THE SHADOW LINE
La série de l’année pour la rédaction du Village.
Par Dominique Montay • 16 janvier 2012
Des flics, des dealers. Deux faces d’une même pièce, deux côtés d’une même ligne. L’une dans la lumière, l’autre dans l’ombre. Mais du dealer et du flic, lequel marche dans l’ombre ? C’est la thématique de la meilleure œuvre télévisuelle européenne de l’année, « The Shadow Line ».

Jonah Gabriel est un inspecteur de police qui vient de sortir d’une longue hospitalisation. Blessé lors d’une opération obscure dont il ne se souvient pas, il a toujours la balle qu’on lui a tiré dessus coincée dans le cerveau. Il doit aussi gérer avec la suspicion de ses collègues et de sa propre conscience : est-il un flic pourri ou intègre ? Du côté des dealers, alors que le grand patron Harvey Wratten vient de se faire assassiner juste après avoir été libéré de prison pour des raisons inconnues, Joseph Bede a prit les commandes. Simple exécutant, il avait mis au point avec Harvey une méthode sûre pour générer un maximum de revenu. Il est obligé de prendre les commandes bon gré, mal gré, afin de réussir cette opération, puis quitter le business.

« The Shadow Line », a été désignée série européenne de l’année dans les Prix du Village.

Une réussite formelle

« The Shadow Line » est avant tout une grande série d’ambiance, qui finit d’asseoir la supériorité visuelle des britanniques. Pourtant touchée comme personne par la crise, la BBC continue d’abreuver les écrans de fictions qui n’ont d’égal que celles du câble américain. La scène d’ouverture est un modèle du genre, ne mettant pourtant pas en scène de personnage principal. Deux flics autour d’une scène de crime, l’un jeune et bercé d’illusion, l’autre cynique et pourri jusqu’à la moelle.

Par des effets simples, le scénariste / réalisateur Hugo Blick (qui est aussi comédien et dont le haut fait d’armes est d’avoir interprété le rôle du Joker jeune dans le Batman de Tim Burton) imprime une ambiance incroyable à son récit. D’abord sur l’image. Tout simplement belle, sans dé-saturation accentuée, avec des plans fixes, Blick utilise le meilleur du format HD, qu’on remarque à peine. Si l’image est remarquable, le vrai effet coup de poing est le travail sonore. Les sons d’ambiances sont réduits à leur plus simple expression, étouffés, presque inaudible. Durant toute la série, on a l’impression d’être au centre de toutes les conversations. A l’inverse des effets utilisés au cinéma, qui prônent un 7.1 ou 9.1 ou 15.1 qui divise tous les sons et qui semblent les faire venir de tous les côtés de l’écran, Blick se sert à merveille du format télévisuel et ramène l’attention du téléspectateur sur ce qu’il doit suivre en priorité : ce que disent les personnages.

Cousine de « The Wire »

En faisant cela, Blick souligne la thématique de sa série. C’est une série sur les secrets, sur les mensonges, et sur ces phrases qui s’échangent entre deux personnes, discrètement, sans témoin — si ce n’est nous. Blick évite ainsi de se couper du téléspectateur, tant les personnages ne sont, pris un par un, ni des guides, ni des figures provoquant la sympathie. Jonah Gabriel est trop perdu et rigide pour être un lien convenable. Joseph Bede, malgré son fantastique pathos (sa femme est malade d’Alzheimer et s’approche de la phase finale de la maladie) et le jeu d’un Eccleston inspiré comme rarement, reste malgré tout un dealer. Jay Wratten, fils du décédé Harvey Wratten est un psychopathe… En cela, et ce n’est pas le seul point commun, la série fait penser à « The Wire ».

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Joseph Bede (Christopher Eccleston)
Un très très grand Eccleston

La grande sœur de David Simon possède beaucoup d’éléments thématiques en commun avec la série d’Hugo Blick. Flics perdus, chefs magouilleurs, dealers humains, politique omniprésente à tous les niveaux… malgré tout, là où « The Wire » est proche d’une œuvre naturaliste, « The Shadow Line » est purement théâtrale. Sûrement une conséquence du statut de comédien de Blick.
Mais Blick ne se contente pas de filmer deux personnages qui parlent. Il y a chez lui un sens de la mise en scène, du rythme (les scènes sont très rarement trop longues, et dans un style très anglo-saxon, vont souvent à l’essentiel), et comme nous l’avons dit plutôt, de l’ambiance.

La musique est envoûtante. Partant du morceau « Pause » de Emily Barker & The Red Clay Halo, Martin Phipps sert une BO à base de violons et de percussion utilisée avec une parcimonie louable, tant à chaque fois que résonne de la musique dans « The Shadow Line », c’est fait de façon utile, pas dans un but de remplissage. Cette utilisation au compte-goutte du score permet aussi à Blick d’utiliser les silences, et d’appuyer leur force, tantôt pour la peur, tantôt l’émotion.

Des personnages fantastiques

Certains personnages restent gravés dans la mémoire : Joseph Bede, figure dramatique classique, un homme dans une position impossible et qui tente de rationaliser son univers, de lui donner un sens, dans le simple but de sauver sa femme. Peter Glickman, ancien comptable de l’organisation criminelle, parti en Irlande en changeant d’identité (et de physique, de façon incroyable !). Jay Wratten, le fils maudit, sociopathe, psychopathe, fou dangereux qui ne possède aucune réaction normale, mais capable de calcul et de réflexion. Rattalack, jeune homosexuel au visage de poupon, mais ordure finie, prêt à tout pour réussir. Enfin, James Gatehouse, homme mystérieux, tantôt terrifiant, tantôt paternaliste, assassin silencieux insaisissable. On pourrait tenir ici une liste interminable, prenant en compte grand nombre de seconds rôles, tant un grand soin a été apporté à la caractérisation et au casting. Sur presque tout le monde.

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Gatehouse (Stephen Rea)
Simplement terrifiant

Parce que, même si la série est fantastique, elle n’est pas exempte de défauts. Le personnage de Lia Honey, la partenaire de Jonah Gabriel, est un petit peu limite. Trop dans l’agressivité, dans la confrontation. Le visage très étrange (chirurgie, pas chirurgie ?) de Kierston Wareing ne semble pas coller à cette femme au final très masculine. Son jeu est trop forcé, trop appuyé pour être crédible.

Sans défauts ?

L’autre défaut de la série, c’est peut être la façon assez maladroite qu’elle a de rappeler constamment sa thématique. Le mot ligne est prononcé une bonne dizaine de fois dans chaque épisodes, comme si le téléspectateur n’était pas capable de faire le lien entre le titre et la situation une fois les bases posées. Peut-être une volonté de Blick de rendre ultra-accessible son propos, de peur de perdre l’auditoire alors que le reste de la série est très exigeante.

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Jonah Gabriel (Chiwetel Ejiofor)
Bang... Bang... Bang... Bang... Bang...

Beaucoup se sont plaints, au terme de la série, des révélations finales sur tous les secrets. Si certains points sont assez maladroitement abordés (les trahisons, les « mais en fait »…), la trame globale est très satisfaisante, et a le mérite d’être cohérente avec l’esprit de la série (encore une fois, peut être pas avec tous les personnages).

« The Shadow Line » est une série brillante, magnifiquement interprétée, qui, si elle appuie peut-être un peu fort sur ses thématiques a le mérite de suivre son cours de façon cohérente et satisfaisante. Une œuvre remarquable, poétique, sans concession, qui laisse une trace indélébile dans les esprits.

Peut-être la meilleure série de l’année. Et elle nous vient du service public anglais.

Comme souvent.

Post Scriptum

« The Shadow Line »
7x60’ - 2011
Une production Company Pictures/Eight Rooks Ltd/Baby Cow/CinemaNX production pour BBC Two.
Créé, écrit et réalisé par Hugo Blick
Aussi réalisé par Adrian Shergold
Avec : Chiwetel Ejiofor, Christopher Eccleston, Antony Sher, Stephen Rea, Rafe Spall, Kierston Wareing.