NICOLAS MERCIER - "L’important, c’est de raconter une histoire qui vous tient à cœur"
Le scénariste de Clara Sheller évoque la première saison de la série quelques semaines avant sa diffusion.
Par Sullivan Le Postec • 15 avril 2005
Le scénariste français de série télé heureux existe : nous l’avons rencontré ! Alors que la diffusion sur France 2 de sa série, « Clara Sheller » approchait, Nicolas Mercier nous dévoilait son point de vue sur cette expérience formidable.

Nous republions ici l’entretien réalisé à l’époque (le premier avril 2005, quelques semaines avant la diffusion de la série) pour le site de feu le Front de Libération Télévisuelle.
« Clara Sheller » a été pour Nicolas Mercier l’occasion de sortir de la masse anonyme des scénaristes après plusieurs années d’une carrière classique à la télévision, entre projets coup de coeur et alimentaires, tels de nombreux épisodes de « Sous le soleil » où il a rodé sa technique. Il a également signé le téléfilm « Le Ciel sur la Tête » toujours pour France 2 et sera l’auteur de la série « 10% », une production de Dominique Besnehard pour Canal + sur le milieu des agents artistiques.

Nicolas Mercier est un scénariste heureux, et il ne l’est pas par hasard. L’homme est le premier à avoir eu la chance et le talent nécessaires pour saisir l’opportunité que représente pour tous les créatifs de l’audiovisuel français la volonté de France 2 de renouveler en profondeur le petit monde sclérosé de la fiction française.
La chaîne a fait, il y a quelques années déjà, le pari du 52 minutes pour sa case de policiers du vendredi soir. Ce nouveau format représente un enjeu stratégique important mais aussi une petite révolution d’écriture. Le pari est réussi : la chaîne a pu installer, entre autres, les deux solides succès que sont « PJ » et « Avocats & Associés ». Il y a quelques années, France 2 décide de développer des 52 minutes pour sa case du mercredi soir, et met ainsi en route une nouvelle révolution, peut-être encore plus importante. Car la case du mercredi n’est pas dévolue à des fictions policières, mais à des unitaires plus ancrés dans la vie de tous les jours (revue et corrigée à la sauce fiction française & héros-citoyens...). Développer une série courte sur ces thèmes, c’est défricher un territoire devenu inconnu pour le PAF, quand bien même il alimente de nombreuses fictions étrangères, notamment américaine. Car rares sont les héros récurrents français à n’être ni flic, ni médecin, ni juriste. Et la poignée à ne pas l’être n’en reste pas moins obsédée à l’idée de se mêler des affaires des autres pour mieux aider son prochain.

Nicolas Mercier est donc le scénariste de la première série développée pour cette case à atteindre l’antenne : « Clara Sheller ». Il a bénéficié de l’ambiance favorable à France 2, résolument décidée à bien faire. Clara Sheller est une jeune journaliste. Elle partage son appartement avec un colocataire qui est aussi son meilleur ami, JP. Celui-ci est homo, mais ne l’assume franchement pas bien.

Nicolas Mercier nous en dit plus...


Clara (Mélanie Doutey) et JP (Frédéric Diefenthal)

Au-delà du pitch de départ, il faut s’attendre à quoi avec « Clara Sheller » ?

Nicolas Mercier : Il faut ne s’attendre à rien ! Il y a beaucoup de surprises. C’est une série à propos du désordre amoureux, une comédie dramatique : il se passe des choses drôles, des choses graves... C’est une des premières séries françaises — peut-être la première — à ressembler un peu aux séries américaines en terme de qualité et de liberté de ton. C’est une série relevée.
Et puis ça se passe à Paris, qui est une ville très belle. Quand on a la chance de vivre dans une ville aussi magnifique, c’est bien de pouvoir le retranscrire. La série a un coté un peu glamour.

Quel est l’origine du projet ?

C’est très compliqué... A la base, il y a l’idée très mince d’une célibataire qui vivait avec une folle furieuse. Le traitement d’alors ne plaisait pas à la chaîne, et on m’a demandé de retravailler là-dessus. Je l’ai développé en travaillant beaucoup sur les personnages : cette célibataire, Clara Sheller, et son meilleur ami, homo mal assumé. Dans le premier épisode, ils couchent ensemble, elle tombe enceinte...

Vous avez écrit l’intégralité des six épisodes. C’était impossible de faire autrement ?

Oh oui, totalement ! C’est un projet très personnel, qui m’est proche. J’avais en tête les personnages, le ton... C’était nécessaire que j’écrive toute la série. J’ai écrit ces épisodes, France 2 les a approuvés et le tournage a eu lieu l’été dernier.

Vous avez fait la FEMIS, où vous avez co-écrit deux courts de François Ozon, et vous avez aussi travaillé depuis, notamment, sur des épisodes de Sous le Soleil...

Oui, j’ai appris le scénario en écrivant pour la télé. C’est un excellent moyen d’apprentissage à condition de savoir garder son ton, et de ne pas se laisser bouffer. On ne le perd pas si on a vraiment quelque chose à raconter. Mais la télévision, c’est vraiment l’idéal pour apprendre, et puis aussi pour pouvoir vivre de ce métier.

« Clara Sheller » ouvre le bal d’une nouvelle fiction Française. L’environnement dans lequel elle débarque, celui de la fiction française d’aujourd’hui, n’est pas très réjouissant...

Je ne peux pas faire attention à ça, il faut se ficher de l’environnement. L’important, c’est de raconter une histoire qui vous tient à cœur, de ne pas perdre son point de vue en route, d’être drôle, juste, émouvant...
Si on se met à comparer avec les séries anglo-saxonnes, c’est handicapant, parce qu’on finirait par se dire qu’on ne fera jamais aussi bien. Si on se place par rapport à la fiction française, ce n’est pas forcément mieux. Parce que vouloir faire différent, cela ne garantit pas de faire de bons scénarios. Ce qu’il faut, c’est être sincère pour pouvoir faire le mieux possible.
Je ne regarde pas les séries françaises, parce que je n’y trouve rien qui m’intéresse. C’est vrai que j’ai été nourri à la fiction américaine... Pourtant le résultat est très français. Les personnages ne pourraient pas être ceux d’une série U.S., ils se prennent beaucoup la tête, ils sont bien de chez nous !

Vos séries de référence, c’est quoi ?

Six Feet Under, My So Called-Life (Titre VF : Angela, 15 ans), ou encore The Office, une série anglaise. Sinon, et même si elles ne font pas parti de celles que j’aime le plus, j’ai aussi regardé Ally McBeal ou Sex & the City...

En tout cas, à cause de ce contexte, la série est pas mal scrutée et un peu attendue au tournant... Vous n’avez pas trop la pression ?

Il faut essayer de ne pas penser à la pression... Mais oui, bien sûr, un petit peu, parce que j’aimerais que le public soit là pour découvrir la série. Cela dit, cela ne change pas grand-chose pour moi, le projet est écrit, tourné, j’en suis fier, j’ai fait ma part. Mais c’est vrai que j’aimerais ne pas être le seul... Au moment où le projet « Clara Sheller » a été lancé, il y avait dix autres projets de séries en 52 minutes. Aucun de ces dix n’a vu le jour. Il n’y en avait aucun d’assez abouti, les textes n’étaient pas assez forts, les univers pas assez marqués. Et puis pour pouvoir réussir, il faut aussi bien connaître la technique, la mécanique de la série. Il faut en avoir regardé, en avoir écrit des épisodes, même sur des séries sur lesquels on ne peut pas avoir le même genre d’engagement personnel, comme Sous le Soleil.
Je suis un peu déçu par ce contexte général, je ne devrais pas être le seul... Alors pour ces raisons là, je serais content que la série soit une ouverture, et que les producteurs et diffuseurs suivent. C’est aussi une question d’argent. Cela demande de l’investissement de développer des projets. Moi-même, j’ai du arrêter de bosser sur pas mal de choses pour faire « Clara Sheller ». Ca coûte de l’argent d’engager un scénariste et de le faire travailler... La situation actuelle n’est pas normale.

Qu’est-ce qui est à l’origine de cette situation, à votre avis ? Il n’y a pas de raisons qu’en France on ne puisse pas écrire aussi bien qu’ailleurs...

Je crois que les gens sont frileux. Ils ont peur d’écrire... Ils sont frileux et aussi parfois pas très justes. Les scénarios sont écrits pour plaire, pour répondre à une demande, pas dans une démarche sincère du scénariste. Les producteurs développent des projets pour qu’ils plaisent aux chaînes. Les scénaristes écrivent pour plaire aux producteurs. En route, on oublie trop d’avoir un vrai propos. Une histoire, ce sont des personnages forts avec des problématiques fortes. Il faut savoir se dégager des contraintes en n’en respectant qu’une seule : la construction du scénario. Et il faut y croire.

Comment cela se passe avec la chaîne ? Ils soutiennent le projet ?

On a été super soutenu ! Ils sont formidables. D’abord il y a eu une véritable liberté créatrice. Et la série devait au départ passer dans la case de 21h50, parce qu’elle est un peu audacieuse. Il n’y a pas de provoc’, mais certaines choses peuvent éventuellement choquer. Et finalement France 2 a décidé de diffuser la série en prime-time. C’est vraiment le contraire d’un truc caché, que la chaîne aurait du mal à assumer. Il y a un vrai courage politique derrière le fait de vouloir faire voir la série par tout le monde.
Maintenant tout est entre les mains du public. C’est à lui de venir à la série. En tout cas, on ne pourra rien reprocher ni à la production ni au diffuseur si « Clara Sheller » ne marche pas. Si c’est le cas, il faudra peut-être en conclure que les Français sont trop attachés à leurs habitudes, à leurs récurrents policiers, pour découvrir autre chose.

Et si ça marche, il y aura d’autres épisodes ?

On n’en est pas là, ce n’est pas l’enjeu pour l’instant. Maintenant, ce qu’il faut, c’est que ces épisodes là rencontrent le public. L’enjeu, c’est aussi que le public de France 2 n’est pas forcément très jeune. Il y a tout un public qui est sur M6 et, je crois, beaucoup sur le câble. Cette série s’adresse à cette tranche d’âge-là. Il faut pouvoir les faire venir sur France 2, et en cela, la promotion est très importante.

Et dans ce contexte, ça aide de revenir du dernier Festival de Luchon avec le Grand Prix de la Série ?

Pas vraiment, non. Vous savez, tout ça c’est un petit monde de professionnels, qui se mort un peu la queue. Mais bon, c’est sûr que c’est plus agréable de faire la fête au champagne à la soirée de clôture plutôt que non !... Ca nous a valu quelques papiers, mais même avant on parlait de « Clara Sheller ».
J’ai eu vent des délibérations du jury et il y a eu des remarques un peu aberrantes. Le milieu est tellement formaté et inscrit dans des moules... dès qu’il n’y a pas de meurtres, pas d’enquête et que les héros n’ont pas pour seul but d’aider les gens, on vous dit que ça ne parle de rien, qu’il n’y a pas d’enjeux. Et on craignait que la série ne soit perçue comme un peu trop branché...au final, on a quand même entendu dire que c’était ‘‘démodé’’. Ce qui se comprend d’autant moins que ce genre de choses n’a jamais été à la mode en France.
Alors ce qui pourra être vraiment agréable, c’est la reconnaissance du public.

Vous êtes un scénariste comblé...

Oui ! Et c’est important la notion de plaisir. Il ne faut pas s’emmerder avec des questions inutiles. Avec ce projet, j’ai pu assouvir mes envies : parler de notre temps, annuler le décalage entre ce que les gens vivent et ce que montre la télé. Les problèmes que les gens rencontrent dans la vie de tous les jours, en France la télé n’en parle jamais.

Propos recueillis le 1er avril 2005.

Post Scriptum

Plus d’information sur le site des producteurs de la série : Scarlett Productions.