avec sa ligne éditoriale tout en étant à l’écoute des chaînes et de leurs besoins....

Concernant « Reporters », au départ, je crois, Canal+ est demandeuse d’une fiction sur les journalistes. A partir de là, quelles sont les origines du projet et comment le développez-vous ?

C’est vrai, au départ, Canal+ voulait une série dont les héros seraient des journalistes. Un appel d’offres a été lancé. Nous avions proposé « Reporters » dont le concept était plutôt complexe, et c’est, je crois, ce qui a séduit la chaîne. Le projet a beaucoup évolué au cours du développement, mais notre volonté première de traiter de tous les aspects du journalisme à travers 2 rédactions : télé et presse écrite dans un ensemble choral avec beaucoup de personnages, a été maintenu jusqu’au bout. C’est d’ailleurs au cours des premières étapes de l’écriture qu’il nous est apparu comme indispensable de lier ces deux rédactions par autre chose que des relations personnelles, familiales ou amoureuses... Nous avons alors introduit la prise d’otages.

Vous avez-vous même été journaliste et, aux débuts de Capa, vous avez participé à la création du magazine télévisé « 24 Heures ». Votre expérience professionnelle a probablement été un atout sur ce projet ?

La grande difficulté de ce projet, son principal obstacle était de faire en sorte que les situations traitées soient crédibles et les personnages réalistes. C’est cet impératif qui a conduit les scénaristes a enquêter ou plutôt à s’immerger dans une réalité qu’ils ne connaissaient pas. Aujourd’hui un scénariste peut écrire de la fiction policière parce que les codes, le langage, la procédure sont connus, mais l’univers des journalistes n’a pas ou peu ou mal été abordé dans la fiction française. Il a fallu passer du temps dans les rédactions, assister à de nombreux JT, rencontrer un maximum de journalistes, etc. J’ai personnellement apporté mon expérience, bien sûr, mais je n’ai jamais travaillé dans un quotidien de presse écrite... Alors il m’a fallu aussi faire ce travail.

Une fois l’écriture lancée sous la direction d’Olivier Kohn, quel est votre rôle pendant le développement du scénario ?

Je conçois mon rôle un peu comme celui d’un “showrunner” à l’américaine. Je coordonne les écritures en relation directe avec l’auteur principal, Olivier Kohn. Je suis le développement pas à pas avec une idée de production très précise.

A cette étape, quelles ont été les principaux défis sur « Reporters » ?

Le principal défi de la série a été de résoudre l’apparente opposition entre la volonté affirmée de produire une série “hyper-réaliste” en même temps que de faire de « Reporters » une série répondant aux codes de la fiction moderne. Parler concrètement des problèmes auxquels font face tous les journalistes aujourd’hui (censure, secret des sources, etc...) sur un mode qui utilise tous les éléments de rythme, de suspense propres à la fiction. Nous avons beaucoup travaillé sur le début et la fin des épisodes, par exemple avec le souci de maintenir l’intérêt du spectateur d’un épisode à l’autre tout en gardant une logique réaliste : pas de “cliffhanger” gratuit, comme on le voit souvent dans les séries américaines où tout est permis pour un bon “cliffhanger” même ce qui peut apparaître comme invraisemblable.

Une fois la série entrée en tournage puis en post-production, vous continuez de la superviser ?

Absolument. Comme je le disais plus haut je suis présent à toutes les étapes du projet : du début de l’écriture à la confection du générique final, en passant par le choix des réalisateurs, la validation du casting ou les choix de générique série, etc.

Là encore, quelles difficultés principales l’équipe a-t-elle du surmonter ?

« Reporters » est une série ambitieuse, originale et par conséquent difficile à produire. La première difficulté a été de concevoir deux rédactions “en état de marche”, qui fonctionnent comme de vrais rédactions, parce que la réalisation privilégiait la fluidité des mouvements. Toute la série est tournée caméra à l’épaule. Il fallait donc concevoir des espaces suffisamment grands, des passages suffisamment longs pour permettre à la caméra de tourner les dialogues dans la continuité. Dans la chaîne de télé TV2F, une grande partie de l’action se passe dans la régie, et là, tout est filmé en temps réel... Le défilement des sujets, les plateaux, le prompteur, les ordres, etc... Au delà de ces deux décors principaux, l’essentiel du tournage se passait dans des décors extérieurs, ce qui forçait l’équipe à changer de lieu de tournage tous les jours, sur une durée totale de tournage de 100 jours.

Les enquêtes qualitatives menées par Canal + auprès de son public sont extrêmement positives, et les échos autour de la série sont aussi très bons. Comment prenez-vous ces retours ?

Nous sommes évidemment très heureux des réactions... Satisfaits de lire dans la presse que les journalistes se sont reconnus dans ce miroir de la profession qu’on leur tendait, et ravis de constater que la série “fonctionne” à plusieurs niveaux, en particulier sur le feuilletonnant ... On nous a souvent dit, par exemple, que lorsqu’un épisode se termine on a envie d’en voir un second. C’est une grande satisfaction pour nous.

Attention, la question-réponse suivante révèle
des éléments importants sur l’intrigue de cette première saison.

Personnellement, qu’est-ce que vous préférez dans « Reporters » ?

J’ai toujours présenté « Reporters » comme une série politique. On parle du métier de journaliste, de la manière dont les journalistes vont chercher l’information et la diffusent, mais progressivement l’emprise du pouvoir sur la communication se fait de plus en plus apparente. Emprises économique et politique qui inéluctablement limitent le champ d’action des journalistes. Au début de la série, le spectre est très large pour se terminer par un goulot d’étranglement : la mort bien réelle d’un journaliste qui est aussi celle tout à fait “symbolique” du journalisme au moment où le pouvoir triomphe. Cette structure narrative fonctionne sur des éléments propres à la fiction : déséquilibre et suspense qui favorisent l’attention du spectateur et participent à son “addiction”.

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Le travail sur la seconde saison de « Reporters » est déjà lancé ?

Tout à fait. Nous menons avec Canal + une profonde réflexion sur la saison 1 pour améliorer la série, la rendre encore plus accessible et, on le souhaite, plus populaire encore.

Avant « Reporters », vous avez déjà produit « Police District », votre nom est donc associé à de la fiction française innovante et de qualité. Quel est votre point de vue sur les développements de plus en plus rapide qu’elle connaît depuis quelques années ?

Je pense qu’il faut impérativement que les chaînes françaises fassent le vrai pari de la fiction, et en particulier de la série. Aux États-Unis, c’est une culture, une culture populaire... En France, on ne s’en donne pas les moyens. Nous avons beaucoup travaillé à l’époque de « Police District » pour imposer un autre regard sur la fiction : moins consensuel, moins bien pensant, avec des personnages déchirés par la vie. On a voulu faire une série humaine... mais noire. On nous a dit TROP GLAUQUE pour le spectateur de M6 (!)... Qui trouverait quoi que ce soit à redire à « Police District » aujourd’hui ? A qui ferait-elle peur quand on voit « The Shield » ??... Produire plus de séries, plus d’épisodes pour imposer le genre, c’est possible. Et je rêve de voir un jour une grande affiche, dans le métro par exemple, annonçant la Xième saison de telle ou telle série. Alors la fiction télé sera vraiment populaire.

Sur quels autres projets travaillez-vous aujourd’hui ?

A Capa Drama, nous développons plusieurs autres séries originales... Notamment, une série pour France 2 dont le décor est celui d’une grande entreprise du CAC 40 et une série policière écrite et réalisée par Olivier Marchal pour Canal +.

Merci d’avoir bien voulu répondre aux questions du Village.

Propos recueillis le 6 juin 2007.

Dernière mise à jour
le 16 février 2011 à 22h55