THE INCREASINGLY POOR DECISIONS OF TODD MARGARET — Saison 1
"I have the strength of 20 ponies !" Todd Margaret
Par Dominique Montay • 23 février 2011
Il est incompétent, timide, a un physique triste, et surtout, est un menteur pathologique. C’est Todd Margaret, l’américain envoyé à Londres pour vendre une boisson énergétique nocive pour la santé. Et ce n’est pas un drame social, c’est une comédie de David Cross.

David Cross est un comique de génie. Et forcément, quand un comique de génie américain part en Grande-Bretagne pour bénéficier de la liberté de ton du pays de la meilleure télévision du monde, on est en droit d’attendre quelque chose de remarquable. Quand en plus de cela, on ajoute un casting qui rassemble Will Arnett, le rare réalisateur Spike Jonze et le nouveau jeune premier British à la mode Russel Tovey, on ne tient plus. Alors, alors ?

L’évidence, c’est qu’en partant de là, on ne peut que descendre. Les attentes sont si hautes que le produit final ne peut que décevoir. Après, le tout est de savoir à quel point ça déçoit. « The Increasingly poor decisions of Todd Margaret » fait partie de ces comédies assez noires, où le personnage central n’est pas très agréable (voir carrément antipathique). Le but de l’épisode étant d’accumuler autour de lui les faux-pas et erreurs de jugement, les empilant jusqu’au final, généralement une mise au point sèche et sévère, mettant le personnage face à ses manquements, ses mensonges, ses approximations. Le traitement est sans pitié, et doit déclencher le rire.

En rire ou en pleurer ?

Hélàs tout le monde n’est pas réceptif à ce genre d’humour. Les maîtres de cet art, on les connaît. C’est Larry David de « Seinfeld » à « Curb your enthusiasm » et Ricky « Je me suis mis tout Hollywood à dos aux Golden Globes mais je m’en fout » Gervais (« The Office », « Extras »). Des comédies dures, cruelles, où on passe autant de temps à avoir honte pour le personnage qu’à en rire. Si ce processus est évident à l’écriture, et peut s’y avérer très drôle, le rendu à l’écran dépend de beaucoup de choses, et soulève plein de questions. Du type : une série comique peut-elle fonctionner sans le mécanisme de l’empathie ? « The Increasingly poor decisions of Todd Margaret » échoue à répondre à cette question, alors que cette dynamique devait quelque part diriger la réflexion de David Cross.

Dans une interview passée, il avouait tomber des nues quand il entendait les responsables de HBO lui annoncer, par rapport au projet avorté « David’s Situation » (qu’il devait produire avec son ancien comparse de « Mr. Show », le tout aussi talentueux Bob Odenkirk) qu’il leur était impossible de concevoir mettre à l’antenne une comédie où le personnage central est autant antipathique. Une réaction il est vrai étrange quand on sait qu’HBO diffuse « Curb your enthusiasm », qui repose pourtant sur ce principe.

Quelque chose à prouver

Consciemment ou inconsciemment, « The Increasingly poor decisions of Todd Margaret » semble être la réponse de Cross à ces exécutifs. Le problème, c’est que la série n’est pas très drôle, et du coup s’impose comme un contre-exemple à la défense de Cross. On le disait plus haut, Todd Margaret est un loser, pathétique, assez ordinaire physiquement, mal habillé, sans talent, sans carrière devant lui, et son statut dans la série (il devient le chef de la section londonienne de sa compagnie) ne tient que sur un trait de son caractère : il ment comme il respire. Ce qui rend impossible toute empathie pour le personnage. Quand celui de Larry David accumule les bourdes jusqu’à un paroxysme, il le fait en partant d’un détail qui lui échappe : une mauvaise plaisanterie, une remarque juste mais inappropriée. Quand Todd Margaret est en mauvaise posture, c’est parce qu’il vient de mentir à dix personnes. Tant pis pour lui.

Cet arrière-goût est présent 80% du temps, et du coup empêche de réellement apprécier la qualité humoristique du propos. On finit par en vouloir à Todd Margaret ses actions, à ne pas en être complice, à ne pas prendre parti pour lui. Rire de lui (j’insiste sur le « de ») est plus une réaction assez mesquine (je ne juge pas, moi-même, j’ai ri à certaines reprises) qu’un véritable geste positif. On ressent parfois cela avec le David Brent de « The Office », mais il est sauvé par l’humanisme des personnages de Jim et Pam. Or dans « The Increasingly poor decisions of Todd Margaret », hormis Alice, la gérante d’un salon de thé, personne n’est à sauver. Du boss de Todd, joué par Will Arnett, un type vulgaire et agressif, à son employé, l’insupportable Dave.

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La belle Alice
Quelques grammes d’humanité dans un monde d’imbéciles

Dave nous gâche le plaisir

Dans le préambule, on s’exstasiait devant le cast. Hélàs, on déchante assez vite. Will Arnett n’est réellement présent qu’à partir du quatrième épisode, Russel Tovey a été remplacé après un premier pilote à cause d’un problème de planning, et Spike Jonze disparaît durant trois épisodes, faisant même penser au départ que sa présence n’était qu’un caméo à effet d’annonce. Russel Tovey devait donc interpréter le jeune Dave, un manipulateur de la pire espèce, qui jubile à la vue de Todd Margaret. Pour ne pas avoir vu la performance de Tovey, je ne peux pas jouer aux jeu des sept erreurs. Mais aurait-il réussi à moins gâcher les scènes que son remplaçant, Blake Harrison ?

Baladant un sourire narquois en toute situation, il réussit l’exploit de ruiner le morceau de bravoure du pilote, dans lequel Todd Margaret se siffle 4 bouteilles de sa boisson énergétique douteuse, le « Thunder Muscle » dans le salon de thé d’Alice, devant des consommateurs hébétés. Todd commence à délirer et à ne plus être maître de ses gestes, jusqu’à sortir des phrases aussi improbables que celle mise en sous-titre de l’article « I have the strenght of twenty poneys »… et au milieu de ça, vous avez Dave qui se marre comme une baleine et qui encourage Todd à continuer, quand Alice le reprend et insiste pour qu’il arrête. La dynamique est telle que si on rit au départ, ce n’est plus le cas à l’arrivée. On ressent de la gêne, de la honte d’avoir rit de ce pauvre bouffon, contrairement à Dave.

Une écriture millimétrée

Heureusement, l’habileté structurelle de David Cross sauve l’ensemble. Tout ce qui est amené est utilisé, et rien n’est issu du hasard. Après avoir regardé les 6 épisodes, on a même une meilleure opinion du programme. David Cross le reconnaît lui-même, l’ensemble est meilleur que ce qui le forme. Les prégénériques sont assez drôles, montrant Todd dans un tribunal, avec un juge qui décrit les faits qui lui sont reprochés (et qui sont ensuite développés dans l’épisode). Les post-génériques des trois premiers épisodes aussi, montrant ce qui arrive à l’appartement de Todd.

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Jonze, Cross et Arnett
Will : Mais puisque je te dis que non, nous ne serons pas dans tous les épisodes !

Todd a un chat, et vu qu’il n’a aucun ami, lui donne à manger pour la durée de son absence. Ce qui arrive tient de la fatalité : le chat meurt de suralimentation et la maison est envahie de chats de gouttières. Mais à chaque épisode, l’état de l’appartement empire jusqu’à atteindre un paroxysme, et il finit par être utilisé dans la narration alors qu’on pensait assister à une pastille gratuite. Lorsqu’il travaillait sur « Mr. Show », David Cross était considéré comme un chieur génial. Rien ne semble lui échapper, et son oeuvre semble travaillée à de multiples reprises pour éviter toute perte de contrôle sur son récit. C’est pareil sur « The Increasingly poor decisions of Todd Margaret ».

La série fonctionne aussi sur le principe de la répétition des gags. Comme celui d’avoir Todd, systématiquement (dans les 3 premiers épisodes), finir le pantalon souillé (pour des raisons toujours différentes et issues d’une progression). Ou ce gag absolument hilarant (il y en a) où Todd, voulant rendre service renvoit un ballon à un gamin de 10 ans en lui shootant dans le visage, puis voulant re-rendre service, renvoit un autre ballon vers un autre joueur de foot, mais en shootant toujours dans le visage du même gamin de dix ans. Toujours de l’humour cruel, mais plus primaire.

Une vrai réussite par moments

Certains passages fonctionnent très bien, quand Todd tente d’expliquer à Dave qu’il passait ses étés à Leeds (ce qui est un mensonge) avec son père depuis décédé (mensonge aussi), sans savoir où Leeds se situe géographiquement, ni être capable de sortir une adresse convenable. Quand Todd filme une publicité avec une star du sport britannique (en fait, un joueur de Snooker de seconde zone) qui devient hystérique devant l’incapacité qu’a Todd de dire convenablement Snooker. Puis ces petites touches, Alice étant fanatique de la cuisine moléculaire, elle « imprime » ses desserts.

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Cross et Arnett
Habillés pour honorer la mémoire des militaires britanniques tombés lors des grands conflits mondiaux... ou presque

Pour Cross, la série peut tenir trois saisons, c’est ce qu’il a sous le coude, et sa page facebook affichait en novembre qu’une saison 2 de huit épisodes devrait voir le jour, dans laquelle il traiterait des événements ébauchés dans les prégénériques : le tribunal. Au terme de la saison 1, Todd arrive enfin à s’attirer notre sympathie, son ultime mensonge étant teinté de romantisme, un élan idiot mais désarmant. Le final le met dans une posture impossible, et grâce à l’élan précédent, et nous arrivons pour la première fois à être de son côté. Si la saison 2 pouvait jouer sur ce registre, elle serait une bien meilleure expérience à vivre que cette saison 1 bourrée de qualités mais dans laquelle, au final, on ne prend pas assez de plaisir.