ON LIT AUSSI – L’art des séries télé
Ou comment surpasser les Américains
Par Sullivan Le Postec • 28 juin 2010
On lit aussi. Mais des livres qui parlent de séries, hein ! Ce printemps, est sorti en librairies « L’art des séries télé – Ou comment surpasser les Américains », par Vincent Colonna.

Dans cet essai, Vincent Colonna pose rapidement le constat de l’incapacité de la série européenne actuelle à rivaliser avec les productions américaines. D’une étude très précise et d’un retour aux fondements du récit de fiction, il tire quelques pistes pour réinventer une fiction télévisée nouvelle, de meilleure qualité.

La présentation de l’éditeur met bien avant le fait que l’auteur, qui a fait des études de philosophie et de littérature, replace la série américaine dans la continuité d’une tradition littéraire européenne que le Vieux Continent a en partie renié.

« Pourquoi les séries télé les plus populaires sont-elles si souvent américaines ?
La série télé est devenue un phénomène culturel majeur. Diffusées planétairement, plébiscitées par le public et les médias, certaines d’entre elles marquent leur époque. Généralement, ces séries sont américaines ; et les créateurs français peinent à rivaliser. Pourquoi ?
Cet essai dévoile les secrets des grandes séries américaines. Des secrets qui se cachent de façon inattendue dans la vieille réflexion sur le récit et ses émotions qui s’est développée en Europe à partir d’Aristote avant d’être discréditée par les avant-gardes artistiques et les théories formalistes de l’art. La puissance de raconter propre aux Américains peut-elle s’expliquer par la préservation de l’héritage européen du "récit classique" ?
Cet essai se propose de formuler les "règles" appliquées outre-Atlantique pour concevoir une bonne série, de lier ces règles à quelques principes anciens, puis de trouver les concepts modernes qui les étayent et les rajeunissent. Pour pouvoir, enfin, surpasser les Américains ?
 »

Vincent Colonna s’appuie également sur une étude très précise des séries américaines et françaises, et illustre son propos de nombreux exemples. Ces tableaux et listes rendent parfois la lecture un peu laborieuse, un peu aride, mais aussi concrète et réellement intéressante intellectuellement. Évidemment, Vincent Colonna évoques des grandes tendances, s’intéresse au cas général. Le fan de série objectera souvent à une argumentation tel ou tel contre-exemple, reste que l’exception n’exclut pas la possibilité d’établir une règle générale. L’ouvrage est le fruit d’un travail ancien et approfondit, et on n’y trouve qu’un nombre extrêmement réduit d’erreurs factuelles. (Mais je suis loin d’être convaincu que, passé le Pilote, l’intervention de consultants extérieurs non scénaristes chargés d’évaluer les scripts des séries américaines soit si courante que Vincent Colonna le laisse entendre, et j’ai eu le sentiment que son propos sur le sujet découlait d’une – courante – mauvaise interprétation du terme « Story Editor », qui désigne seulement un membre de l’équipe scénariste en bas de l’échelle)

L’ouvrage est divisé en cinq chapitres.
Le premier « Pourquoi la série télé n’est pas le cinéma » explique comment la cinéphile française a pu être un obstacle à la création d’une véritable fiction télévisée. Vincent Colonna insiste beaucoup sur le caractère ’’pauvre’’ de la télévision, c’est à dire que l’usage très largement majoritaire de la télévision a lieu dans des conditions très différentes de l’expérience d’une salle de cinéma : l’écran est plus petit, voire beaucoup plus petit, le téléphone peut sonner, la famille bouge et vit, ce qui fait que l’attention à l’écran est rarement continue et absolue. Colonna omet sans doute de prendre en considération le fait que la série télé américaine a connu une vraie révolution visuelle autour du milieu des années 90, et caricature peut-être un peu sa propre pensée pour mieux marquer les esprits, comme il le laisse entendre à la fin de l’ouvrage. Il n’empêche qu’il a raison sur le fond, et qu’il faut se garder, nous qui sommes fans de séries et les regardons dans les meilleurs conditions, de généraliser nos comportements. Sans compter que les évolutions technologiques sont paradoxales : certes les grands écrans 16/9e et même les systèmes audios 5.1 se sont multipliés. Mais, dans le même temps, une bonne part de la consommation des séries s’est déplacée sur internet, ou bon nombre d’épisodes sont visionnés sur une fenêtre avec usage parallèle de fonctionnalités sociales diverses. Ce chapitre permet également à l’auteur de mettre en garde contre certains lieux communs, comme celui de « l’identification aux personnages », auquel il préfère substituer la notion d’intérêt, pour éviter de cloner à l’infini des personnages à la Julie Lescaut.
Le deuxième chapitre, « L’action narrative ou l’art de la tension » s’attarde sur les intrigues des séries, et ré expose certaines règles dramaturgiques, que l’auteur complète ou nuance à l’occasion (Vincent Colonna préfère ainsi parler de tension plutôt que de conflit, estimant que ce terme, comme l’identification, s’est finalement traduit de façon catastrophique dans la série française). Le chapitre suivant est l’étape logique suivante et s’intéresse particulièrement aux personnages et à leur construction. Colonna commente le manque de caractère des héros français de série, dont un passé traumatique inutile ou un rapport au travail élevé dysfonctionnel, celui-ci ayant été élevé au rang de sacerdoce, sont les deux cache-misère les plus courant. L’évocation des personnages est aussi l’occasion d’évoquer largement un sujet qui traverse l’intégralité de l’essai, celui de la nécessaire mise en avant des émotions dans le récit sériel.
Le chapitre 4 est consacré à l’architecture de l’histoire, et repose notamment sur les analyses séquentielles d’un épisode de « Dexter » et d’un épisode de « Sur Le Fil » qui illustre la manière dont la première réussit parfaitement la construction des multiples intrigues parallèles qui sont aujourd’hui attendues par le public.
Un dernier et court chapitre, qui ressemble un peu à l’introduction d’un nouvel ouvrage, « Pourquoi les séries télé nous rendent meilleurs » revient brièvement sur l’apport des mélanges des genres, sur les bénéfices d’une bonne série et la dimension éthique des séries télévisées.

Pour tout amateur de fiction télévisée, à fortiori pour quiconque en écrit, en réalise, ou en produit, le livre de Vincent Colonna est une ressource très intéressante à même de provoquer une réflexion susceptible de rejaillir positivement. C’est là tout le mal qu’on souhaite à la fiction européenne, et à la série française en particulier.

Post Scriptum

« L’art des séries télé – Ou comment surpasser les Américains »
De Vincent Colonna.
Grand format | 384 pages. | Paru le : 31-03-2010 | Prix : 20.00 €
GENCOD : 9782228905282 | I.S.B.N. : 2-228-90528-3
Editions : Payot