ELLES ET MOI - Parties 1 & 2 • MINI-SERIE
Une famille et deux guerres.
Par Sullivan Le Postec • 4 juin 2009
France 2 diffuse enfin la dernière réalisation de Bernard Stora, qu’elle a du retrouver sur l’étagère où elle l’avait posée... il y a 18 mois. Mais ça valait le coût d’attendre.

Pour une avant-première, c’était une avant-première ! Nous avons eu la chance de découvrir Elles et moi aux Rencontres Internationales de Télévision, en mars... 2008 ! Le festival consacrait cette année-là une rétrospective au travail de Bernard Stora, l’un des grands réalisateurs de la télévision française.

Bernard Stora avait à l’époque évoqué pour Le Village cette expérience qui lui permettait de prolonger la vie d’oeuvres qui, c’est un travers des unitaires et mini-séries à la télévision, ont tendance à tomber dans l’oubli après leur diffusion.
A Bernard Stora, on doit ces dernières années « L’aîné des Ferchaux », « Suzie Berton » (dont la critique par votre serviteur est à lire ici) ou « Le Grand Charles ». A chaque fois des projets ambitieux, originaux, qui se démarquent des formatages en vigueur à la télévision française.

« Elles et moi » est une fiction historique qui se passe à l’époque de la seconde guerre mondiale. Du coup, alors qu’elle l’a dans ses cartons depuis 18 mois, France 2 a estimé que le meilleur moment pour la programmer, c’était grosso modo en même temps que le « Village Français » de France 3. On ne sait pas s’il faut en déduire que les programmateurs de la chaîne sont très mauvais, ou simplement très jaloux des projets que France 3 arrive à générer de manière bien plus régulière et convaincante que la 2. Quoi qu’il en soit, la mini-série de Barnard Stora (deux épisodes de 100 mn) traite les choses sous un angle particulier puisqu’elle s’intéresse aux destins d’une famille de réfugiés républicains espagnols. Et le sujet n’a été qu’assez peu abordé. “« Elles et moi » a été coproduit par la Catalogne. Et, même là-bas, il est un des premiers films à aborder la question des réfugiés espagnols à la fi n de la guerre civile,” raconte Bernard Stora. “C’est une histoire qui reste méconnue, qui a été, volontairement ou non, mise de côté dans le flot des événements successifs (la Seconde Guerre mondiale, le franquisme, la “transition démocratique”). Il fallait se reconstruire, penser à l’avenir. Trois générations plus tard, on commence à s’interroger, en France comme en Espagne, sur cette histoire, cette mémoire communes”.

L’histoire

De nos jours, Isabel Esteva, 80 printemps, assiste au Défilé parisien de sa cinquantième collection de mode – ce qui la plonge dans un ennui qu’elle a du mal à dissimuler. Soudain, les fantômes de sa mère et de sa grand-mère lui apparaissent. Ensemble, les trois femmes se remémorent leur histoire.
Isabel Esteva est née en Espagne. Un pays que sa mère, Pilar, et son père, Lluis, ont quitté en février 1939, lorsque la chute de Barcelone marqua la défaite des Républicains espagnols. L’espagne tombait alors entre les mains de Franco.
Séparés de Lluis qui ne renonce jamais à l’idée de reprendre son pays, Pilar et les deux enfants, Isabel, 15 ans et le cadet Ignacio se retrouvent dans un camp de réfugiés espagnols dans le Sud de la France. Pilar a compris que ce nouveau pays allait probablement être le sien pendant longtemps et y trouve progressivement sa place, aidée en cela par le fait qu’elle et ses enfants parlent déjà le français. Elle parvient à se faire employer comme domestique par les Montellier, propriétaires de la filature où se trouve le camp. Les deux enfants de cette riche famille française sont aussi éloignés l’un de l’autre qu’il est possible de l’être. Le fils est un bonhomme triste et fermé aux idées courtes. La fille est un personnage fantasque et rebelle, rétive à toute forme de protocole, lesbienne s’habillant à la garçonne qui plus est. Elle se prend vite d’amitié pour les Esteva, et en particulier pour Isabel. C’est au contact de Florence Montellier que se révèlent ses dons pour la couture et la mode de cette dernière.

Les Esteva ont fuit une guerre pour se retrouvés immédiatement pris au coeur d’une autre. Dans la seconde partie, on retrouve Pilar, Isabel et Ignacio à Marseille en 1943, dans la France de Pétain. L’expérience de la Seconde Guerre Mondiale n’épargnera pas leur vie. A mi-chemin entre l’adolescent et le jeune homme, Ignacio, tenté par l’argent facile et le pouvoir, se rapproche dans la milice alors même que son père Lluis est maintenant très impliqués dans les réseaux clandestins de la résistance et présent à Marseille sous une fausse identité. Pilar travaille comme couturière chez “Chic & Mode”, une boutique appartenant à Alice Brunetti, amie des Montellier. Cette dernière remarque les dessins d’Isabel et l’engage comme styliste, ce qui constitue le point de départ de sa carrière...

Une fiction de femmes

L’un des points fort de « Elles et moi » est sa distribution. C’est Danielle Darrieux qui incarne Isabel Esteva à 80 ans. “Pour incarner une styliste aussi reconnue et charismatique que notre Isabel Esteva, il fallait une actrice au moins aussi mythique que Danielle Darrieux”, explique Bernard Stora. “Quand elle entre dans une pièce, elle n’est jamais seule. A sa suite viennent tous ces personnages légendaires qu’elle a incarnés à l’écran, sans pour autant qu’elle en paraisse encombrée. Elle est restée comme elle devait être au début de sa carrière, d’une grande humilité professionnelle, avec son trac, son désir d’être belle à l’écran, etc. J’ai découvert une femme formidable, d’une lucidité et d’une vitalité incroyables. Dans ce rapport très complexe et très intime qui lie un metteur en scène et une actrice, j’ai eu la chance d’être témoin de cette fragilité. Je suis très fier et heureux d’avoir pu la diriger.”
Astrid Berges-Frisbey incarne le personnage pendant sa jeunesse. Dans le rôle de Pilar, Adriana Gil qui est une figure importante du cinéma espagnol. Récompensée d’un Goya (les César espagnols)en 1993 pour « Belle Epoque » de Fernando Trueba, elle a incarné les rôles principaux des trois grandes productions espagnoles de ces dernières années : « Soldados de Salamina » de David Trueba (2003), l’excellent « Labyrinthe de Pan » de Guillermo del Toro (2006) et « Capitaine Alatriste » de Agustin Diaz Yanes (sorti en France en juin 2008).
Julie Gayet (Florence) et Julie Depardieu (Alice) incarnent quant à elles les deux principaux seconds rôles. Florence Montellier est un très beau personnage dans lequel Julie Gayet ne déçoit pas.

Deux volets

Si la première partie est très agréable, il n’en reste pas moins qu’elle souffre de longueurs indéniables, au premier rang desquelles on citera les vingt dernières longues minutes, qui sont passées à montrer des choses que l’on a déjà compris au moment où elles commencent. On aurait donc préféré qu’elles soient condensées en 2 minutes. Par ailleurs, le point de vue contemporain est parfois un peu envahissant dans cette première partie, alors qu’il ne l’est pas dans la seconde. (Ce qui amplifie l’impression qu’on a tiré sur la corde pour rallonger un peu artificellement la durée de cet épisode.

La seconde partie, en revanche, est tout aussi brillante que passionnante et n’ennuie pas un seul instant. Elle raconte de façon réellement poignante ces quelques destins ballotés par la guerre, et l’intrigue autour d’Ignacio est écrite et mise en scène avec une justesse parfaite.

Néanmoins, la morale féministe telle qu’énoncée à la conclusion de l’histoire est un peu trop simpliste pour être crédible, et la réalisation refuse tellement de prendre l’aspect fantastique au sérieux que les cinq dernières minutes toutes entières sont parfaitement insupportables.

Mais il est facile d’oublier cette conclusion maladroite qui pèse peu face au 95 précédentes, qui nous ont enthousiasmées.

« Elles et moi » est diffusée le mardi 9 et le mercredi 10 juin à 20h35 sur France 2. Le site officiel est en ligne ici.
Disponible sur Le Village :
- Un entretien exclusif avec Bernard Stora consacré à « Elles et moi »
- Un bref entretien avec Corentin Daumas (Ignacio adolescent)

(Interviews réalisées dans le cadre des XXIe Rencontres Internationales de Télévision en mars 2008.)

Post Scriptum

« Elles et moi »
France 2 / Studio International.
Ecrit par Bernard Stora et Lévy Bernard. Réalisé par Bernard Stora.
Avec Ariadna Gil, Astrid Berges-Frisbey, Danielle Darrieux, Jean-Pierre Marielle, Alex Brendemühl, Julie Depardieu, Julie Gayet.