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The Real Jéjé of pErDUSA - Pourquoi parler de l’âge d’or des séries est d’une impolitesse absolue

N°28: Y’a jamais eu d’Âge d’Or...

Par Jéjé, le 31 août 2016
Par Jéjé
Publié le
31 août 2016
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Il y a quelques années, « on vit vraiment l’âge d’or des séries télé » était l’expression à la mode qui accompagnait toute discussion sur ce qui était considéré comme l’excellence des séries télé du moment (Breaking Bad, Friday Night Lights ou True Detective).

Drum s’était déjà amusé à relever que bien souvent elle dénotait chez leurs utilisateurs l’affirmation assez naïve de leur méconnaissance des productions anciennes.

Ce qui était plus surprenant pour moi avec la popularité de son expression, c’est qu’elle exprime un consensus sur le fait que la qualité en matière de séries télé n’est que temporaire. Si on vit un âge d’or, c’est bien qu’auparavant il y a avait des âges moins glorieux mais qu’à venir le retour de ces périodes plus sombres, plus décadentes est inéluctable.

À mon sens, cette expression n’avait pas lieu d’être pour les séries ou la télévision à l’heure actuelle.

Cela fait maintenant environ quarante ans qu’il y a d’excellents dramas américains [1], depuis encore plus longtemps pour les comédies, mais The Mary Tyler Moore Show, parce qu’il fait rire, sera toujours moins bien considéré que Les Sopranos, mais je ne vais pas me lancer dans une diatribe de regrets sur la façon dont sont considérées les comédies sur l’échelle du prestige artistique, produits de façon très régulière et ce au gré des évolutions drastiques du paysage audiovisuel.
Et il est peu probable que du jour au lendemain la qualité et l’ambition disparaissent. La Quality TV telle que définit par Jane Feuer (MTM ‘Quality Television’, 1984) et Robert J. Thompson (Television’s Second Golden Age, 1996) est là pour durer.

Il y a quelques jours, j’ai reçu le coffret de la première saison (1961-1962) de The Defenders, une des séries que je mourrais d’envie de découvrir et qui était il y a encore quelques semaines complètement introuvable. Le DVD avec les bonus propose The Defender (au singulier), une dramatique (une fiction tournée et diffusée en direct) de 1957 en deux parties écrite par Regina Rose, le créateur de The Defenders dont il reprendra le principe (un père et un fils avocat) pour la série.
J’étais complètement enthousiaste à l’idée de pouvoir voir un exemple de ces productions de cette mythique période, d’avoir devant moi un morceau du véritable âge d’or de la télévision américaine.

Et pour le coup, je n’ai pas été déçu. En une heure quarante, The Defender interroge de façon assez fine la façon pour la défense de servir au mieux la justice dans un système fondé sur un affrontement verbal entre deux parties au cours d’un procès où la culpabilité ou l’innocence d’un accusé mal aimable n’est jamais établi. Quant à la forme, elle est impressionnante de fluidité. Même pour le spectateur habitué à la fiction montée a posteriori, il est difficile de voir de grandes différences, la caméra suit les déplacements des personnages principaux, il y a de nombreux plans de coupes dans les scènes de plaidoiries, sur les visages du public, de l’accusé. The Defender, c’est une très chouette expérience et à son issue, j’étais prêt à dire : « Voilà, là, je comprends qu’on parle d’un âge d’or de la télévision américaine ».

Jusqu’à ce que je fasse un petit tour dans mes bouquins sur l’histoire de la télé américaine.

Ce qui est assez amusant, c’est que la remise en cause la plus grande de l’idée même d’un quelconque âge d’or de la télé vient de Robert J. Thompson dans son ouvrage de référence sur les séries de la période 1980 - 1995 qui s’intitule... Television’s Second Golden Age.

Morceau de la couverture du livre de Robert J. Thompson

Le titre de la préface « From ’The Golden Age of Television’ to ’Quality TV’ » aurait été à mon sens plus adéquat mais probablement moins percutant.
Dès les premières pages du livre, il désacralise ce premier âge doré de la télévision américaine où les adaptations d’Ibsen et de Shakespeare et les créations de grands dramaturges contemporains étaient censées pulluler. Il explique qu’au delà de ces projets prestigieux la réalité était moins excitante, que la majorité des programmes diffusés n’étaient pas très bons et que la vision idéalisée perpétrée par ceux qui avaient connu cette période s’est cristallisée une bonne fois pour toutes quand dans les années 1980 PBS (la télévision publique américaine) a rediffusé les dramatiques les réussies de la période sous l’appellation… The Golden Age of Television.

Avec ce même procédé de centrifugation intense, vous pouvez transformer n’importe quelle période révolue en moment de perfection indépassable.

Alors, oui, à la fin des années 1950, ce qui passait sur les ondes était d’une médiocrité telle que le nouveau président de la FCC de l’époque dit en 1960 de la télévision qu’elle s’apparentait à « a vast wasteland ».
Une époque marquée par quelques réussites et des aspirations artistiques assez élevées voire élitistes (même si le résultat final à l’écran ne semblait pas souvent complètement abouti), suivi d’une période de vaches maigres, oui, le début des années 1950 pouvait passer pour un âge d’or.
Encore qu’à cette époque, la télévision n’était pas encore ce media de masse que l’on connaît (ou que l’on a connu) et qu’elle était l’apanage des gens riches et urbains. Un téléviseur n’était pas encore la norme du foyer américain. Donc peut-on dire que la télévision de 1950 était déjà de la « vraie » télévision ?
Thompson ne tranche pas cette hypothèse.

Il donne en revanche la meilleure définition d’un âge d’or à la fin de sa préface, d’une ironie vraiment savoureuse (et qui me permet enfin de comprendre celle du titre à sa juste mesure).
« La différence principale entre les programmes [d’un âge d’or] et les autres, c’est qu’on peut être un snob et pourtant reconnaître qu’on les regarde.  » [2]

Que l’expression « âge d’or » persiste alors, que ce soit pour qualifier la période actuelle ou bien pour classifier différentes époques de l’histoire de la télévision, me conforte ainsi dans l’idée qu’encore à l’heure actuelle les séries télé n’ont pas encore la même légitimité que la littérature ou le cinéma, qu’une forme de snobisme subsiste envers de ce qui vient d’un médium un peu sale, puisque accessible à tous depuis longtemps.

Le jour où l’expression sera utilisée seulement pour des genres précis de séries (Aaaaah, le début des années 70 a été un âge d’or de la sitcom politique, aaaah, les années 2000 et son âge d’or des anti-héros…) et pas pour le format entier, là, je serai content de l’entendre et prendrai plaisir à participer à une conversation sur les séries dans une soirée.

Kenny Crane !

Il existe une « fausse » suite à The Defender, « Son of The Defender », l’épisode 18 de la saison 3 de Boston Legal.
David Kelley fait prendre en otage quasiment toute la distribution de la série (à l’exception d’Alan Shore, occupé par les problèmes de sa voisine prostituée...) par le fils de la victime de la dramatique de 1957 et organise chez Crane, Poole & Schmidt le nouveau procès de l’accusé qu’il a amené avec lui. William Shatner incarnait le fils/avocat dans The Defender et quelques extraits de la dramatique sont utilisés comme des flash-backs du début de carrière de Denny Crane (connu alors sous le nom de Kenny Preston [3]).
L’hommage de Kelly est assez amusant (même s’il n’avait pas du tout plu à Feyrtys) et n’est pas un simple exercice de style, les flash-backs « recyclés » donnent une dimension assez touchante à la réflexion de Danny sur son rapport avec son père.
Deux légers bémols. Le premier n’a pas grande importance, mais j’ai trouvé surprenant que lorsque le preneur d’otage fait relire des transcripts du procès les acteurs déclament une version très approximative des dialogues originaux (une histoire de droits, peut-être ?). L’autre est plus problématique, David Kelley donne une réponse définitive à la culpabilité de Joseph Gordon (dans ce cas, le nom de l’accusé a été conservé mais pas l’acteur. Faut dire que ça n’aurait pas été chose aisée d’avoir Steve McQueen en 2007…). Une grande partie de l’intérêt (et de l’originalité) du script de 1957 vient de cette incertitude, pour le spectateur comme pour les protagonistes.
Mais comme on est passé dans la dimension parallèle de Boston Legal, tout ça n’est finalement pas très grave.

Jéjé
Notes

[1Je ne peux parler pour le reste du monde, je ne connais bien que la télévision américaine…

[2The principal difference that distinguishes these programs is that one could, in fact, be a snob and still admit to watching them, page 17.

[3Kenny, Denny, on n’est pas loin…