ENGRENAGES - Saison 2
"Les flics ne sont pas stupides" Szabo
Par Dominique Montay • 1er avril 2010
Après une première saison qui remporta un réel succès d’audience, un retour positif de la plupart des journalistes spécialisés et avec une bonne surprise à la clé, son achat par les anglais de la BBC (un évènement), « Engrenages » revient pour une saison 2. Meilleure que la première ? Pas difficile.

On aura beau entendre Fabrice de la Patelière nous affirmer qu’il pense que la première saison d’« Engrenages » est “formidable”, on est en droit de penser, que vu qu’il a décidé de se séparer de son scénariste principal, il ne la trouvait pas si bonne.

Souvenez-vous. « Engrenages » saison 1 finissait ainsi : L’ami pourri du substitut du procureur se faisait poignarder en prison, dans laquelle le procureur l’avait mis pour une raison infantile. Cet ami pourri est dans le coma, et s’y souviens de plein de choses, même d’évènements auxquels il n’a pas participé, sous forme de flashbacks. On y apprenait que cette fille qui a été retrouvée morte et qui était très belle s’est faite tuer par un psychopathe roumain qui, tout en lui ravageant le visage à coup de pierre, nous dit (avec un accent roumain) « tu es trop belle » (ah, tout s’explique…). On y voyait une avocate rouquine se débarrasser de preuves qui pouvaient innocenter son patron des accusations de viol qui lui avaient fait perdre son travail. Pourquoi ? Ben… on sait pas. On y entendait le substitut du procureur et le juge d’instruction se dire que le pourri en chef (un homme politique) allait s’en sortir parce qu’ils ne pouvaient rien faire. Et que c’était visiblement trop dur d’essayer. Ma pauv’ dame. On y voyait cette même avocate rousse accepter de travailler avec le pourri en chef/homme politique suspecté de pédophilie après avoir travaillé avec un homme suspecté de viol. Sont prêtes à tout, les rousses. Ah, et puis on finissait sur le juge d’instructions, sapé avec une veste militaire, qui disait au substitut qu’il avait été marié par le passé, et qu’il avait beaucoup d’affection pour lui, le substitut. Mmm-mmm (sourire en coin, clin d’œil).

Et à partir de là, il fallait écrire une saison 2.

Bon courage.

Repartir de zéro, ou presque

Virginie Brac relève le défi. Elle prend les rênes de la série et réussit, par le biais de scènes bien amenée à couper totalement le cordon avec l’original, à pointer ses défauts (quasiment un par un), et à dégager les sous-intrigues posées par le final précèdent en les évacuant d’un revers de main. Ce pilote souligne ainsi tous les défauts d’ »Engrenages » et promet presque qu’on ne l’y reprendra plus. Les flics, au lieu de tout faire sauf leur boulot se retrouvent autour d’un barbecue (par un de ceux d’Olivier Marchal avec des saucisses et des flics qui font la chenille, je vous rassure), un type qui s’est fait cramer dans une voiture et font… leur boulot (première révolution). Donc ils observent la scène, consignent sur dictaphones leurs constatations (pas leurs impressions) et évitent les phrases à l’emporte-pièce. Les personnages sont aussi complètement redéfinis. Le proc a récupéré un poste de vice-procureur défini par beaucoup comme étant une voix de garage. On a remplacé le trivial (le copain proxénète qui lui prête un appart et qui lui fait transgresser les règles) par du réaliste. Le type passe dorénavant pour un mélange assez habile d’idéaliste et de carriériste, et ces deux composantes totalement opposées vont se confronter à ses choix durant les 8 épisodes. Mais ce n’est pas le seul à passer du caricatural illogique à quelque chose de plus solide.

Si le Juge Roban change peu, cela étant sûrement au jeu particulier de Philippe Duclos, qui s’il déstabilise un peu au départ avait l’avantage majeur de poser un VRAI personnage, avec un grand charisme, et une faculté à attirer l’attention du téléspectateur presque instantanément. La commandante Laure Berthaud passe d’une fliquette pas douée, grande gueule qui couche à tout va à une flic consciencieuse mais débordée, et qui fait face à ses défauts. De plus, maintenant, elle a un chef, personnage complètement absent de la première saison, ce qui donne moins l’impression que les flics sont livrés à eux-mêmes et délaissés par des supérieurs absents, bien calés dans leur bureau. L’avocate Joséphine Karlsson, autrefois illogique et « juste détestable », donne une partition beaucoup plus mesurée, et arrive, grâce aussi à la prestation sans faille d’Audrey Fleurot, à être tantôt insupportable, tantôt déclencher l’empathie. Elle se met dans des situations très difficiles, par appât du gain, mais est souvent terrifiée. Victime de son arrivisme. Ces deux personnages se retrouvent au cœur de l’histoire. En saison 1, une scène crevait l’écran, et mettait face à face ces deux femmes que tout oppose. Karlsson discréditait Berthaud au tribunal. Cette scène sert d’inspiration à l’un des fils rouges de la saison, une confrontation sur la longueur entre Berthaud et Karlsson, et au-delà d’un simple duel de femmes, c’est à un combat entre deux philosophies qui s’affrontent, l’une nihiliste, l’autre idéaliste. Comme quoi Virginie Brac n’a pas seulement fait table rase de la saison 1 pour créer la sienne, mais sait aussi reprendre ce qui y a fonctionné.

Des "méchants" charismatiques

La menace de cette saison, c’est le trafic de drogue. Un fil rouge plus tangible, plus crédible surtout, que cette fumeuse histoire de prostitution. Et surtout, cette portion est incarnée par de réels personnages, un peu manichéens pour la plupart, mais diablement bien construits. A la tête du casting, on retrouve Reda Kateb, Aziz, dealer de moyenne envergure qui a sorti un disque de rap pour pouvoir justifier ses émoluments. Mais le disque ne se vend pas. Si cette sous-intrigue ne prend pas beaucoup de place, elle pose le personnage, le montrant pathétique à de nombreuses reprises (quand il essaie de placer son disque au DJ d’une boîte, qui le repousse vertement). Aziz est un homme frustré qui ne respecte aucune règle, ni celles des flics, ni celles de sa hiérarchie. Le barbecue dont nous parlions plus tôt, c’est lui qui le réalise, s’attirant le regard de la police. Aziz n’y révèle ici que sa frustration de ne pas être reconnu en tant qu’artiste, et que, n’inspirant pas le respect, cherche à inspirer la crainte. Il n’est pour autant pas décrit comme un anti-héros romantique. Au contraire. Aziz est violent, dangereux, et il ne réfléchi pas beaucoup. Un personnage d’une grande richesse qui donne du corps à cette enquête.

Ses supérieurs ne manquent pas de qualité, les frères Larbi (Mehdi Nebbou et Samir Guesmi), mais sont à la fois plus ancrés dans un inconscient collectif, un cliché des films de gangsters. Plus que par leur nature, c’est la partie dans laquelle ils interviennent qui brasse un genre maintes fois ressassé, celui du flic infiltré. Même si la progression est logique (les flics interpellent un petit dealer, remontent sur Aziz, puis sur les frères Larbi, enfin cherchent à les infiltrer pour court-circuiter un deal), elle est très rapide et pas tout le temps bien amenée. Si le personnage du flic infiltré passe bien (Samy interprété par Farouk Larbi), on a du mal à croire qu’il passe de l’illustre inconnu au quasi bras droit des frères Larbi en 4 épisodes. On touche encore du doigt les limites du rythme en 8 épisodes, qui pousse souvent les auteurs, une fois leurs épisodes d’exposition terminés, à accélérer si ce n’est à bâcler les derniers pour clore leurs pistes narratives.

Une saison, et puis s’en va

Virginie Brac et son équipe ne reviendront pas en saison 3, et c’est bien dommage. Le savaient-ils en fin de saison ? C’est à se demander tant le récit est clôt, et n’ouvre aucune perspective (sans pour autant les fermer) sur les personnages. Un cadeau pour la nouvelle équipe tant la remise à zéro des compteurs entre la une et la deux a du être compliqué.

Cette comparaison est omniprésente dans cette critique et pour cause. Le fait d’avoir vu la saison 1 oblige le spectateur à jouer au jeu des sept erreurs (il y en a plus…). On se prend parfois à se demander si cette impression de réussite que laisse la saison 2 n’est pas motivée par la déception engendrée par la première. Ce doute ne subsiste pourtant pas longtemps. La qualité de la saison 2 est réelle et on est tenté de pousser les spectateurs qui n’auraient pas plongé dans la série « Engrenages » de s’y lancer sans passer par la case départ. La saison 3 revient donc très bientôt sur les écrans de la chaîne cryptée, avec une nouvelle équipe de scénariste. Autant le renouvellement était nécessaire auparavant, autant celui-ci n’est pas facilement compréhensible. Est-ce une volonté de la chaîne de repartir de zéro chaque année, de refaire découvrir les personnages aux auteurs et de lancer des nouvelles pistes ? Cela ne va-t-il pas porter préjudice à cet ancien malade à présent guéri ?

La saison 3 d’« Engrenages » sera diffusée aux alentours de début mai sur Canal+, et on va vous en parler ici très bientôt.

Post Scriptum

Retrouvez l’analyse très complète de l’épisode 1 de la saison 2 sous la plume de Sullivan.