POINT DE VUE — Quatre semaines pour convaincre
Ou comment saborder une série en l’expédiant : un non-événement Canal+
Par Dominique Montay • 24 août 2008
« Engrenages », « Reporters », « Scalp », « Mafiosa », « La Commune », autant de tentatives plus ou moins réussies qualitativement mais qui ont tous un dénominateur commun : un mois de diffusion, et basta !

Canal + est plus ou moins la seule chaîne française à proposer une offre convenable (et riche de plusieurs titres) dans le format 52’. Mais là où le bât semble blesser, c’est sur le nombre de soirées où ces créations maisons sont exposées. 4 semaines. 8 épisodes. Un mois pour convaincre, pas plus.

Et même moins pour « Nos enfants chéris », dont la saison 2 de 12x26 minutes se voit programmée à partir du premier septembre en... trois soirées de quatre épisodes diffusés d’affilé ! Qui a dit “n’importe quoi” ?

La série télévisée est par principe un mode de narration qui permet de jouer sur l’addiction du spectateur. Le coller à son siège de manière ponctuelle avec des moments de bravoure peut l’inciter à revenir, mais c’est surtout sur la relation spectateur-personnage que le lien le plus fort se crée. Or, 4 semaines, est-ce suffisant pour créer un lien ?

Le problème est bien français, en réalité. La soirée est immuable, commençant vers 21h après journal d’infos terminé à 20h35 et un créneau de 20-25 minutes où il est possible de caler 5-6 programmes courts sponsorisés pour les entrecouper de longues plages publicitaires (ou poule aux oeufs d’or), la soirée française se clôt vers 23h. Et dans cette fenêtre, UN SEUL PROGRAMME DOIT ETRE DIFFUSE. De peur de quoi ? qu’à mi-chemin, le télespectateur zappe. Le monstre...

Dans bien d’autres pays, les soirées sont composés de plusieurs programmes. Et oui, le télespectateur peut changer entre eux, sachant que la grille est plutot harmonisée, afin que le télespectateur n’ai pas l’obligation de manquer son show préféré parce que son second show préféré n’est pas terminé. Ca s’appelle le respect du télespectateur. Oui, c’est vilain comme terme.

Mais voilà, depuis 3-4 ans, on se rend bien compte en France qu’à force de faire des séries qui n’intéressent globalement que les gens qui allument leur téléviseur et laissent sur la première chaîne par confort et feignantise, il faut changer les habitudes. Et donc passer du mastodonte inexportable du 90’ au format plus courant et dynamique du 52’.

Est-ce que pour autant les chaîne en ont profité pour changer leurs habitudes ? Non, le seul changement, c’est qu’au lieu d’1x90 entrecoupé d’une pub, on a 2x52 entrecoupé de deux ou trois plages. Evidemment, ça ne s’applique pas au cas de Canal, qui n’a pas besoin de la pub pour vivre, comme chacun sait. Mais il réagit de la même manière que TF1, F2 et consorts. Un programme par soirée. Donc 2x52, qu’il s’agisse d’une fiction importée comme une fiction maison.

Mais voilà, Canal+ n’est pas une chaîne comme les autres. Ses abonnées viennent en connaissance de cause, par rejet du reste du hertzien ou l’attrait du cinéma et du football. Peu d’éléments poussent à ce formatage malvenu. Qu’y-a-til de mauvais dans l’idée de diffuser un épisode de « 24 » avec « Engrenages », de « Damages » avec « Reporters », ou pourquoi pas avec un autre type de programme, documentaire par exemple ?

En jouant sur le 8x52’, lui offrant une diffusion de deux mois, la série bénéficierai d’une exposition bien plus large. A condition évidemment que la sortie de la série soit couplée avec un budget promotion digne de ce nom. Car là aussi réside un problème bien français : on ne communique pas, ou peu, sur les productions maison quand les imports étrangers bénéficient d’une grosse exposition. Autant pour « Damages », la pub est nécessaire tant la série est méconnue, autant pour « 24 » et « Desperate », pas la peine non plus de marteler. Que dire de la place faite aux « Scalp », « Reporters » et autres « Communes ». Rien, ou presque. Ah si, quand un bon papier est publié dans la presse (Libération pour « Scalp »), on le met dans les bandes-annonces alors que la série en est au quart de sa diffusion.

Aucun plan d’attaque n’est prévu par Canal. Pas de site dédié pour ses séries, où l’on pourrait y retrouver bandes-annonces, témoignages et guides des épisodes dignes de ce nom (allez sur les sites étrangers pour rire : c’est tellement foisonnant d’infos que le site de Canal passe pour un site Albanais). Et le plus drôle : une fois la série diffusée, plus rien. Pas de page, pas d’archive. Non, on fait la place. Pour info, « Scalp » sort en DVD, mais Canal s’en moque. Et si une série (que vous avez payée sur Canal par le biais de votre abonnement) vous a plue, ne pensez pas à en apprendre plus en payant à nouveau pour le coffret DVD. Pour l’éditeur StudioCanal, le bonus [1] est un territoire inconnu...
Personne dans la chaîne ne semble non plus savoir se servir de Dailymotion ou Youtube, aucune bande-annonce n’y fleurissant. En procèdant de la sorte, Canal se masque une partie de son public, ne cherche pas à séduire l’internaute fan de série. Savent-ils que ces gens existent ?

Il faut qu’on vous raconte une anecdote. Vous n’êtes pas sans savoir qu’au Village, nous avons eu un gros coup de cœur pour « Reporters ». Après la publication de notre gros dossier sur cette série, en juin 2007, nous nous sommes interrogés sur d’autres moyens de faire connaître cette excellente production. Une possibilité est vite apparue : organiser en partenariat avec Annuséries un concours permettant de gagner une poignée de coffrets DVD de la première saison. Le réseau A-Suivre.org organise régulièrement ce type d’événement promotionnel. L’avantage pour les séries qui en bénéficient est une mise en avant sous la forme de bannières sur les pages des sites relayant le concours (ce qui fait un nombre conséquent de pages vues) et l’envoi d’une newsletter aux abonnés d’A-Suivre.org. Un fichier conséquent de fans de séries qu’il aurait été pertinent de mettre au courant de la sortie d’une série française qui nous semblait de la même envergure que le haut du panier de la série américaine.
Capa Drama (le producteur) et le créateur de la série, Olivier Kohn, étaient partants. Canal+, co-producteur et éditeur du coffret, devait également donner son accord (ce qui, je crois, fut fait à Capa Drama mais ne nous fut jamais confirmé directement par la chaîne), mais aussi valider les visuels de promotion qui auraient mis en ligne, procédure standard et obligatoire pour faire les choses dans les règles de l’art (sans quoi il n’aurait plus manqué que la chaîne nous attaque pour non-respect des droits !). Cet accord fut impossible à obtenir, nos mails au responsable concerné restant sans réponses malgré plusieurs rappels étalés entre juillet et fin septembre. Donc malgré le temps passé de notre propre initiative pour tenter de leur monter une promotion avantageuse et quasi-gratuite (trois coffrets DVD étant peu susceptibles de grever le budget publicitaire de Canal), on a été obligés de renoncer. C’est ce qui s’appelle marcher sur la tête !

"Viens sur Canal. On fait de la série de qualité. Par contre, quand on la diffuse, on n’en parle presque pas. Et si en 4 soirées tu n’as pas un solide noyau de fidèles, on t’annule. Allez, viens chez le HBO français."

Y’a du boulot, donc...