Le Monde de l'Education est un magazine mensuel dont le lectorat visé est la communauté scolaire, à savoir les professionnels de l'éducation (enseignants, personnels de vie scolaire, personnels administratifs d'encadrement) et les parents. Ce magazine s'intéresse à l'actualité du système éducatif, aborde les problématiques pédagogiques, s'intéresse aux expérimentations mises en place par les professeurs novateurs, se fait l'écho des systèmes éducatifs à l'étranger... Cependant, l'éducation à l'image n'était pas un des axes privilégiés par la ligne éditoriale du magazine. Cet état de fait a sûrement contribué à en faire l'objet d'une chronique régulière depuis le mois de septembre 2005.
En effet, de courtes chroniques (entre 400 et 500 mots) font partie de la première partie de ce magazine, intitulée « Actualités / brèves ». Ces chroniques durent généralement une année scolaire, sont écrites durant ce laps de temps par une seule personne sur un axe précis. Cette année, l'une d'entre elles s'appelle « L'éducation sur le petit écran » et est écrite par Divina Frau-Meigs. Le choix de cette chroniqueuse s'explique aisément par son aura médiatique : cette sociologue est en effet l'auteur de plusieurs livres sur les médias et est une des invités récurrentes des plateaux télé et radio lors des débats sur ce sujet. Cependant, cette visibilité médiatique n'est pas forcément en rapport direct avec la pertinence de cette chercheuse. Ce choix rappelle à ceux qui en douteraient encore le grand problème en France rencontré par l'éducation aux médias : les spécialistes pertinents sont très rares et souvent invisibles, tandis qu'on écoute, depuis les plateaux de télévision jusqu'aux arcanes du pouvoir, des gens qui considèrent avec la condescendance propre aux « intellectuels » les médias et, plus spécifiquement, la télévision et qui travaillent sur l'éducation aux médias depuis le confort de leur bureau universitaire et non depuis une salle de classe fréquentée quotidiennement. Cet état de fait est d'ailleurs à l'origine de la situation que nous connaissons en France, avec une éducation aux médias qui se place presque uniquement au niveau de la théorisation (nécessaire, mais non suffisante pour la faire entrer de plain-pied dans les classes) et une surreprésentation d'un genre considéré comme « noble », l'information, au détriment des autres genres radiophoniques et télévisuels (nous laissons volontairement de côté la presse écrite dont l'étude, plus ancienne, a commencé déjà à évoluer vers une prise en compte plus grande de la presse autre que celle d'information).
Concernant le contenu de la chronique proprement dit, nous nous fonderons uniquement sur celle de septembre 2005 (la seule publiée à ce jour). Le titre de la chnoque annuelle est « L'éducation sur le petit écran », ce qui permet de supposer deux axes possibles : l'éducation à l'écran (comment éduquer à la « lecture » de la télévision ?) ou l'éducation avec l'écran (comment utiliser des ressources audiovisuelles dans le cadre d'un enseignement ?), qui étaient déjà les deux axes présents dans le rapport Thélot.
A la lecture de la première chronique, intitulée « Preuve que la critique paie », il ne s'agit ni de l'un ni de l'autre. En effet, Mme Frau-Meigs se livre ici à un travail d'autosatisfaction et décerne les bons et les mauvais points aux différents programmes diffusés dans les émissions pour la jeunesse. Elle commence par rappeler le combat mené dans les années 1990 contre les programmes d'animation japonaise, en les mettant d'ailleurs dans le même panier que les productions américaines, ce qui dénote une double méconnaissance du problème : d'abord, les programmes cités (Dragon Ball Z et, plus curieusement, Goldorak qui n'appartient pas aux jalons chronologiques que la chroniqueuse se donne elle-même) ont souffert d'un problème de programmation (ils n'avaient rien à faire dans une émission jeunesse, c'est donc moins leur contenu que leur programmation en France qui pose problème) ; ensuite, il est difficile de rapprocher production japonaise et production américaine, à moins de n'y rien connaître, ce qui semble être la cas de Divina Frau-Meigs.
Cette dernière, après ce rappel, prend acte d'un changement de nos jours : « Le paysage audiovisuel a bien changé. Preuve que la critique paie. » ; et s'intéresse à deux dessins animés qui lui semblent particulièrement intéressants et représentatifs de cette mutation : Le Petit Vampire et Zoe Kesako. Elle résume leur argument et vante leur absence de violence : « Dans ces deux séries, la violence, quand elle existe, ne se résout pas par de la violence, mais par l'humour et le dialogue. Les auteurs ont intégré la critique des associations de parents et d'éducateurs sans tomber dans l'hygiénisme désincarné de l'animation Disney. » Cette phrase appelle deux remarques : tout d'abord semble se faire jour un anti-américanisme primaire (l'attaque dépourvue de toute argumentation contre Disney sera répétée avant la fin de l'article) ; ensuite rendre responsables de la violence (ou de l'absence de violence) les seuls auteurs, c'est méconnaître totalement la structure de la production d'un programme télévisuel : quid de la responsabilité du commanditaire (très souvent, la chaîne qui diffuse en premier le programme) ou du producteur ?
Enfin, en conclusion, Divina Frau-Meigs appelle à la vigilance, car elle voit dans le développement des chaînes thématiques et même dans certaines cases des chaînes généralistes un retour des programmes qui lui semblent délétères. Cette dénonciation se fait à travers des arguments flous qui mettent en cause le grand méchant loup capitaliste américain (à savoir, Disney, dans l'exemple qu'elle cite en appui de son propos). Dans sa conclusion, elle reprend l'argument de la segmentation entre filles et garçons qui affleurait dans son introduction (d'une manière, encore une fois, non argumentée et péremptoire) : « Et, sur le câble, les chaînes jeunesses recyclent les séries violentes de superhéros et segmentent entre filles et garçons... La multiplication des chaînes n'est donc pas nécessairement porteuse de plus de diversité de l'offre... ».
Que conclure de ce rapide compte-rendu de la chronique de Divina Frau-Meigs ? Tout d'abord, que le titre qui laissait présupposer une analyse de la télévision, comme objet d'enseignement ou comme outil d'éducation, est à l'heure actuelle mensonger (on peut toujours espérer un recentrement de contenu dans les prochains numéros). Il n'y est nullement question d'éducation : il s'agit uniquement de parler de la télévision, plutôt d'ailleurs avec condescendance et mépris. Ensuite, l'auteur, qui est considérée comme une spécialiste, n'en est pas vraiment une : même si, dans le cadre d'une chronique courte, il n'est pas forcément aisé de citer ses sources et de rentrer dans les détails, il est possible de ne pas commettre d'erreurs. Enfin, la position de juge, voire de moralisatrice, que se donne la chroniqueuse, est loin de la position d'expert, voire de scientifique, qui siérait à une réelle chronique sur l'éducation à l'image.
Cependant, le but n'est pas d'accuser l'auteur de la chronique : les torts semblent plutôt partagés. En effet, écrire une chronique aussi courte sur le sujet n'est pas aisé et il mériterait des articles bien plus substantiels. Le choix de la chroniqueuse est aussi problématique : Divina Frau-Meigs est, nous l'avons dit, reconnue comme une des grandes spécialistes françaises de l'éducation aux médias mais il n'y a pas, de son image à la réalité, solution de continuité. D'autres auraient été bien plus pertinents, même s'ils sont moins connus (et ces chroniques du Monde de l'éducation sont régulièrement tenus par des gens qui n'ont pas d'autres qualifications que d'être des professionnels de l'Education Nationale ; la reconnaissance médiatique n'est donc pas un critère essentiel de choix).
Enfin, le problème plus général posé par cette chronique, c'est celui de la place de l'éducation aux médias : en effet, publier ce genre de papier n'aide pas à la reconnaissance de la nécessité d'une vraie réflexion sur l'éducation aux médias. D'autre part, cette chronique perpétue le choix dominant d'experts sur ce sujet et, ce faisant, empêche l'émergence d'interlocuteurs pertinents. N'oublions pas que Le Monde de l'Education est lu par les enseignants, qui, souvent désireux de se perfectionner dans le domaine des médias, vont sûrement aller lire les ouvrages de Mme Frau-Meigs et perpétuer non seulement une approche discutable des médias, mais encore la dominance du travail sur les programmes d'information. D'autre part, il est aussi lu par les parents, donc par un public plus large, ce qui permettra de continuer à accroître la reconnaissance d'experts peu nombreux et à restreindre l'accès aux sphères médiatiques de nouveaux chercheurs et de nouveaux penseurs sur ces sujets. On aurait donc pu attendre du Monde de l'Education, habituellement moins consensuel et plus réfléchi, un choix plus intelligent et une position plus novatrice sur ce sujet.
On peut donc saluer la tentative de publier, dans un journal largement diffusé, une chronique régulière sur l'éducation aux médias, ce qui montre aussi qu'il s'agit d'un sujet devenu important. Cependant, cette tentative semble maladroite et un réel discours intelligent, non méprisant et construit est encore à fonder.