NICOLAS CUCHE – ‘‘Je voulais un Inquisiteur qui ait une vraie densité humaine’’
Entretien avec le réalisateur d’« Inquisitio »
Par Sullivan Le Postec • 15 juillet 2012
« Inquisitio » est actuellement au milieu de sa diffusion les mercredis soirs sur France 2. Entretien avec son créateur et réalisateur, Nicolas Cuche.

Dans le cadre de « Série Series », première édition, qui se tournait début juillet à Fontainebleau, était proposé en projection un épisode de la série de France 2 « Inquisitio ». Celle-ci a fait l’actualité à plusieurs titres. D’abord parce qu’elle est arrivée en tête des audiences pour son premier soir de diffusion (avant de chuter en deuxième semaine, le public de TF1 étant retourné au bercail, préférant des rediffusions de « Esprits Criminels » à la suite d’une série inédite...). Ensuite parce qu’elle a généré une polémique : des médiévistes, d’une part, et des Catholiques, d’une autre part, ayant dénoncé les libertés que prend la série avec la vérité historique. « Série Series » nous a donc donné l’occasion de rencontrer l’initiateur d’« Inquisitio », Nicolas Cuche, que nous avons interrogé sur ces différents sujets...

Le Village : Les chiffres de la première soirée de diffusion d’« Inquisitio » sont tombés hier (cette interview a été effectuée le vendredi 6 juillet) et sont excellents. Je ne suis pas sûr que vous vous attendiez à ça...

Nicolas Cuche : Non, je ne m’attendais pas à ça. Même si, quand on se lance dans quelque chose, quand on invente une histoire, on y consacre du temps et de l’énergie parce qu’on pense que ce qui nous plaît va pouvoir plaire aux autres. Mais ces chiffres ont été une très, très agréable surprise.

Votre première série, cela a été « David Nolande »...

« David Nolande », c’est très important pour moi, ça a été une vraie rencontre. A l’époque je ne connaissais rien aux séries. C’était vraiment un univers inconnu pour moi. J’essayais de faire du cinéma et je faisais de la télé par défaut, en attendant. Quand on m’a proposé « David Nolande », j’ai vu ça et je me suis dit : ‘‘c’est pour moi. C’est ce que j’attends depuis longtemps’’. Et d’ailleurs, comme par hasard, à ce moment-là on m’a proposé un gros film cinéma, avec des grosses vedettes, et j’ai préféré faire « David Nolande », alors que tout le monde me disait : ‘‘mais tu es fous ! Tu fais de la télé ! Comment tu peux refuser un film cinéma ?’’... Mais c’est tout simplement ce qui me donnait le plus envie. Comme c’est dur de faire des films, il faut que le désir soit fort.
On a vraiment expérimenté les choses parce que personne ne connaissait encore vraiment le genre série, c’était le début de ce type de série feuilletonnante en France. Les scénarios étaient trop longs, ils faisaient une heure, c’était impossible en préparation, donc on un peu essuyé les plâtres de tout ça. Mais pour moi ça a été une super aventure et une découverte. J’ai découvert des séries parce qu’en faisant une j’ai commencé à en voir, forcément. Et j’avais aussi une équipe un peu plus jeune que moi qui, elle, regardait des séries, les aimait et avait grandi avec ça, et avait une vraie culture de ça. Des mecs qui auraient pu faire un film avec Besson, mais qui préféraient venir faire cette série qui les branchait, qu’ils trouvaient moderne et intéressante. On se balançait des séries, à l’époque. Sur « David Nolande », la série de référence c’était « Carnivàle ». Ça m’a vraiment plu. J’ai trouvé qu’on pouvait aller loin avec les personnages. Ça me parlait en tant que metteur en scène, parce qu’il fallait créer une identité visuelle forte, originale. J’ai adoré faire ça.

C’est sur « David Nolande » que vous avez travaillé pour la première fois avec le directeur de la photographie José Gerel ? J’imagine qu’il fait partie des gens qui vous ont initié à la culture série ?

Oui, il fait partie des gens, j’en connais plusieurs comme lui, qui regardent vraiment beaucoup, beaucoup les choses qui se font.
Je pense que la série, c’est vraiment les lettres de noblesse de la télé. C’est quelque chose qui existe vraiment, ce ne sont pas de faux films de cinéma. Je peux même dire maintenant que, sur ces cinq ou six dernières années, parmi les choses les plus intéressantes que j’ai vues, il y a clairement des séries dans le lot.

Ensuite vous avez travaillé sur « Flics », un projet singulier où il était vraiment question de révolutionner ce qui pouvait se faire dans le cadre de la fiction TF1...

Ça a été un combat ! Cela dit, moi je ne raisonne pas en termes de chaîne, je raisonne en termes de film. Moi ce que j’aime c’est varier les genres, parce que cela me met en danger, et cela me permet d’explorer des univers que je ne connais pas. J’ai fait « Flics » alors que je n’avais jamais fait de polar de ma vie, je n’avais jamais fait de scène avec un mec qui tient un flingue. Il y avait ces premiers synopsis d’Olivier Marchal qui m’ont plu humainement. J’ai eu envie de relever le défi et de me plonger complètement dedans. Effectivement, ce n’était pas facile par rapport à la chaîne, mais à un moment le discours a été de se dire : ‘‘soit ne le faisons pas, soit, si on le fait, faisons le vraiment’’.

Tant « David Nolande » que « Flics » ont été bien accueillies. Cela n’a pas vraiment été le cas du « Chasseur », qui a suivi...

Oui, « Le Chasseur » a été très rudement accueilli — par le métier en tout cas, plus que par la presse d’ailleurs. C’est pas passé ! (rires) Mais c’était intéressant parce qu’on est allé sur des terrains qui étaient vraiment vierges. On a défriché quelque chose, maladroitement certainement. Et en même temps à la fin, on était prêts... Je pense qu’une deuxième saison aurait été formidable. On a appris en faisant. Quand on fait un thriller fantastique, moi j’ai les codes, je sais, j’ai des références. Quand on fait un polar, j’ai des codes et des références. Quand je faisais « Le Chasseur », je n’avais rien à montrer à personne. Et en plus on a fait un peu tout ce qui est interdit à la télé. C’est un peu comme « Profit », des choses comme ça où tout à coup on ose tout et on fait tout ce que, peut-être à juste titre, il ne faut pas faire.

« Inquisitio » c’est un projet que vous avez porté depuis son origine ?

Oui, absolument, c’est un projet que j’ai initié, et apporté à un producteur qui l’a apporté à une chaîne.

Qu’est-ce qui l’a déclenché ?

Il y a plusieurs choses. C’est toujours un peu mystérieux ce qui fait que, tout à coup, on a l’idée d’une histoire. Chaque nouvelle série est aussi l’occasion pour moi de découvrir des choses que je ne connais pas. J’avais une double envie. D’abord du Moyen-Âge, même si je ne sais pas pourquoi. Je n’y connaissais rien du tout, c’est un Univers qui a été très peu traité et en même temps sur lequel il y a énormément de fantasmes. On projette des choses un peu mystérieuses. C’est très fort dans l’imaginaire collectif, et en même temps on ne sait pas comment c’est. Moi je voyais des images, je voyais une ambiance, des choses à créer. Et je me sentais aussi libre, du fait de cette méconnaissance assez large du Moyen-Âge, ce qui me retombe un peu sur la tronche mais c’est pas très grave. J’ai vu des historiens, eux-mêmes ne savent pas réellement comment c’était. Donc moi j’avais une vraie part de création. J’avais aussi en tête des univers de jeux vidéo que j’aime bien. Et bizarrement, alors que cela n’a rien à voir il y avait aussi un lien, quasiment une filiation avec des choses d’heroic fantasy, comme « Game of Thrones » que j’ai commencé à voir quasiment quand j’ai arrêté de tourner. Après, j’avais envie de parler d’aujourd’hui, et de le faire en racontant une histoire d’hier. Le Moyen-Âge, qui est une époque assez barbare, où les curseurs sont poussés assez loin, où l’humanisme n’est pas là, où tout est exagéré, je trouvais que c’était une bonne manière de parler de problématiques actuelles. J’avais aussi envie que mon héros soit un Inquisiteur.

Vous êtes identifié pour la qualité de votre travail visuel, vous faites partie de cette poignée de réalisateurs qui ont vraiment participé à la montée en gamme visuelle de la télé française. D’où vient cette volonté graphique forte ?

Je ne sais pas, mais pour moi c’est très important. C’est une manière de rentrer dans l’histoire. J’essaye un peu de réfléchir à ça. Je viens vraiment de subcultures comme les mangas. J’aime l’image, aussi. C’est quelque chose qui est important pour moi. Je pense aussi qu’en tant que metteur en scène, j’aime créer des univers, un véritable monde, quel que soit le genre. Ça me plaît de transcender la réalité et de proposer un Univers fort. A partir du moment où on aime faire ça, la question de l’image se pose forcément. Et puis j’aime les cadres, j’aime quand c’est précis. J’essaye de raconter les choses par l’image, ce qui est un truc qui n’est pas très courant à la télé. D’abord parce que la télé, c’est souvent le reflet de la réalité donc on est dans des histoires très réalistes, contemporaines, ce qui n’est pas ce qui m’intéresse forcément.

Vous faisiez un peu allusion à cette polémique qui s’est développée autour de la représentation du Moyen-Âge. C’est intéressant parce que c’est assez systématique en France...

Oui... Je trouve que c’est bien finalement. Au début, j’étais un peu choqué, puis je me dis que c’est bien que les choses fassent réagir, qu’elles soient vivantes, que les choses bougent. En plus il y a une volonté derrière ce film. J’ai essayé d’être très rigoureux dans la narration et de m’améliorer dans le coté addictif de la série, de vraiment tendre les histoires, j’ai vraiment travaillé là-dessus parce que je trouve ça passionnant. Mais en même temps il y a un fond. Ça parle d’intolérance, ça parle de repli communautaire, ça parle de fanatisme. Il y a aussi le fait qu’à la télé, quand on fait un film d’époque, à quelques rares exceptions près, c’est soit une biographie de quelqu’un de connu, soit l’illustration d’un fait historique. Moi j’ai fait une histoire complètement imaginaire. C’est comme de la science-fiction, en fait. Cela déconcerte les gens.

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Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu Vladislav Galard avant « Inquisitio ». Il y a une espèce de magnétisme qui se dégage de lui qui capte l’attention... Vous, vous le connaissiez auparavant ?

Non, je ne le connaissais pas non plus. C’est ma grande fierté sur cette série. Même si ça pénalise un peu en promotion, c’est chouette, grâce aux séries, de pouvoir découvrir des gens qu’on ne connaît pas. Ça permet d’autant plus l’identification. C’est souvent le cas aux États-Unis, moins ici.
Vlad, c’est un coup de foudre, mais j’étais seul au monde à le défendre. Même pendant le tournage, les gens me disaient ‘‘ouh là là, tu es sûr que tu ne t’es pas trompé ?’’. Et puis après, cela a complètement changé. Mais c’est parce que tout le monde avait dans l’esprit un fantasme, une sorte de caricature d’Inquisiteur. Mais dans le fond, moi je l’aime mon Inquisiteur. Je crois que si on va au bout de cette série, si on accroche, c’est la naissance d’un héros. Cette série accouche d’un héros.

D’une certaine manière, on peut dire qu’« Inquisitio » réussit ce qui, à mes yeux, ne marchait pas avec le personnage principal du « Chasseur » : construire de l’empathie pour ce personnage, et nous faire partager des émotions avec lui, alors que je n’en ai pas partagé avec « Le Chasseur »...

Mais on a commencé le film à l’envers avec « Le Chasseur ». J’y ai beaucoup réfléchi, parce que même aujourd’hui, je ne sais pas comment je le ferais différemment, et en même temps mes choix n’ont pas été les bons. Je voulais inconsciemment dénoncer une société de consommation très froide, et donc j’ai fait une série très froide, en fait. Le héros est à l’image d’un monde aseptisé, dématérialisé et finalement ça s’est retourné contre la série.

Et en face, dans « Inquisitio », il y a Aurélien Wiik qui lui est immédiatement accessible à l’empathie...

Oui, il faut quand même un point d’ancrage rapidement, parce qu’au début l’Inquisiteur, il est inquiétant, terrifiant et on ne l’aime pas. C’est quand on regarde la série jusqu’au bout qu’il nous bouleverse. Il a une tendresse. Je voulais un personnage qui ait une fêlure, qui ait une vraie densité humaine. Et Aurélien effectivement, il a ce charme, ce charisme chaleureux évident. C’était important qu’il y ait ce point d’ancrage. Au début, je ne pouvais pas attaquer comme dans « Le Chasseur », justement, avec seulement un anti-héros. C’est un peu la leçon du « Chasseur ».

Personnellement, je n’ai pas beaucoup aimé le premier épisode, je ne l’ai pas trouvé très réussi. C’est vraiment une difficulté globale de la série française, je n’ai pas vu beaucoup de premiers épisodes réussis. C’est un problème dont, je pense vous êtes conscient ?

Bien sûr. J’ai flippé sur ce premier épisode. Je l’ai repris, re-repris, je l’ai remonté, je suis revenu dessus... J’ai pas trouvé la solution mais c’est un vrai problème. C’est pour ça que j’espère que les gens seront au rendez-vous après, mais pour moi il y avait un vrai écueil dans les deux premiers épisodes. J’espère que si on passe le cap, on est pris dans l’histoire. Mais je suis d’accord. Le problème c’est que dans ma tête c’est un film global, et là c’est comme les dix premières minutes d’un film, et dans les dix premières minutes d’un film, tous les enjeux ne peuvent pas être là. Mais les américains, eux, ont le sens de ça. Tout se joue dans le premier épisode ; ils font des Pilotes qui accrochent, même si parfois ça décline un peu ensuite. Je ne peux pas vous dire le contraire, ce premier épisode me faisait vraiment peur, je trouvais qu’on ne rentrait pas dans la série d’une façon assez efficace.

Je me demande de plus en plus si ce n’est pas vraiment un problème de processus de production, qui découle du fait qu’on tourne nos premiers épisodes en même temps que les autres, alors que les américains le tournent à part, quelques mois avant, ce qui les force à ce que ces Pilotes tiennent la route de façon indépendante.

Oui, ils sont obligés d’accrocher, d’autant plus qu’ils vendent la série sur le Pilote. Il y a donc une nécessité. Sur « Inquisitio » ce sont mes deux premiers épisodes qui constitueraient le Pilote. C’est pour ça que j’ai appelé le premier « De Viris : des hommes », pour bien montrer qu’il présente les choses. Mais c’est vrai aussi que tout est tellement cross-boardé [1] que cela rend sans doute les choses plus difficiles. Après, on se rend compte de ça, mais c’est trop tard.

C’est cross-boardé sur huit épisodes ? C’est une difficulté pour vous ? Moi de l’extérieur, ça me semble extraordinairement difficile...

Oui, ça l’est. Je ne savais pas si j’étais capable de le faire. J’avais déjà fait six épisodes, mais huit j’avais un peu l’impression de franchir une barrière. Au départ je ne voulais d’ailleurs pas faire les huit parce que cela me semblait très difficile à faire. Et puis finalement à l’arrivée, je suis content de les avoir faits et je n’aurais pas aimé que quelqu’un d’autre les fasse. C’est très, très compliqué. En, plus, j’ai ma scripte mais moi, je tourne sans le scénario. Je tourne le film que j’ai dans la tête. Donc huit, c’est compliqué : ça prend un peu trop de place !...

Post Scriptum

Merci à Série Series et à Blue Helium.

Dernière mise à jour
le 16 juillet 2012 à 11h09

Notes

[1C’est à dire que l’ensemble des épisodes sont tournés en parallèle, décor par décor. Dans la même journée, il est courant de tourner une scène de l’épisode 1, puis une autre de l’épisode 8.