LA TÉLÉ & SES AUTEURS – ‘‘J’en arrive encore à expliquer ce qu’est le métier de scénariste’’
Cinq scénaristes français nous parlent de leur métier et de ses mille combats quotidiens
Par Dominique Montay • 13 septembre 2010
Olivier Kohn, Cécric Perrin, Jean-Christophe Hervé, Nathalie Lenoir et Aurélie Marteau, tous scénaristes travaillant pour la télévision nous font part de leur façon d’aborder leur métier et nous parlent de leurs destins, tous, vous le verrez, différents.

Télévision et cinéma même combat. Une fonction absente des débats dans les conversations de masses. Au mieux on le confond. « Ah celui qui écrit, c’est le scripte, c’est ça ? Ah non c’est le scénariste ? Mais alors le producteur il fait quoi ? ». En France le schéma est simple, d’abord on montre les acteurs (enfin, les stars), puis le réalisateur. Le maître. Le capitaine. Dans le processus on oublie le scénariste. Celui qui façonne le jouet avec lequel les autres vont s’amuser. Un travail à la fois passionnant et frustrant, mais sans lequel rien ne se fait, et qui a comme fonction de transformer une idée en histoire.

Ça réclame de la patience. Du talent. De la technique. Du savoir-faire. Et de la patience. De la patience pour réussir à en faire son métier. Du talent pour trouver les idées. De la technique et du savoir-faire pour les mettre en forme. Et de la patience pour changer, changer, et changer encore. Passionnant, frustrant, et un peu ingrat. Pour ça il suffit que le réalisateur ou le producteur ne partagent pas votre vision. Et là c’est un enfer. Il ne s’agit plus d’écrire une bonne histoire, mais convaincre les autres qu’elle leur plaît. Un métier de concessions.

Cet article, agrémenté d’entretiens avec des scénaristes de télévision, n’a aucune prétention si ce n’est de relayer leurs propos. Tenter d’aider à comprendre certains détails à défaut de saisir la totalité de la fonction de scénariste. Olivier Kohn, Cécric Perrin, Jean-Christophe Hervé, Nathalie Lenoir et Aurélie Marteau, tous scénaristes travaillant pour la télévision nous font part de leur façon d’aborder leur métier et nous parlent de leurs destins, tous, vous le verrez, différents. Une manière de montrer aussi qu’il n’existe pas un seul chemin pour devenir scénariste. Une aubaine autant qu’un problème.

Une quasi-absence de formation

Les débuts de chacun sont variés, mais se rejoignent sur un point : l’écriture est en eux depuis longtemps. Même si pour certains il mit du temps à se formaliser autour du scénario. Nathalie, par exemple, commença par la partie lumineuse du métier : « J’ai commencé comédienne. Mais à force de participer à des spectacles, je me suis rendu compte que je m’épanouissais plus dans l’écriture. J’ai eu un enfant, donc j’ai du faire une pause, et j’en ai profité pour me former au scénario. Et là comment faire ? ». Olivier, quand à lui, a un parcours assez étonnant, mais somme toute très logique : « J’ai commencé comme critique. Après j’ai gravité autour du scénario. J’ai été lecteur, conseiller de programme sur M6 pendant très peu de temps, puis encore lecteur, chargé de développement. Enfin j’ai gravit les échelons chez CAPA en 1998, conseiller littéraire, directeur littéraire, directeur artistique (sur Ages sensibles)… je suis arrivé scénariste par un concours de circonstances. ».

Quand on leur demande s’il existe un chemin pour y arriver, tous semblent perplexes. Un nom de formation revient malgré tout de manière systématique : le CEEA. Jean-Christophe Hervé « Il y a une formation dont on entend beaucoup parler, c’est le CEEA et c’est à peu-près la seule école digne de ce nom. Il s’y passe beaucoup d’échange avec des gens de la profession. Du coup c’est une vraie formation. » . Sans en faire le chemin à suivre, nos intervenants soulignent que le travail fait là-bas va dans le bon sens. Nathalie Lenoir : « Le travail de la CEEA peut permettre de clarifier la chose, et de créer un statut, voir un cursus. Mais il reste beaucoup de chemin à parcourir. ». Une formation très rare, un statut inexistant font du scénariste un poste à part dans la fiction française.

Le parent pauvre

« Le fantasme en France, c’est un auteur-réalisateur, même si c’est peut-être juste générationnel. Ça permet de mal payer les scénaristes, de s’en débarrasser comme on veut. J’en arrive encore à expliquer ce qu’est le métier de scénariste. Certains gens n’imaginent pas que ça existe. Aux USA, ce sont des rock-stars. Ils ont des assistants pour leurs assistants… ça fait un peu rêver quand même. Il y a du mépris à tous les niveaux… » (Nathalie Lenoir). Du public, donc, qui ne les connaît pas. Des producteurs, qui cherchent à les payer le moins possible. Des diffuseurs, qui composent avec des règles établies. « On est payés à chaque étape du scénario : synopsis, puis séquencier, puis continuité dialoguée. Et après on est payés en droit de diffusion » (Cédric Perrin) « Les droits de diffusion paient un peu moins que ce qu’on touche au moment de l’écriture. Ce qui fait que quand on écrit sans être diffusé, on perd la moitié de son salaire. Il y a des grilles tarifaires suivant l’heure et la chaîne de diffusion. » (Jean-Christophe Hervé) « La valeur varie suivant le diffuseur, hertzien ou TNT. Ca permet d’avoir des revenus vaguement réguliers. Du coup, pour gagner sa vie, on est obligé de passer beaucoup d’options, avec le risque que si tout passe, il faut tout faire. » (Nathalie Lenoir). « Le problème avec les diffuseurs, c’est que ça leur coûte moins cher d’acheter une série américaine que de produire une série française. » (Cédric Perrin). « C’est un combat constant entre agents et producteurs, qui ont chacun leurs positions légitimes. » (Olivier Kohn). Mais parfois, le mépris peut venir de l’intérieur du processus créatif, avec le réalisateur.

Le réal tout puissant

« Comme on l’entend très souvent, je crois qu’on fonctionne (dans le cinéma) encore beaucoup avec l’idée que le réalisateur est "l’auteur" de son œuvre cinématographique, même si ce n’est pas lui qui a écrit le scénario. C’est une conception issue de la nouvelle vague. » (Aurélie Marteau). Une conception qui a la dent dure et qui se retrouve aussi dans la télévision. « La position du scénariste par rapport au réalisateur n’évolue pas vite. On connaît mieux Josée Dayan que les scénaristes… à part Frédéric Krivine peut-être. Il n’y a pas de scénariste star. Le scénariste on va lui demander une v12, à un réal, c’est juste une v1, il ne va pas retourner. C’est un pouvoir énorme. » (Jean-Christophe Hervé).

Alors il existe des parades pour éviter les conflits entre les deux métiers. La premières, on en parle souvent ici, c’est de cumuler. « Pour les Oubliées d’Hadmar et Herpoux, par exemple, c’est écrit par le réalisateur, donc il y a une continuité qu’on ne trouve pas sur tous les projets, ça met le projet dans le flou aussi vis-à-vis du téléspectateur. » (Olivier Kohn). « J’aimerais réaliser. Évoluer du scénariste au réalisateur n’est pas forcement naturel. La légende veut que le scénariste frustré veuille franchir le pas à un moment de sa carrière. Quand on travaille avec un réal, ils sont très demandeurs pour lire nos projets persos, mais au final, ce qu’ils veulent voir développé, ce sont des projets à eux, même s’ils tiennent sur 3 lignes. Je suis photographe en parallèle, donc la réalisation ne m’est pas étrangère. J’ai certaines histoires que j’aimerais porter jusqu’au bout. » (Nathalie Lenoir).

Une autre arme du scénariste, c’est la poids qu’il peut imposer à un récit. On le dit souvent ici, la télévision est un média, avant tout, de scénariste. « Sur les soaps d’access, le scénariste a une part prépondérante parce que c’est lui qui maîtrise les arches. La série feuilletonnante, c’est la revanche du scénariste. » Jean-Christophe Hervé.

Ciné ou télé ?

Le mauvais calcul, en France, c’est de se dire qu’on va d’abord faire de la télé pour ensuite aller au cinéma. Ça fonctionne parfois pour des humoristes, mais pour les auteurs, c’est extrêmement rare, voir marginal. En France on sectorise, on étiquette, et ainsi tout le monde reste à sa place. Mais ont-ils envie d’en bouger, justement ? « On fait de la télé parce qu’on aime ça. Avoir l’ambition d’aller au cinéma, ça voudrait dire qu’il n’en faut pas pour faire de la télé, ce qui est faux. Ce sont juste 2 médias différents. » (Jean-Christophe Hervé). « J’aime les deux, je les trouve complémentaires. La télé est passionnante, pleine de défis : répondre à une commande, s’adapter à des contraintes en restant créatif. » (Aurélie Marteau). « je n’utilise pas la télé pour accéder au cinéma. Avant de travailler pour la télé, je n’avais pas de télé. Les séries de mon enfances, « L’homme qui valait… », « Les mystères de l’ouest », me paraissaient vaines après avoir découvert le cinéma. Parce qu’à l’époque le feuilletonnant n’éxistait pas trop. J’ai redécouvert la télé au début des années 90. Et j’ai adoré l’écriture et la qualité de ce que j’ai vu. » (Olivier Kohn). Nathalie Lenoir, par contre, effectue le grand écart, mais pas tant par volonté seule que par la force des choses : « Je quitte progressivement la télé pour le cinéma. Avec les chamboulements sur service public, tout est bloqué, ça devient compliqué de travailler à la télé. Mais j’adore écrire pour la télé, j’adore écrire des bibles, creuser les personnages, les intrigues. Je travaille plus souvent sur l’animation maintenant, secteur qui est très ambitieux. ». L’animation terre de bonheur pour l’auteur ? La bande-dessinnée aussi, semble-t-il, Cédric Perrin ayant un pied dans ce milieu là depuis quelques mois.

Et la fiction française dans tout ça ?

Entre un Canal+ qui laisse de plus en plus de place aux gens du cinéma et aux réalisateurs, une TNT encore faible en terme de puissance économique et un service public quasi sinistré, comment voient-ils la fiction française ? « La fiction française est encore en crise, mais comme je l’ai entendu pour la crise financière : « la crise, c’est le bruit que fait le changement ». » (Jean-Christophe Hervé ». « Je pense qu’elle se cherche. Entre une fiction un peu "à l’ancienne" mais qui fonctionne auprès du public, les séries américaines qui ont aussi beaucoup de succès, et les fictions françaises plus "modernes", je crois qu’en France on a du mal à trouver notre ton, notre place, enfin ce qui pourrait faire qu’il y ait une vraie fiction française (comme c’est le cas en Angleterre selon moi), et pas "des" fictions françaises... » (Aurélie Marteau).

Olivier Kohn est un peu plus optimiste « Ça bouge. « Nicolas le Floch », par exemple c’est très réussi. Il y a une vraie humilité, un vrai travail, les acteurs sonnent justes. On y retrouve la noirceur et la mélancolie de Pagan. Mais je ne regarde pas tout ce qui se fait non plus. On vient de loin… ». Nathalie Lenoir, semble un peu désabusée « J’ai la nostalgie de l’époque Laurence Bachman, avec des fictions comme « Rastignac… » qui étaient audacieuses, et qui m’ont données envie de faire de la télé. Il se passe de belles choses sur Canal, mais aussi encore sur le service public. Mais je reste déçu de la mauvaise foi ambiante qui veut que ça soit la faute des auteurs qui ne savent pas écrire. ».

Et ces auteurs, justement, un peu pointé du doigt, sont-ils les premiers responsables de ces choses qui nous agacent dans la fiction française, comme ses dialogues ? « Certains scénaristes essaient de mettre du style dans leurs dialogues. L’inverse des américains qui font dans le concis : une idée, une phrase. » (Cedric Perrin). « parfois il y a des exigences des chaines, et souvent tout le monde a envie d’intervenir sur les dialogues : le réalisateur qui à un bon mot à placer, le comédiens qui "préfère le dire comme ça"… » (Aurélie Marteau). Plutôt que de parler de mauvais dialogues, Olivier Kohn préfèrent stigmatiser un autre défaut, pour lui à la base du problème : « On n’a pas l’habitude en France de travailler en profondeur sur les personnages. On est tellement dans l’urgence quand on a décroché l’accord d’un diffuseur qu’on ne prend pas le temps de les développer. Si la réflexion se faisait mieux en amont, les dialogues seraient sûrement meilleurs. On a tendance, quand on s’inspire des américains, dont la fiction me fascine, à copier les effets de styles plus que les éléments comme la profondeur des personnages ». Jean-Christophe Hervé sent, lui, une amélioration : « Avec le travail en collaboration, on est remis en question et on y prête plus attention. Du coup, on se retrouve avec des histoires qui avancent plus par le dialogue. »

Le travail collectif

Hormis Nathalie Lenoir qui a dû refuser de travailler en atelier pour des raisons logistiques, tous nos intervenants y ont goûté. Entre autres parce que Jean-Christophe, Cédric et Aurélie travaillaient ensemble sur la série jeunesse « Graine de Maire ». Olivier Kohn, sur son expérience sur « Reporters » : « C’est à la fois collectif et individuel. Sur la saison 1, j’avais écrit un premier épisode, et on a travaillé les arches à 4 pour finir à 2. Chacun est parti avec un épisode à écrire. La saison 2, on a écrit l’arche à 2 avec Alban Guitteny et on a contacté d’autres auteurs, puis on a découpé l’arche en épisodes, et chacun repartait avec des épisodes à écrire. On n’avait pas de fonctionnement un écrit le synopsis, l’autre les dialogues. ». Certains auteurs y ont pour autant goûté : « Il arrive que, sur certaines séries, de jeunes auteurs soient embauchés suite à un pitch qui a plu à la production. Et une fois le synopsis écrit, ils se font "remplacer" par des auteurs plus aguerris qui vont écrire les dialogues. Officiellement, c’est pour aller plus vite. Officieusement... ce sont souvent les mêmes "auteurs aguerris" qui dialoguent, et souvent l’étape de la continuité dialoguée est celle qui rapporte le plus d’argent. » (Aurélie Marteau).

Ce système français un peu flou, le rejettent-ils vraiment ? Ont-ils envie d’un système de showrunner à l’américaine ? « On se fait peut être un fantasme du poste de showrunner, mais est-ce que c’est la réalité ? » (Jean-Christophe Hervé). « Je ne pense pas qu’aux Etats-Unis ils fonctionnent tout le temps de la même manière sur toutes les séries. » (Olivier Kohn). « Je ne connais pas bien la fonction du showrunner, mais il me semble qu’il a plus de pouvoirs, qu’il fait office de directeur artistique. Aux USA, c’est l’écriture qui est au centre d’une série, ce qui n’est pas le cas en France. » (Aurélie Marteau).

Marre ?

Entendre les gens dire « c’est bien pour une série française », est-ce que ça les fait souffrir ? « J’en ai marre de l’entendre, mais j’en ai aussi marre de le dire. On a eu un chef op américain. On lui demandait la différence entre la France et les autres. Il a répondu : pour le boulot qu’une personne fait sur un tournage en France, il y en a 5 en Angleterre et 10 aux Etats-Unis. » (Olivier Kohn). « Ne plus l’entendre, ça serait surtout un signe de progression » (Jean-Christophe Hervé)

Si c’est si compliqué, dur et ingrat, pourquoi continuent-ils ? N’en ont-ils pas assez, au final, d’être scénariste. Tous répondent non au moment de l’interview. Quasi en chœur. Olivier Kohn résume assez bien le ressenti global « Pas marre du tout. Moi j’ai eu une chance INCROYABLE. Mais j’imagine que ça doit être lourd à porter comme fonction quand on ne concrétise pas. ».

Aurélie Marteau peut en témoigner. Entre le moment de l’interview et sa publication, elle a dit stop. 1 sur 5. La statistique pourrait être flatteuse. Mais elle ne reflète pas la difficulté du milieu.