ON LIT AUSSI - Mon Traître
On ne trahit que ceux que l’on aime ?
Par Sullivan Le Postec • 16 septembre 2009
On lit aussi. Mais des livres en rapport avec les séries, hein ! « Mon Traître » est le troisième roman de Sorj Chalandon, scénariste sur la saison 2 de « Reporters ».

Après plus de trente ans de journalisme à Libération, Sorj Chalandon a quitté le journal au début de l’année 2007. Edité par Grasset, il avait déjà à ce moment publié deux romans : « Le Petit Bonzi », sorti en 2005, un livre en gestation depuis des années, et « Une promesse » (2006), récompensé par le prix Médicis.

Si on connaît Sorj Chalandon au Village, c’est aussi, bien sûr, parce qu’il a intégré l’équipe de scénaristes de « Reporters » pour sa seconde saison. Il en a écrit trois épisodes (les épisodes 4 – où Florence faisait face à un mouvement social à ‘‘24 Heures’’ – 8 et 10). Pendant plusieurs mois, il a travaillé avec Olivier Kohn aux arches narratives de la saison 3, interrompu au début de l’été par la décision de Canal+ de mettre fin à la série.

Le contexte

« Mon Traître » est donc son troisième roman, paru début 2008. Son auteur le présente comme une sorte de roman accidentel. Sorj Chalandon n’avait jamais pensé écrire de la fiction autour du conflit d’Irlande du Nord, qu’il a couvert en tant que journaliste des années durant. Ce sujet ainsi que ses reportages sur le procès de Klaus Barbie lui ayant d’ailleurs conjointement valu le prix Albert Londres en 1988. Mais, un jour de décembre 2005, Sorj Chalandon apprend au téléphone que Denis Donaldson, membre éminent de l’IRA et de sa branche politique, le Sinn Féin vient d’annoncer lors d’une conférence de presse que, depuis plus de vingt and, il était payé par le MI-5 pour trahir sa cause. Il y a longtemps que Donaldson est pour Chalandon bien plus qu’une source : un ami. Cette trahison est aussi la sienne. « Mon Traître » est né de la nécessité d’expulser en partie cette histoire, qui ne pouvait l’être par des voies journalistiques puisque Sorj Chalandon était trop proche de Donaldson et de ses proches.

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Sorj Chalandon
Lors de la soirée Premium TV consacrée à Reporters. Photo : Jean-Baptiste Dancre

Rugueuse générosité

Je ne suis généralement pas un grand fan des romans écrits à la première personne. La technique m’apparaît en effet souvent comme une sorte d’arme nucléaire pour auteurs tentant désespérément d’impliquer leurs lecteurs et de forcer une forme d’identification totale avec le personnage principal du roman. Elle est en outre le plus souvent maladroitement utilisée.
Cela n’est pas le cas de « Mon Traître », cependant, parce que le personnage d’Antoine est suffisamment finement écrit pour permettre cette identification sans que l’auteur n’ait besoin d’écrire directement ce que l’on est supposé ressentir.

Je n’ai qu’un lien ténu avec l’Irlande : des origines bretonnes et donc un héritage celtique commun, un prénom qui vient de là-bas. Et ces quelques éléments de proximité ont de fort pendant négatif : je sui pour le moins dérangé par la place de la religion et de ses interdits « moraux » dans cette société.
Pour autant, force est de constater qu’en lisant les mots de Sorj Chalandon, son Irlande est devenue mon Irlande. Son amour pour ces gens, leur rugueuse générosité, le rejet de l’injustice qui les frappait, je les ai totalement partagés.
Le mérite en revient à cette écriture dénudée et brutale, qui sait si bien véhiculer l’émotion par sa simplicité, au point de vous faire monter les larmes aux yeux.

Chalandon n’organise pas de faux suspense, son traître est révélé comme telle dès la première ligne. C’est que la caractéristique première du personnage est d’abord que rien ne laissait soupçonner cette réalité. Dès lors, la lecture du roman se fait comme si l’on revivait mentalement vingt and d’histoire à la lumière de cette révélation, à la recherche d’un quelconque indice ou signe avant-coureur dont on sait pourtant qu’il n’existe pas.

La fiction permet par ailleurs un luxe que la réalité n’a pas autorisé. Une ultime confrontation entre Antoine et son traître. C’est un signe de la manière dont cette fiction ne trahit pas la réalité : malgré cela, les questions d’Antoine restent largement sans réponses. Notre Traître est un mystèren, et il ne peut probablement pas en être autrement.

La légende de nos pères

Pour conclure, cette rentrée litéraire a vu la parution du qutrième roman de Sorj Chalandon, « La légende de nos pères », dont voici la présentation :

Après avoir été journaliste à la Voix du Nord, Marcel Frémaux est devenu biographe familial. " Toute vie mérite d’être racontée ", disent ses publicités, et c’est pour cela que ses clients se confient à lui. Il les écoute, met en forme leurs souvenirs, les rédige puis fait imprimer un livre destiné aux amis ou au cercle familial.
Un matin, Lupuline Beuzaboc se présente au biographe.
Tescelin, le père de Lupuline, ancien cheminot du Nord de la France, était un Résistant, un partisan de l’Armée des ombres. Dédaigneux des hommages, il n’a raconté sa bravoure qu’à sa fille. Alors, pour ses 85 ans, Lupuline veut offrir à son père les mémoires de son combat. Elle veut ramener son passé glorieux en pleine lumière. Le vieil homme est réticent. Embarrassé. En colère même de tout ce tapage. Et puis il accepte.

Marcel Frémaux va s’atteler à cet ouvrage avec passion. Pierre Frémaux, son père, fut un Résistant. Comme le vieux Beuzaboc, un partisan de l’Armée des ombres, silencieux et dédaigneux des hommages. Mais son père n’a jamais rien raconté. Et il est mort, laissant son fils sans empreinte de lui.
En écoutant Beuzaboc, c’est son père que le biographe veut entendre. En retraçant sa route, il espère enfin croiser son chemin. Mais rien ne se passe comme il le pensait. Et plus Beuzaboc raconte, plus le doute s’installe. C’est par une poignée de mains, que le biographe et le vieil homme avaient scellé leur pacte de mémoire. Ensemble, ils franchiront les portes de l’enfer.