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:: Chroniques > De l’éducation aux médias ::

Eduquer avec ou aux médias ? Une lecture critique du rapport Thélot

par Séverine Barthes

Le rapport Thélot - Pour la réussite de tous les élèves, téléchargeable sur le site de l'Education Nationale - a été l'objet de vives critiques lors de sa publication. Une de ses propositions les plus débattues ici a été l'abolition du doublage.

Cependant, ce n'est pas la seule concernant la télévision et, plus globalement, les médias. La question de l'éducation aux médias a pris de l'importance ces dernières années, parallèlement aux inquiétudes posées par la violence des programmes et leur éventuelle influence sur la jeunesse. Le rapport Thélot ne pouvait donc pas éviter cette question.

Une section du chapitre 8, « Eduquer avec des partenaires », s'intitule « Eduquer avec et aux médias ». Le glissement opéré est intéressant, puisque l'on ne parle plus seulement d'éducation aux médias, mais aussi d'éducation avec les médias.
Que propose alors le rapport sur l'éducation aux médias ? Rien de bien révolutionnaire. La commission déplore tout d'abord, comme il se doit, l'inintelligence de la culture médiatique - en renvoyant d'ailleurs cette posture du côté des professeurs : « les entreprises de communication s'inscrivent dans un contexte marchand et concurrentiel où le souci d'attirer les consommateurs et les annonceurs les conduit à privilégier le divertissement par rapport aux autres usages possibles de leur outil ; par contraste, et quels que soient les efforts pédagogiques déployés pour rendre la culture scolaire séduisante, l'École apparaît nécessairement aux jeunes comme un lieu de contrainte et d'exigence. Le grand débat national a du reste fait ressortir l'inquiétude des enseignants face à la divergence qui leur paraît croissante entre les valeurs de l'École et celles qu'exalte l'univers médiatique ; au point que, loin de considérer les médias comme des partenaires possibles, il pourrait sembler à certains nécessaire d'inciter l'École à adopter une posture de “résistance” afin de garantir la transmission de ce qu'ils considèrent être la culture authentique » (p. 138).
Le rapport propose, pour contrer cette position rétrograde des professeurs, un partenariat entre médias et Education Nationale. A ce propos, le titre de l'encadré 8.1 (p. 139-140) est intéressant : « cinq mesures possibles pour mieux accorder les exigences de l'éducation de la jeunesse et l'environnement médiatique ». La double approche que le rapport adopte - « L'École devrait former au décryptage et à l'usage des médias, qui devraient par ailleurs mieux remplir leur rôle éducatif. » (p. 131) - est ici patente : l'école, comme le prévoient déjà les textes depuis plusieurs années, doit éduquer aux médias et les médias, de leur côté, doivent, en quelque sorte, suppléer l'école.
Les propositions pour améliorer l'éducation aux médias n'ont globalement rien d'original et ne résolvent pas les problèmes déjà rencontrés aujourd'hui, notamment la formation des professeurs, l'accessibilité des documents, les droits d'auteur... La vision que la commission Thélot développe de l'éducation aux médias est plutôt pertinente, mais elle est irréalisable et surtout elle ne prend en compte que le discours informatif, et non la fiction, ce qui est, à mes yeux, le manque le plus flagrant de l'éducation aux médias aujourd'hui. Sur ce problème, le rapport Thélot n'apporte aucune solution : « L'École doit développer en son sein l'utilisation du multimédia de manière à faire découvrir les usages éducatifs d'Internet ou de la production audiovisuelle. La Commission estime également que l'analyse des images, la mise en perspective critique de la culture médiatique, l'initiation à la recherche d'une information crédible (mécanismes de production et de présentation de l'information, authenticité des sources, recoupements, etc.) pourraient être davantage pratiquées à l'École, notamment, mais pas seulement, dans le cadre de l'éducation à la citoyenneté. Apprendre aux enfants à “lire” les médias, parler avec eux des émissions qu'ils regardent spontanément, dévoiler, ainsi qu'on le fait déjà pour la littérature, les modes et les conditions de fabrication des produits audiovisuels représente sans doute le moyen le plus efficace d'éviter qu'ils n'héritent de ceux-ci l'essentiel de leur vision du monde et de la vie. L'éducation aux médias pourrait ainsi constituer l'une des manières de rapprocher les élèves des idéaux dont l'École est porteuse (goût de la vérité, esprit critique, respect des autres). » (p. 139-140).
La seule proposition un peu intéressante et originale réside dans la création d'une spécialisation en techniques de l'information et de la communication au sein de la filière littéraire au lycée : « une série lettres-communication, qui serait centrée sur les “lettres et techniques de l'information et de la communication”. On y insisterait sur l'usage de l'outil informatique et sur l'analyse des images rendue nécessaire par l'omniprésence de la télévision, de la publicité et des différents médias dans la culture des jeunes. Ce dernier enseignement ne devrait d'ailleurs pas être présent uniquement dans cette série (même s'il y sera plus approfondi) ; il trouverait également sa place par exemple dans la série “lettres-langues” et celle des “arts”. » (p. 74). Notons cependant qu'aucune information sur les programmes de cette série n'est donnée, la commission Thélot estimant que ce n'est pas à elle de concevoir les programmes.

Ce premier versant - éduquer aux médias - est donc assez peu développé et peu novateur. La vraie nouveauté réside dans le versant « éduquer avec les médias ».
Le rapport Thélot part des missions que l'on accorde généralement à la télévision, dans une vision idéale : informer, divertir et éduquer. Cette éducation par les médias prend différentes formes dans ce rapport et s'appuie bien évidemment sur les médias comme support, et non comme objet - ce que devrait faire d'ailleurs une véritable éducation aux médias.
Les médias, et notamment la télévision, doivent devenir une source d'information pour les élèves et les professeurs. Ces derniers doivent les utiliser plus largement. Le rapport Thélot propose une illustration de cette nouvelle utilisation : « À titre d'exemple, l'accompagnement d'un professionnel dans les diverses facettes de son métier au cours d'une ou deux journées peut être une expérience enrichissante, concrète et plus facile à organiser que l'habituel “stage en entreprise”. Pour développer efficacement cette connaissance des métiers, l'utilisation systématique des moyens de communication contemporains (télévision, DVD, sites Internet, etc.) est indispensable » (p. 82-83) La télévision est ici un simple outil mis au service d'un enseignement, dont l'utilité ne sera pas ici débattue. Bien évidemment, tout enseignement peut trouver dans les médias des outils pédagogiques : « Il faut en outre souligner que la diversité de l'offre médiatique a pour effet de proposer le pire mais aussi le meilleur : la télévision et le multimédia permettent de produire des programmes d'une qualité et d'une vertu pédagogiques indéniables, qui peuvent constituer un moyen de se cultiver et fournir aux enseignants de nouveaux outils pour ouvrir aux élèves l'accès à la culture. » (p. 138). On peut certes être d'accord avec ce constat, mais il faut constater que les programmes permettant d'accéder à la culture, telle que la pense la commission Thélot, sont rares et ne concernent pas toutes les disciplines.
Afin d'aider les professeurs et les parents dans le choix de leurs outils pédagogiques et des programmes à laisser regarder à leurs enfants, le rapport Thélot propose une labellisation des programmes : « L'action du CSA conduit à définir un cadre normatif, notamment en proposant que les chaînes montrent une signalétique destinée à protéger les enfants des images violentes ou pornographiques. On pourrait cependant envisager un pendant positif de cet encadrement de la liberté de production et de diffusion : les ministères concernés par la démarche éducative (Éducation nationale, Famille, Jeunesse) pourraient par exemple charger un groupe d'experts de concevoir une « labellisation » des programmes de télévision (déjà suggérée par Madame Blandine Kriegel dans son rapport) qui signalerait à l'attention des parents les programmes qui paraissent les plus enrichissants et recommandables d'un point de vue éducatif. » (p. 140). Outre que ce label existe déjà dans le multimédia (le label RIP - Reconnu d'Intérêt Pédagogique) et qu'il pourrait sans peine être étendu à la télévision, cette vision des choses méconnaît totalement les problèmes de réception des programmes - par réception, nous ne parlons évidemment pas des problèmes techniques de réception des programmes, mais de la perception particulière d'un programme par un individu précis. Ainsi, la vision de la série Oz peut en apprendre bien plus à un adolescent / jeune adulte qu'un documentaire sur l'histoire des Noirs américains aux Etats-Unis, d'autant plus que cet apprentissage, qui se fait de manière passive dans le documentaire, se fera de manière active, par des recherches, à la suite du visionnage d'Oz : « l'apprenant » acquiert ainsi une certaine « autonomie dans la construction de ses savoirs », pour reprendre le vocabulaire obtus des didacticiens de l'IUFM. La commission Thélot part du principe qu'il y a étanchéité entre culture scolaire et culture médiatique, ce que la pratique des professeurs dans les collèges et lycées de France dément tous les jours. Seule une vision « intellectualiste » de la télévision, c'est-à-dire dénigrante et peu profonde, peut amener au constat de la commission Thélot.
La dernière proposition concernant l'éducation par les médias est celle de l'abolition du doublage : « Dans une perspective encore plus volontariste, on pourrait envisager de mettre la télévision au service d'une grande cause éducative : la maîtrise, par toute la population, de l'anglais de communication internationale que la Commission juge faire partie du socle des compétences indispensables à une intégration réussie dans la société du XXIe siècle. Une simple mesure permettrait de faire progresser cette maîtrise beaucoup plus vite que ne le peut l'École seule : l'abolition du doublage à la télévision. On peut en effet observer que dans les petites communautés linguistiques, là où le doublage est économiquement impraticable, les enfants, du fait de leur exposition à l'anglais oral par la vision répétée de films ou séries américains sous-titrés, acquièrent aisément l'usage de cette langue de communication internationale ; c'est le cas par exemple en Grèce, aux Pays-Bas, en Finlande ou en Suède. Il serait astucieux de s'inspirer des résultats de cette expérimentation involontaire pour favoriser en France l'acquisition d'un élément important du socle des indispensables, simplement en inscrivant dans le cahier des charges des chaînes de télévision l'obligation de recourir au sous-titrage plutôt qu'au doublage. » (p. 140). Nous ne commenterons pas ici la pertinence du concept d' « anglais de communication internationale » ni de celui de « socle des compétences indispensables ». Nous ferons trois remarques : d'abord, il semble poindre une vision un peu condescendante de ces jeunes qui regardent de façon répétée des séries et des films américains. Ensuite, cet argument non seulement va à l'encontre des habitudes françaises, mais ne prend absolument pas en compte la situation économique des télévisions françaises (pour cela, je renvoie à la discussion menée à ce sujet sur le forum). Enfin, si cette mesure peut permettre aux professeurs d'anglais d'avoir un plus grand spectre de documents à utiliser en classe, elle semble bien peu efficace pour un apprentissage « sauvage » de l'anglais.

La réflexion de la commission Thélot sur l'éducation aux médias est donc loin d'être révolutionnaire et oublie tout un pan de la production télévisuelle : la fiction. Ce qu'elle propose comme éducation avec les médias est globalement irréalisable, voire dangereux, et méconnaît totalement la réalité économique de la télévision. Cependant, une idée rapidement développée dans le rapport Thélot est intéressante, en ce qu'elle soulève un problème encore non résolu et qu'elle fait le lien entre la recherche et l'enseignement - axe absolument pas développé dans le rapport, alors que c'est ce qui pourrait permettre une vraie révolution dans la conception de l'éducation aux médias. La commission Thélot s'interroge sur les effets de l'exposition médiatique et regrette l'absence d'études sérieuses à ce sujet : « La Commission regrette l'insuffisance des données fiables en France sur la manière dont l'environnement médiatique influe sur le comportement ainsi que sur la personnalité des jeunes et affecte en conséquence le projet éducatif de la Nation mis en oeuvre à travers son École. Un programme de recherches permanent devrait être lancé, peut-être à l'initiative du CSA ou, selon la Défenseure des enfants, par une instance pluri-médias de classification, en vue de produire des connaissances sûres actualisées à mesure que l'environnement médiatique évolue afin de les porter à l'attention du public. » (p. 139). En tant que personne aimant la télévision, en tant que doctorante sur les séries télévisées, en tant que professeur en collège, il me semble que seule cette dernière idée apporterait réellement quelque chose à l'intégration des médias à l'Education Nationale. La mise en place des autres mesures proposées serait au mieux une stagnation, au pire une régression non seulement de l'idéal éducatif de la plupart des professeurs, mais encore de l'aspiration d'un grand nombre d'entre eux à mieux enseigner les médias dans leurs classes.