TENDANCE - Le renouveau de la série française
De "P.J." à "Clara Sheller" : le premier acte d’une renaissance
Par Sullivan Le Postec • 26 décembre 2006
Totalement absente des écrans du milieu des années 80 à la fin des années 90, la véritable série est progressivement réapparue en France entre 1998 et 2006...

Ces derniers mois, il n’aura échappé à personne que la fiction télévisée française vivait une révolution : changement de ton, basculement vers le 52 mn, multiplication des projets intéressants... Beaucoup est fait pour que notre fiction rattrape son – grand – retard.

L’origine de cette révolution forcée se trouve moins dans une soudaine poussée créative que dans la quasi absence d’évolution depuis la fin des années 80. A cette époque, la privatisation de TF1 place une télévision privée en position de forte domination. L’enjeu est de garder ce public, c’est-à-dire qu’il s’agit moins pour ses programmes de créer l’adhésion que de ne susciter aucun rejet. A l’intérieur de ce cahier des charges se construit le « système Navarro », celui des collections de téléfilms à ‘‘héros-citoyens’’ récurrents, tous sortis du même moule tout au long des années 90.
Écrasée, la concurrence prendra par ailleurs quelques mauvaises décisions : d’abord celle de systématiquement suivre TF1 sur son terrain, c’est-à-dire le héros-citoyen ou le soap-sitcom ado, en y ajoutant simplement quelques touches maison. Ensuite, on cherche à limiter la casse en évitant toute concurrence frontale. Ainsi, si les films de cinéma ou les divertissements de TF1 et de France 2 sont très souvent en compétition les uns contre les autres, les rendez-vous de fiction maison sont les lundis et jeudis sur TF1, les mercredis et vendredis sur France 2. L’absence d’émulation par la concurrence et de possibilité pour le spectateur de marquer ses préférences achèvera de rabougrir notre fiction.

A la fin de la dernière décennie, un certain nombre de constats vont cependant forcer à une remise en question de la fiction française : sa répétitivité (toutes les productions se ressemblent) amplifie le risque de lassitude et il devient plus difficile de lancer de nouveaux héros. Elle s’exporte mal parce que nos formats sont inadaptés au marché. En conséquence, son économie est fragile, notamment du point de vue des producteurs qui ont du mal à financer du développement. Enfin, l’exposition des séries étrangères s’est accrue par la diffusion en prime de « X-Files », « Urgences » ou « Ally McBeal », puis d’autres séries. En l’espace de quelques années, la série américaine, qui a bénéficié d’une concurrence se jouant sur le terrain de la créativité, voit son image transformée.

Le premier tournant sera le lancement de la case de fictions policières en 52 mn de France 2, inaugurée en 1997. Pendant près de dix ans, la télévision publique, et France 2 en particulier, va assumer tous les risques du changement et de l’acclimatation progressive du téléspectateur français à la série moderne et à ses codes différents en matière de rythme, de multiplicité des personnages, et de leur caractérisation (ils peuvent se tromper, ont des faiblesses).
Si, à l’échelle mondiale, ces séries ne sont pas révolutionnaires (on ne rattrape pas instantanément 20 ans de retard), elles possèdent néanmoins suffisamment de qualités (tels les dialogues brillants d’« Avocats & Associés ») pour accrocher un public qu’elles vont fidéliser.

Lorsque, en 2005, un reflux de la télé-réalité replace la fiction au premier plan, celle de France 2 est rodée et variée. Elle est donc en mesure de lancer un « Clara Sheller », qui bat TF1 le soir de son lancement. Quelques mois plus tard, ce sont des inédits de « PJ » qui mènent l’audience le vendredi soir.
L’ensemble des chaînes réalise alors – enfin ! – que l’appétit du public pour la fiction inédite est gigantesque et qu’il traverse les modes et les tendances éphémères, pour peu qu’on lui propose des productions travaillées et correctement écrites. Un véritablement mouvement de fond s’engage alors, particulièrement du coté de TF1 qui s’attache en quelques mois à renouveler de fond en comble son offre. Symbole : le relancement de « Navarro » sous la forme d’une série dérivée de 52 mn qui fera la part belle aux mulets.

Reste que la fiction française se heurte encore à de nombreux tabous, et peine à retranscrire la réalité quotidienne sociale et politique, amoindrissant ainsi grandement sa fonction de miroir de la vie. De ce point de vue, l’assaut sera mené sur un front inattendu : celui des séries quotidiennes de journée. « Plus Belle la Vie » d’abord, profitant de son énorme succès, puis « Préjudices », vont en effet s’attacher à proposer des traductions fictives du réel et à y confronter leur public.

L’intégration d’une telle volonté au sein de fictions de prime-time disposant de plus de temps au moment de l’écriture et de la production pourra être interprété comme le signe que notre fiction atteint enfin une certaine maturité.