ACTU – Qui veut piquer les millions de France Télévisions ?
Grosse incertitude budgétaire à France Télé (encore !)
Par Sullivan Le Postec • 27 août 2009
Quelques mois après l’entrée en vigueur de l’arrêt de la publicité après 20 heures, qui a déjà déstabilisé profondément les chaînes du Service Public pendant toute la durée de la préparation de la réforme, en 2008, de grosses incertitudes pèsent à nouveau sur le financement du groupe. Décryptage.

Plusieurs informations sont sorties dans la, presse ces derniers, jours, notamment sur le blog Médias d’Emmanuel Berretta du Point, concernant le financement de France Télévisions. A nouveau, le financement de l’audiovisuel public est remis en cause. Le Village essaye de vous aider à y voir un peu plus clair.

Diriger une entreprise sans connaître et sans avoir la maîtrise de son budget. C’est la tâche ubuesque à laquelle sont confrontés les dirigeants de France Télévisions depuis 18 mois et l’annonce de la suppression de la publicité sur ses antennes. Et ça va continuer encore un moment !...

Précédemment

Petit rappel des faits. Janvier 2008, Le Président Sarkozy fait une grande conférence de presse. Problème : il n’a pas grand-chose à dire. Il décide un peu au dernier moment (la Ministre de la Culture n’est pas au courant et l’apprend en même temps que les journalistes...) de supprimer la pub sur les chaînes du Service Public. Il fait ainsi d’une pierre plein de coups. Ca fait parler de lui. C’est une réforme marquée de gauche, donc ça les embarrasse, donc il est content. Ca détourne l’argent des budgets pub dévolus à France Télé vers des chaînes privées, gérées par des amis comme Bouygues (qui lui a soufflé la réforme dans un rapport peu auparavant) ou Bolloré. Un coup de pouce dont le premier, notamment, a bien besoin : la gestion catastrophique de TF1 depuis 5 ans a conduit la chaîne à rater le virage de la TNT et à échouer totalement à renouveler ses programmes. Elle a perdu 10% de part de marché en moins de dix ans.

Mais là, re-problème : la pub, ça rapporte à France Télé un peu moins de 800 millions d’euros. Par an. Il va falloir les trouver ailleurs. Il y a une solution logique : la redevance est, en France, parmi les plus basses d’Europe et ne permet pas de financer correctement les chaînes du groupe. Seulement, Nicolas Sarkozy a été élu pour être le Président du pouvoir d’achat, qui est plutôt en baisse, et pour baisser les impôts. Donc la redevance, c’est logique mais ce n’est pas possible.

Première réponse : on décide de procéder en deux temps 2009 puis 2012 pour la suppression totale de la pub, et on met en place une commission, présidée par Jean-François Copé, qui va devoir trouver par quel moyen faire la réforme qui a déjà été annoncée sans que personne ne se préoccupe encore de sa mise en pratique. A ce stade, France Télévisions sait déjà qu’elle n’aura plus de publicité dans 10 mois, mais n’a pas la moindre idée des sources de budget alternatives qui, éventuellement, seront mises en place. Pire : les publicitaires tendent à prendre de l’avance et commencent à déserter les espaces du groupe. Sur la seule base d’une annonce précipitée, France Télévisions perd déjà de l’argent. L’Etat s’engage alors à « compenser » euro pour euro le manque à gagner.
Comme chacun sait que les promesses engagent avant tout ceux qui les écoutent, la Direction de France Télévisions joue la carte de la prudence, tout en prétendant officiellement le contraire. Dans les médias, on rapporte que toutes les commandes sont poursuivies habituellement. Chez les scénaristes et les réalisateurs habitués à travailler pour France Télé on rapporte une multitude de cas de projets en stand-by ou reportés.

La commission, après tractations et pressions des chaînes privées militant pour une réduction drastique du budget de France Télévisions, arrive à un compromis : l’arrêt de la publicité après 20h fera perdre à au groupe 450 millions d’euros [1].

Au terme de ses travaux, la commission invente une usine à gaz, qui fait reposer le financement de France Télévisions sur une augmentation de 2€ de la redevance pour tenir compte de l’inflation, une taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées (puisqu’elles vont récupérer une partie des recettes de France télé) et une taxe sur les opérateurs téléphonie et Internet (puisqu’ils diffusent du contenu audiovisuel). Une usine dont on ne manquera pas, à l’époque, de soulever le caractère bancal et douteux. Mais la réforme est définitivement adoptée (quelques jours après sa mise en application effective en janvier dernier, vive la démocratie), la publicité disparaît après 20h. L’Etat versera le manque à gagner pour compenser. C’est promis. Mouais. C’était sans compter qu’une réforme mal ficelée vient toujours vous hanter. Et aujourd’hui les promesses se voient remises en cause sur non pas un, mais deux fronts.

Un trésor de journée

Surprise. On avait prévu qu’en 2009, France Télévisions gagnerait environ 260 millions d’euros en vendant ses espaces publicitaires de journée. Mais voilà, les recettes devraient finalement atteindre 330 millions. Un “trésor” de 70 millions qui n’aura pas mis longtemps à attirer les vautours. Le Ministère de l’économie militerait auprès de Matignon pour mettre la main dessus, en soustrayant 70 millions aux 450 millions de compensation prévue, même si celle-ci n’a rien à voir car elle concerne la pub d’après 20h. Par ailleurs, la somme de 450 millions est inscrite dans la loi, mais l’avantage de la loi, c’est qu’il suffit d’un nouveau vote pour la réécrire.
Tandis que l’on a de cesse de faire de cadeaux aux chaînes privées (la suppression de la pub sur France Télé en était un premier, mais il y a eu aussi la seconde coupure qui leur a été accordée à l’intérieur des fictions, les quotas d’obligation de production d’œuvres en baisse), France Télévisions se verrait punie de sa bonne gestion. Car c’est de cela qui s’agit, le bonus de recette venant en effet d’une part de la cible touchée assez largement par le groupe, les cadres supérieurs (qui explique de la même manière que Canal+ ne soit pas touchée par la crise du marché publicitaire contrairement à TF1 et M6), d’autre part d’une politique tarifaire adaptée à contrario de TF1 qui a maintenu trop longtemps des tarifs surévalués (et fortement dévalués depuis pour essayer d’atteindre les recettes de France Télé), et enfin d’une embellie dans la case de 19h après l’échec des programmes du second semestre 2008.

Bref, en ce moment à France Télévisions, que l’on gère bien ou mal, à tous les coups on perd ! Remarquez, les nominations récentes à la tête de Radio France ont démontré qu’il ne fallait pas compter sur de bons résultats pour se mettre à l’abri du fait du Prince et de sa volonté de contrôle.

L’utilisation qui pourrait être faite de ces 70 millions est pourtant logique : France Télévisions accuse un déficit de 137 millions qui pourrait être donc réduit de moitié, progression vers l’équilibre qui doit être atteint en 2011 selon le plan signé avec l’Etat.

Une enquête européenne

Mais ce n’est pas tout. En effet, Le Point a également révélé que la Commission Européenne a décidé de lancer une enquête, afin de vérifier que la réforme française ne contrevient pas aux principes européens de concurrence libre et non faussée. C’est toute la compensation de 450 millions d’euros qui pourrait se voir remise en cause !

Il faut avouer que l’usine à gaz décrite sommairement plus haut prête effectivement largement le flanc à la critique. Le budget de France Télévisions y est en effet directement versé par l’Etat pour un montant dont les bases de calcul sont floues, puisque la somme de 450 millions a été fixée administrativement et ne correspond pas à une ligne de recette claire (comme ce serait le cas dans un système transparent à l’anglaise où « recettes de la redevance = budget de l’audiovisuel public »).
En outre, les principes sur lesquels sont fondés une partie des recettes que l’Etat dit attribuer au budget de France Télévisions peuvent en effet prêter à débat. Le prélèvement d’une partie des recettes publicitaires des chaînes privées a derrière lui une certaine logique, si on s’abstient de prendre en cause qu’il fait reposer le financement de France Télévisions sur le succès de ses concurrents ! Surtout, il se base sur la théorie d’un transfert des recettes perdues du public vers le privé qui n’est pas dénuée de bon sens mais très difficile à prouver, et encore plus à quantifier. Surtout dans la mesure où la crise économique a fait s’effondrer les recettes publicitaires de TF1 et M6 et que celles-ci peuvent donc facilement nier tout transfert, même si on sait bien qu’en réalité, leurs pertes auraient été encore plus importantes sans la réforme.
Quant à la taxe sur les opérateurs téléphoniques et internet, elle tombe tellement de nulle part (les contenus audiovisuels qu’ils diffusent, ils les payent ! — Et leur faire financer le piratage ainsi, à la sauvette, n’a ni beaucoup de justifications, ni beaucoup de cohérence avec les autres approches du gouvernement dans ce domaine) qu’il n’est pas très étonnant que la Commission Européenne la voie d’un mauvais œil.

Au sortir de cette été, France Télévisions se retrouve donc replongée avec vigueur dans les mêmes tourments que ceux qui la handicapent depuis plus d’un an et demi : une incertitude total quant au budget sur lequel le groupe peut compter, dans un domaine où il faut justement prévoir (de la convention d’écriture à la diffusion d’une fiction, il se passe souvent au moins deux ans...). Pour le gouvernement qui prétend le défendre, il devient difficile de ne pas constater qu’il le maintient au contraire dans un état de précarité et d’incertitude très déstabilisant. Et cette année est aussi celle de la fin du mandat de Patrick de Carolis. Autant dire que rien n’est près de s’arranger...

Dernière mise à jour
le 2 septembre 2009 à 01h11

Notes

[1Le calcul, en effet, n’est pas forcément aussi simple qu’on peut l’imaginer. D’abord, il est toujours difficile d’estimer les ventes de l’année prochaine, soumises à des impondérables comme la crise financière actuelle. Par ailleurs, les espaces publicitaires de journée étaient souvent vendus en pack avec des espaces du soir. Seuls, ils deviennent plus difficiles à vendre.