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:: Chroniques > De l’éducation aux médias ::

Quelle formation aux médias pour les professeurs ?

par Séverine Barthes

La formation aux médias des professeurs est un problème majeur : elle est nécessaire pour permettre le développement d'une éducation aux médias et d'une véritable analyse de l'image dans les écoles françaises.

L'analyse des médias en tant que telle est au programme dans différentes matières : le français, l'histoire-géographie, l'éducation civique. D'autre part, tous les professeurs peuvent utiliser les médias dans leurs cours, comme supports pour d'autres apprentissages ou comme objets d'étude propre, et ce même les professeurs de disciplines scientifiques. Il est donc évident que le problème de la formation des professeurs à l'analyse des médias est un problème majeur.


La formation initiale des professeurs

Pour tenter de saisir la formation initiale des professeurs, le plus simple est de regarder les programmes des concours externes de recrutement (CAPE pour l'enseignement primaire, CAPES et agrégation pour l'enseignement secondaire) et leurs épreuves. En effet, les concours modèlent en grande part les cursus universitaires qui les précèdent, notamment en sciences humaines où l'enseignement est le principal débouché.

En dehors des concours d'enseignement artistique, l'analyse de l'image et, a fortiori, celle des médias ne sont pas au programme et leur maîtrise n'est validée par aucune épreuve et ce, même en français où, cependant, l'analyse de l'image apparaît en tant que telle dans les programmes à chaque niveau. Il n'y a pas non plus d'épreuve à ce sujet au CAPE, alors même que l'analyse de l'illustration, par exemple, est au programme du cycle 3 (CE2, CM1 et CM2).

Quant à l'analyse des médias proprement dite, elle n'apparaît dans aucun concours. Les professeurs des écoles et les professeurs des Lycées et Collèges ne sont donc pas évalués, alors même que ce type d'analyse est au programme dans certaines matières et qu'elle se répand de plus en plus dans toutes les disciplines. On ne s'étonnera donc pas que les médias soient à ce point ignorés dans les établissements scolaires.

Bien évidemment, certains professeurs ont, par goût ou par intérêt, suivi lors de leur formation initiale une « spécialisation » sur l'analyse des médias ou de l'image. Eux peuvent utiliser leur formation universitaire dans leur pratique professionnelle, mais ils sont une minorité.


La formation continue des enseignants

Les concours internes
Si l'analyse de l'image et des médias est totalement absente des concours externes de recrutement des professeurs, sauf dans le cas des enseignements artistiques, une petite place leur est accordée aux concours internes, c'est-à-dire aux concours ouverts aux fonctionnaires ayant au moins trois ans de service (cinq pour l'agrégation interne). Ainsi, parmi les œuvres au programme de l'agrégation interne de Lettres Modernes, il y a tous les ans un film de cinéma. Il y a donc une évaluation de la capacité des candidats concernant l'analyse de l'image, mais pas concernant celle des médias.

Les formations du PAF
Le Plan Académique de Formation présente, pour chaque académie, la liste des stages auxquels les personnels de l'Education Nationale peuvent participer. L'analyse de l'image et des médias a une place de choix dans ces stages. La qualité et l'intérêt d'une formation dépendent bien évidemment de la personnalité du formateur, mais aussi de celle des participants. Cela est tellement fluctuant que ce ne peut pas être pris en compte ici. Cependant, il est possible d'en discuter de façon globale.

Ces stages durent généralement de deux à trois jours, consécutifs ou non. Les inscriptions étant, bien qu'encadrées, libres, le niveau des participants est hétérogène, de même que le type d'établissement d'origine, l'expérience professionnelle et la formation initiale sont très divers. De ce fait, ces formations sont généralement inadaptées aux professeurs les moins formés et inutiles aux plus avancés. D'autre part, le stage ne répond pas forcément aux attentes du professeur, aux problèmes qu'il rencontre dans ses classes. Ce n'est donc pas le moyen de formation le plus efficace et il n'est pas certain que le bénéfice tiré de ces formations et l'amélioration de l'enseignement soient si importants en regard des contraintes économiques et organisationnelles (car un professeur absent implique le remplacement obligatoire en primaire et un changement d'organisation pour gérer l'absence dans le secondaire) que la participation à un stage cause.

D'autre part, il est illusoire de croire qu'on peut apprendre à analyser des images fixes, des documents audiovisuels ou des extraits d'émissions radiophoniques ou télévisuelles en deux ou trois jours. Au mieux, les professeurs repartent avec des activités toutes prêtes pour leurs classes. En aucun cas, les connaissances acquises par eux ne leur permettent pas de créer leurs propres activités, voire, pour les plus motivés, leurs propres séquences [[Une séquence est un ensemble de séances dédié à un objectif d'enseignement : par exemple, dans le cas qui nous occupe, on peut imaginer une séquence, en français, sur l'adaptation d'un roman au cinéma ou à la télévision, sur la lecture de la presse ou sur les relations entre texte et illustration.]].

Dans tous les cas, les formations ouvertes aux enseignants concernant les médias ne prennent pas en compte la nécessaire recontextualisation des images. Les savoirs nécessaires pour y réussir sont nombreux et le « saupoudrage » effectué ne suffit pas à maîtriser les structures économiques, sociologiques, culturelles qui sous-tendent la production médiatique et qui ne peuvent être occultées si l'on désire analyser finement et correctement les médias.
Les possibilités de formation telles qu'elles existent aujourd'hui ne permettent pas de répondre à ce besoin. En outre, peu de professeurs sont conscients de la nécessité de ces savoirs. Cette « inconscience » est en partie due au fait que les formations proposées, en présentant des activités en kit, ne mettent pas en perspective les analyses effectuées. D'autre part, il serait trop coûteux en temps de donner tous ces éléments de savoir, d'autant plus qu'une grande part des professeurs attendent, à juste titre vu les possibilités de formation qu'ils ont, des activités exploitables rapidement en classe.
L'effort de formation repose donc uniquement sur le professeur et son implication personnelle, à condition qu'il ait un intérêt particulier pour ces problématiques et qu'il soit conscient des difficultés de cet enseignement.
D'autre part, cet enseignement pâtit d'un manque de recherche didactique [[La didactique consiste à réfléchir sur la transmission des savoirs, de la formalisation universitaire à sa nécessaire vulgarisation pour l'enseignement primaire et secondaire. Une véritable didactique des médias est encore largement à inventer.]], qui bien évidemment est lié aux problèmes que nous avons déjà soulevés. Il n'y a pas de professeurs ou de chercheurs réellement engagés dans ce type de réflexion, qui connaissent à la fois le domaine de la recherche et le terrain de l'enseignement dans le primaire ou le secondaire. Il n'y a donc pas de création d'outils qui aident les professeurs à s'emparer de ces objets d'étude.


Les ressources destinées aux enseignants

A ces possibilités de formation s'ajoutent des lieux où les professeurs peuvent ponctuellement trouver des ressources, lors de temps institutionnalisés, comme la Semaine de la Presse et des Médias, ou sur demande.

Le CLEMI
Le Centre de Liaison de l'Education et des Moyens d'Information a pour but de promouvoir l'éducation aux médias dans l'Education Nationale. Il organise notamment la Semaine de la Presse et des Médias, dont la seizième édition a eu lieu la semaine dernière, qui est le temps fort de l'année scolaire consacré aux médias, s'occupe des stages du PAF concernant les médias et propose, tout au long de l'année, des après-midi ou des journées d'étude.

Durant la Semaine de la Presse et des Médias, grâce à des partenariats noués entre le CLEMI et les grands groupes de presse écrite, les stations de radio et les chaînes de télévision, des journaux et des magazines sont diffusés gratuitement dans les établissements en ayant fait la demande et des journalistes se déplacent à la rencontre des classes. Le CLEMI diffuse à cette occasion un dossier, qui propose des activités à mener en classe, de la maternelle au lycée, et des fiches informatives sur des thèmes tels que la publicité ou l'organisation d'un journal radiodiffusé. Beaucoup de professeurs abordent la presse à ce moment et la Semaine de la Presse et des Médias a permis de faire entrer plus largement les médias dans les classes.

Cependant, tout n'est pas parfait. Ainsi, les activités proposées sont présentées, pour beaucoup, de manière trop succincte : pour travailler sérieusement les pistes proposées, il ne suffit pas de suivre le « mode d'emploi » décrit, qui n'est pas directement exploitable en classe. Il faut créer soi-même des grilles d'analyse ou d'écoute, des documents permettant aux élèves de prendre des notes et de synthétiser leur analyse, ce qui nécessite, de la part du professeur, non seulement une connaissance des modes d'analyse de l'image et des médias, mais encore un recul suffisant, qui ne peut être effectif qu'avec des savoirs bien supérieurs à ceux dispensés dans les brochures du CLEMI.

Le CLEMI, qui a donc été le fer de lance de l'éducation aux médias et a permis une diffusion de la presse au sein des établissements, a eu un rôle extrêmement bénéfique sur la prise en compte des médias dans l'enseignement. Cependant, deux points sont à revoir :
- un travail plus large de pédagogie à destination des professeurs est nécessaire, par exemple en leur fournissant des modèles de grilles d'analyse ;
- le CLEMI s'occupe de la presse et du discours d'information, ce qui exclut toutes les autres formes de texte télévisuel ou radiophonique : fictions, publicité, télé-achat, télé-réalité...

Les Points Médias Conseil
Les Points Médias Conseils sont des cellules réparties par district, qui offrent aux professeurs du district du matériel et des ressources concernant les médias et le multimédia (logiciels et périphériques). Les professeurs peuvent aussi y trouver de l'aide pour exploiter et utiliser ce matériel en classe. Ce sont des professeurs déchargés [[Certains professeurs sont déchargés de leur service d'enseignement pour accomplir d'autres tâches, notamment celles de formation des professeurs.]] qui gèrent les PMC.
L'utilisation des PMC dépend bien sûr tout d'abord de la personnalité des personnes qui les ont en charge. Cependant, un certain nombre de professeurs ignorent l'existence des ces lieux où ils peuvent trouver le matériel qui les intéresse et une assistance technique. Il est dommage qu'il n'y ait pas davantage de communication autour des PMC qui permettent une aide ponctuelle et adaptée.


Des propositions pour améliorer l'éducation aux médias

Le problème principal est, nous l'avons vu, la faiblesse de la formation des enseignants. C'est donc sur ce point qu'il est nécessaire d'influer.
Je crois qu'il faut tout d'abord faire le deuil de l'idéal de la formation de tous les enseignants. En effet, puisque tous les professeurs, potentiellement, peuvent utiliser l'image et les médias, l'Education Nationale considère qu'il faut tous les former, « à égalité », pourrait-on dire. La seule solution alternative est alors de former des professeurs spécialisés dans l'analyse de l'image et l'éducation aux médias. Cependant, cela ne signifie pas pour autant la création d'une matière spécifique et d'heures dans l'emploi du temps des élèves.

On pourrait tout à fait imaginer que des professeurs déjà recrutés et déjà en poste, particulièrement intéressés par ces problématiques, fassent acte de candidature auprès du ministère ou du rectorat. Le ministère ou le rectorat statue sur les demandes et qualifie ceux qu'il pense les plus aptes ou les plus motivés par cet enseignement. S'ensuivrait alors une année de formation, en échange d'un allègement de service partiel ou complet. A la fin de cette année, il y aurait un examen, qui décernerait une certification complémentaire [[La certification complémentaire fonctionne comme un examen. Contrairement à un concours, il n'y a donc pas un poste affecté pour chaque lauréat. Cette année, pour la première fois, une certification complémentaire pour l'enseignement de l'option « Cinéma et Audiovisuel » au lycée a été créée.]] « Education aux médias ».

Les professeurs ayant cette certification pourraient alors être nommées « personnes référentes Education aux médias » dans les établissements. Elles assureraient une partie de leur service dans leur discipline d'origine (français, mathématiques, SVT, anglais...) et seraient déchargées de reste de leur service. On peut imaginer une répartition deux tiers / un tiers, voire moitié / moitié. Durant ce temps « libéré », ces professeurs assureraient au coup par coup, à la demande de leurs collègues, des mini-formations en relation directe avec les problèmes rencontrés par eux, prépareraient avec eux leurs cours consacrés à l'étude des médias et pourraient même intervenir dans leurs classes.

L'avantage de la certification complémentaire et de la continuité d'exercice dans la discipline d'origine est une plus grande fluidité dans la gestion des personnels. En effet, si un professeur ayant la certification complémentaire est nommé, lors des mouvements de mutation, dans un établissement comportant déjà un professeur référent en éducation aux médias, il fait alors l'intégralité de son service dans sa discipline d'origine. Bien évidemment, si l'on mettait en place un tel système, ce serait plutôt le problème inverse qui risquerait de se poser les premières années : il faudrait alors décréter un période transitoire, le temps de certifier suffisamment de professeurs pour quadriller le territoire. Il est également possible de gérer ces postes dans le cadre du mouvement spécifique [[Le mouvement spécifique concerne la gestion des postes à profil ou à exigences spécifiques (par exemple, enseignement aux élèves handicapés, aux élèves non francophones, enseignement d'options transdisciplinaires pour lesquelles il n'existe pas de concours, comme l'histoire de l'art ou le cinéma et l'audiovisuel). Le mouvement spécifique de mutation a lieu avant le mouvement général.]], et non du mouvement général.

Cette solution serait, je pense, à la fois la plus productive (on répond au besoin quand il se présente, de façon personnalisée) et la plus économique (on ne crée ni de nouveau concours, ni de nouvelle matière). D'autre part, le nombre de postes à créer, pour compenser les décharges partielles de service, serait bien moindre que si l'on créait une nouvelle matière. Bien évidemment, dans une logique purement économique, on peut considérer que c'est déjà trop. Cependant, le bénéfice, en terme d'efficacité de l'enseignement, serait tel que, sur le long terme, cela paraît tout à fait justifié.