BILAN — L’année 2007 de la fiction française
Retour sur une année charnière
Par Sullivan Le Postec • 31 décembre 2007
Chronique de 2007, une année importante pour la fiction française. Une année dont on espère qu’elle sera l’an 0 du renouveau...

Il est n’est jamais facile de relater l’histoire à mesure qu’elle s’écrit, mais enfin on peut sans doute dire sans prendre trop de risque que 2007 fut une année charnière pour la fiction télé française. Même s’il est encore beaucoup trop tôt pour dire si la période à venir sera celle d’un renouveau, d’un effondrement, où si l’agitation de cette période n’aura servi qu’à mieux faire du surplace, il n’est sans doute pas inutile de faire le bilan d’une année riche en rebondissements.

TF1 : l’année du crash

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L’Hôpital

Ce qui est arrivé à la fiction française de TF1 en 2007 a quelque chose de vaguement satisfaisant, comme la morale bien trouvée d’un conte populaire. Après 15 ans de massacre, le principal responsable de la paupérisation de la téléfiction française voyait s’abattre sur lui le retour de bâton. Sous l’influence de la fiction étrangère, principalement américaine, les goûts d’une frange importante du public se sont brutalement sophistiqués. Il n’est plus vraiment possible de fournir à ceux-là la fiction ultra formatée, calibrée au millimètre, avec ses milliers de tabous et de règles, écrites ou non, qui avait fait la domination commerciale et culturelle de TF1 depuis sa privatisation, depuis l’invention du ’’Système Navarro’’, qui fut dupliqué jusqu’à l’asphyxie. Alors, à l’exception peut-être de ses figures les mieux connues et ancrées (celles qui sont parvenues malgré tout à un niveau minimum de personnalité), telles que « Julie Lescaut » et « Joséphine Ange Gardien », les fictions classiques de la chaîne ont sérieusement périclité.
Or après autant de temps passé à castrer les créatifs habitués à travailler pour la chaîne (qui rechigne beaucoup à aller en chercher d’autres) le problème est que TF1 ne sait plus rien faire d’autre. Et doit faire face à l’échec de ses méthodes anciennes, au premier rang desquels figure le “photocopillage”. TF1 a décalqué « Navarro » en une multitude de héros aux contours similaires, et espérait pouvoir faire marcher la même photocopieuse sur les succès américains. Làs, la qualité de la copie n’a pas convaincu et les faux n’ont pas passé la douane. « L’Hôpital » a été une catastrophe, mais ni « Section de Recherche », ni « Paris Enquêtes Criminelles » n’ont vraiment brillé. En 2008, TF1 doit ni plus ni moins réinventer sa fiction de A à Z...
Sauf que, TF1 étant TF1, et sa puissance étant ce qu’elle est, la jolie morale de 2007 a de gros risques de n’être que très provisoire, avant que la chaîne ne fasse des créatifs et du public les véritables dindons de la farce. Le défi de réinventer la fiction française est difficile ? Courage, fuyons ! Et prenons la tête du combat des lâches pour couper la tête des quotas et réduire à minima la présence de la fiction française sur les grilles des chaînes commerciales. Vous reprendrez bien des « Experts » trois ou quatre fois par semaine ?

France 2 : une année pour rien

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Chez Maupassant

Cherchons bien : il a bien du se passer un truc au niveau de la fiction française cette année sur France 2... L’entrée en matière, évidemment, est de mauvais augure.
Quand 2007 a commencé, France 2 sortait du succès de « David Nolande » et laissait entendre que la commande d’une ’’vraie’’ série longue, avec une vingtaine d’épisodes par an, était imminente. Le bilan sur ces deux fronts est éloquent. « David Nolande » s’est perdu quelque part dans l’enfer du développement. Cet automne, Frédéric Diefenthal laissait entendre qu’il n’était plus vraiment sûr de tourner une suite dont tout indiquait qu’elle n’était pas prête d’arriver. On aurait pourtant espéré que les gens de la fiction de la chaîne auraient appris leur leçon avec « Clara Sheller », mais la malédiction de France 2 semble être de devoir répéter les mêmes erreurs encore, et encore, et encore : aussi souvent qu’elle change ses responsables.
Quant à l’idée d’une saison longue d’une vingtaine d’épisodes, elle n’aura pas passé l’année, la direction de la fiction déclarant aux dernières nouvelles que « la série longue n’est pas la panacée ».
Le reste du monde a compris il y a trente ans que le terrain de l’innovation en télévision était la série, en 2007 France 2 annonce une case dévolue à l’innovation en deuxième partie de soirée consacrée à... une collection de douze unitaires ! Pour lesquels, au passage, elle a eu le plus grand mal à trouver des candidats, ce qui préfigure probablement le niveau moyen de ce qui sera finalement tourné. Le premier tour de manivelle n’est pas encore donné qu’on sait déjà que la case sera un échec cinglant. Le pire étant que cela risque de tuer dans l’oeuf cette case de night time, nécessaire pour qu’on produise en France des fictions qui cassent les moules du ’’ménagèrement correct’’.
A propos de cases, l’annonce de l’année a été l’organisation de la fiction originale de la chaîne en cases thématiques pré-définies. Dans un moment d’intense ironie, ou d’infinie tristesse, c’est au choix, France 2 nous a vendu pour de l’innovation ce qui est très exactement son exact contraire : le formatage à priori. Démonstration par l’exemple à peine quelques semaines après l’annonce : l’intéressante série « Greco » était annulée à l’issue de la première saison pour délit de sale gueule : elle ne rentrait dans aucune des cases mises en place !...
Heureusement, dans cet amoncellement d’incohérence et de manque de perspective, France 2 pu s’enorgueillir du succès massif de la collection « Chez Maupassant » dont on a déjà dit ici qu’il était mérité. Reste que France 2 ne pourra pas construire sa fiction que sur les oeuvres de patrimoine (les seules qui intéressent sa direction)...
Pour France 2 aussi, 2008 sera une année importante. Elle marquera le retour d’une « Nouvelle Clara », la version 2.0 de « Clara Sheller » après une longue traversée du désert et la défection progressive des éléments clefs du casting de la première saison, qui décida la production à en changer intégralement. La série pourra-t-elle y survivre ? Même en cas d’échec, le gouffre de trois ans entre les deux séries de six épisodes fera qu’il sera difficile de rejeter la faute sur la distribution. 2008 marquera également la fin de deux séries qui affichaient fièrement une décennie au compteur : « PJ » et « Avocats & Associés » fermeront leurs portes. Sans jamais avoir véritablement été des phénomènes culturels, elles ont marqué la chaîne, et il reste à voir si les successeurs désignés (« Sur le fil », « Homicides ») sauront combler le vide. On croise aussi les doigts pour que le changement de format ne nuise pas à « Fais pas ci, fais pas ça », et que cette vraie bonne surprise trouve enfin son public en prime time.
France 2 doit résoudre un gros problème d’identité et d’ambition. Se débarrasser de déchets réels ou supposés (« Le Cocon » sacrifié le samedi après-midi, « Les Jurés » exilés sur France 4 en ce mois de janvier) ne suffira pas...

France 3 recherche programmateur

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Le Réveillon des Bonnes

La fiction de France 3 est beaucoup plus intéressante que le cliché auquel il est facile de la réduire (terroir et troisième âge façon « Louis La Brocante »). Le problème, c’est que personne n’est au courant ! En cause, une image de ringarde, voire carrément plouc, dont la chaîne a du mal à se défaire (en même temps, elle ne fait pas beaucoup d’effort) et une conception douteuse de la programmation, qui conduisit à flinguer « Ondes de Choc » à la rentrée (une série sur la multiplicité des points de vue programmée par rafales de trois épisodes) comme déjà « L’Affaire Villemin » l’avait été à l’automne 2006.
Et puis, mais c’est là un défaut universel de la télé française, il existe une grosse difficulté à gérer la communication, qui commence seulement maintenant de lentement se résorber. Les téléspectateurs clients de fictions de qualité ont-ils su que « Ondes de choc », « Le Lien », « Le Réveillon des Bonnes » ou encore « Autopsy » leur étaient proposés ? Rien n’est moins sûr.
France 3 dispose d’une pépite dans ses cartons, « Les Oubliées », qu’elle a finalement renoncé à programmer à la rentrée. Hervé Hadmar nous a indiqué qu’il n’était pas question d’un manque de soutien de la chaîne, mais d’une décision prise avec son consentement pour éviter d’être terrassés par la coupe du monde de Rugby. La série arrivera finalement sur l’antenne de la chaîne fin janvier 2008. Avec un tel délai entre la production et la mise à l’antenne que la mise en chantier d’une éventuelle seconde saison est forcément compliquée. Un problème que ne devrait pas rencontrer « Un Village Français », fiction ambitieuse sur la seconde guerre mondiale dont les différentes saisons sont déjà anticipées...

Canal+ au bout du tunnel

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Reporters

Canal [1] ambitionne de programmer de la fiction originale de qualité et de se rapprocher d’un modèles à la HBO depuis des années. La création de séries maison aura été un véritable chemin de croix qui a finalement débouché en 2007 sur la diffusion de séries de grande qualité. « Reporters » a éveillé chez nous un enthousiasme qu’on espère vous avoir communiqué. « La Commune » a suscité la polémique, générant des papiers dans la presse très positifs et d’autres très critiques. Le gage de l’existence d’un véritable parti pris, ce qui constitue presque un événement en soi.
En 2008, Canal+ diffusera ses premières secondes saisons. Mais celles d’« Engrenages » ou de « Mafiosa » nous semblent parties sur de bien mauvais rails : une grande série est le produit de la vision du monde d’un scénariste. Une série qui change d’équipe créative toutes les saisons a toute les chances d’être avant tout un patchwork incohérent.

Arte fidèle à elle-même

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L’embrasement

En 2007, Arte est restée fidèle a ses ambitions en programmant des unitaires aux amibitions para-cinématographiques d’un niveau moyen de qualité largement au-dessus de la moyenne. Reste qu’à quelques exceptions prêt (« L’embrasement », « Poison d’avril » tous deux programmés en janvier), la fiction d’Arte souffre d’un gros problème d’anonymat. Evidemment, la série constitue une partie de la solution.
2008 devrait voir arriver la seconde saison, dans un format enfin censé, de « Venus et Appollon », en prélude à d’autres séries.

M6 : la surprise

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Les Bleus

M6 aura sans doute été la relative bonne surprise de l’année. Toute proportion gardée, bien sûr, puisque le volume de fiction produit par la chaîne reste très réduit. M6 bénéficie en effet d’un régime dérogatoire sur les quotas (qu’elle accepterait volontiers de voir amplifié) et préfigure ce que sera TF1 si le gouvernement cède à ses revendications.
Les premiers pas dans la police de ses « Bleus » ont marqué l’année de la fiction télé. Et ce même si le public ne fut pas tout à fait aussi nombreux qu’espéré à suivre leurs aventures. M6 s’est montrée ambitieuse puisque, sur la base du succès du Pilote, elle a commandé d’emblée une première saison de 12 épisodes. Au moment de la diffusion cela permis à la série de réussir à s’installer assez pour laisser une trace et un début de bouche à oreille positif qui nous semble de bon augure pour la suite. En outre, la chaîne sera en mesure de livrer une seconde saison de 12 épisodes dès l’année prochaine.
Une démarche de production industrielle qui se cachait derrière déjà « Suspectes », fausse saga d’été et vraie tentative de lancement d’une série longue. Un peu trop poussive, elle n’aura suffisamment convaincu ni le public ni la critique pour transformer l’essai. Mais c’était bien tenté...
Bien sûr, M6 peut aussi se prévaloir d’une des rares ouevres visuelle française qui fasse quaisment l’unanimité. « Kaamelott » a, en 2007, franchit la barrière du prime-time. Quitte à ce qu’il faille désormais Bac+4 pour comprendre qu’elle est la vraie version et dans quel sens on est censé regarder quoi. Le fait est que ça marche et que le public français est donc sûrement moins bête que ne le pense les chaînes. M6 serait bien avisée de continuer comme elle l’a fait : dire oui à tout ce que propose Alexandre Astier, et donc basculer définitivement l’ex-shortcom vers des saisons d’épisodes de 52 minutes...