PROGRAMMATION — Les Oubliées oubliées ?
Tout le monde semble croire à la série. Sauf France 3 ?
Par Sullivan Le Postec • 28 octobre 2007
Dans le petit monde de la fiction française, « Les Oubliées », c’était un peu le buzz de l’été. Et puis c’est devenu le buzz de la rentrée, puisque, contrairement aux attentes, France 3 n’a toujours pas entamé la diffusion de la série. Tout ceux qui en ont entendu parler ont eu envie de la voir. Tout ceux qui l’ont vue en ont vanté les mérites. Pourtant, France 3 semble ne pas y croire...

Au sein une fiction française en quête de renouvellement, et qui espère accoucher de séries qui passionnent plutôt que de se laisser regarder, il n’est pas très étonnant que « Les Oubliées » ait rapidement fait parler d’elle. Dès le visionnage de la bande annonce qui figure sur le site officiel de la série [1], on saisit que ses créateurs, à savoir Hervé Hadmar (réalisateur et co-scénariste) et Marc Herpoux (co-scénariste) se sont donnés les moyens de réussir à envoûter leur public.

Un personnage central

« Les Oubliées » est tout entière dirigée vers son personnage principal, Christian Janvier, incarné à l’écran par l’excellent Jacques Gamblin. Adjudant dans la gendarmerie, Janvier se consacre à une enquête au long cours. Plusieurs jeunes femmes ont disparu dans la région, la première il y a quinze ans. Un tueur unique, au modus operandi bien défini, se cache derrière ces différents cas. Au fil du temps, les moyens alloués à l’enquête se sont réduis, si bien qu’elle n’est aujourd’hui plus portée que par Janvier, devenu presque intime avec les familles des victimes. Cette enquête est au centre de sa vie. Une obsession. L’intériorité de Janvier constitue le point d’ancrage de la série, et c’est parfois brillamment suggéré, à l’image d’une séquence figurant dans le scénario du premier épisode (disponible sur le site officiel) où nous entendons les notes d’une partition que le personnage est en train de lire.
Janvier a une femme, Suzanne, et une fille, Caroline. S’il les aime, il n’est sans doute pas faux de dire qu’elles passent désormais au second plan. Ne souhaite-t-il pas en effet que sa femme oublie les opportunités de carrière se présentant à elle pour que la famille puisse rester dans la région et que lui puisse poursuivre son enquête ? Pourtant, c’est bien sa crainte de voir sa fille comme une possible oubliée qui alimente son obsession.
Mais, dans cette enquête au long court ou chaque jour qui passe représente un risque supplémentaire de voir un indice capital sombrer dans l’oubli, l’Adjudant Janvier se découvre une faille d’envergure : une maladie s’attaque à sa propre mémoire...

Une forme soignée

Le premier épisode commence alors qu’une nouvelle disparition survient. Janvier obtient un plus grand bureau et un partenaire, l’inexpérimenté Olivier Ducourt. De manière ingénieuse, ce premier épisode se focalise sur une fausse piste, une manière futée d’exposer les tenants et aboutissants de l’affaire, tel le modus operandi qui caractérise le tueur, dans un contexte dynamique. Quand, au terme de cette première heure, Janvier annonce sa conviction selon laquelle le suspect arrêté n’est coupable que du dernier meurtre et pas de la série qui l’a précédé, l’intrigue se relance. Mais le téléspectateur a toutes les cartes en main pour la suivre, déjà partiellement immergé dans cet univers, déjà fasciné par la personnalité de Janvier et l’écriture envoûtante de la série.

Pour la mise en image, Hervé Hadmar s’est orienté vers une réalisation caméra à l’épaule très dynamique et impliquée, produisant un style documentaire renforcé par les parti-pris de photographie. Une réalisation cohérente avec l’univers décrit, mais qui s’inscrit aussi dans le cadre des réalités budgétaire de la série. Pour pousser cet aspect documentaire, « Les Oubliées » privilégie le tournage en décors naturel, voire parfois en situation : au milieu d’une vraie compétition de judo ou de vrais passants dans une rue.
La série se paye par ailleurs le luxe d’une musique symphonique très réussie, que l’on doit à Eric Demarsan. Ces compositions installent une véritable atmosphère et participent du basculement progressif annoncé de la série vers un certain surréalisme.

Tout le monde y croit... sauf France 3 ?

Tous ces éléments nous avaient plus que mis à la bouche et c’est avec une impatience certaine que nous attentions la diffusion de la série. Malheureusement, nous attendons encore.
Au début de l’été, « Les Oubliées » était encore annoncé pour septembre. La série devait être l’une des premières programmation de la nouvelle case du samedi soir de France 3, étiquetée « Suspense ». Au même moment, Hervé Hadmar expliquait que, si tout dépendrait bien sûr in fine du résultat d’audience de la série à la diffusion, il savait déjà dans quel direction il pourrait orienter sa création en cas de seconde saison.
Force est de constater que septembre, puis octobre, sont passés, sans que la série n’arrive à l’antenne. Compte-tenu du titre de la série, cela a quelque chose d’ironique, mais c’est probablement surtout inquiétant. Tout indique que la chaîne ne croit pas, ou plus, en sa production. Il se murmure désormais que « Les Oubliées » pourraient voir la lumière du jour en janvier, en quelque sorte abandonnée à l’antenne au moment où l’on digère la dinde et le marron. Mais on dit aussi que la chaîne aurait d’ores et déjà fait une croix sur l’idée d’une seconde saison de la série.

Même si cela n’était pas le cas, il est bien évident que les délais ahurissants qui sont souvent ceux de la fiction française peuvent difficilement supporter qu’on leur ajoute presque une année à laisser traîner une série terminée sur une étagère. Car quand vient le moment de la diffusion, même en cas de succès, plus le temps a passé plus il est difficile de courir après chaque membre de l’équipe pour tenter de leur arracher un contrat. On a vu où cela a conduit la seconde saison de « Clara Sheller », pour les mêmes raisons, des échos récents remettent en cause la possibilité qu’une suite de « David Nolande » voit jamais le jour...

Déjà, l’année dernière, France 3 avait programmé la pourtant excellente « Affaire Villemin » comme on se rend à l’abattoir, trois soirs de suite, l’air de vouloir vite en finir, sans même faire l’effort de fidéliser un public autour de cette production. Faut-il voir une conséquence des changements incessants des équipes de France Télévision dans ces refus d’assumer à la diffusion des productions maisons ?
Avec « Les Oubliées », France 3 laisse dormir sur une étagère l’un des rares joyaux de la fiction française. Se pourrait-elle qu’elle soit la seule à ne pas le savoir ? Quand bien même le sujet, ou son traitement par la série, rendrait difficile l’adhésion par une masse de public, soutenir haut et fort une oeuvre brillante et innovante, ne serait-ce pas la première des missions du service public ?

.