Pas de chiards qui chantent en auto-tune sur les tables de la cantine, pas de clown tueur d’unijambiste et de siamois, peu de pénis coupés au scalpel … Ryan Murphy va mal, très mal depuis deux ans : il fait de bonnes séries !
Et si on tenait sa meilleure ?
The New Normal
Pose fonctionne dans sa diffusion et dans son mode opératoire avec Dietland, autre grande série tout aussi parfaitement imparfaite de la désinvibilisation. Elles s’attaquent aux angles morts de la société, ceux que l’on relègue dans les coins et qui auraient droit de cité uniquement par la moquerie ou le regard de biais, l’objet de fascination. Si Sense8 a pu paver la voie dans la normalisation de la transsexualité [1] tout comme My Mad Fat Diary l’a fait avec l’obésité, la nouvelle série de Murphy n’a pas le besoin constant d’en faire son Freak Show, de pointer du doigt ses personnages comme des rebuts, ne construit pas son récit comme une vision des périphéries de la société.
Ici, rien de tout cela. Les personnes trans, malgré la culture du voguing et des ballrooms grandiloquente et baroque à souhait, ne sont pas considérées comme la marge, elles prennent l’espace, le remplissent, s’électrisent. Et ce avec une sobriété bien nouvelle pour Murphy : elles ne s’excusent plus d’être. Elles ne sont pas là contre le monde mais avec. En ce sens, la scène où Kate Mara confronte pour la première fois Angel est équivoque : la première ne peut concevoir que la seconde est encore en partie physiquement un homme et celle-ci l’en remercie.
Pose se lit et se regarde comme le négatif de la première série scandale de Ryan Murphy, Nip/Tuck. Un revers de trajectoire, on passe du “Make me beautiful” entêtant du générique des chirurgiens plastiques au “You’re Beautiful” post-op de ces personnages qui ne sont plus à la recherche de leur identité mais d’une place dans le monde. À aucun moment, contrairement à Sean McNamara et Christian Troy, les femmes et hommes de la série ne regrettent ce qu’ils sont, ce qu’ils deviennent. Au contraire, elles et ils doutent des autres, que les standards ne bougent pas mais Pose reste une heure lumineuse malgré les pleurs où l’acceptation et la diversité sont les conditions sine qua none pour vivre dans cette bulle de paillettes et pourtant pétri de doutes et de drames.
Dream Queens : the normal hearts
L’autre tour de force de Pose, c’est de ne pas uniquement poser un regard sur une communauté mais de faire que la communauté se regarde aussi : spectateur qui ne peut plus être passif des contradictions qui la traversent. Parce que Pose parle racisme, transphobie et estime de soi non pas pour les hétérosexuel·les (ou très peu) tant elles et ils sont en retrait dans le récit. Seulement Dawson vient piquer une tête, ayant mal tourné en suppôt de Trump L’Empereur après que Joey et Jen l’ait plaqué.
Non, la série parle aux gays et à leurs doubles standards. Je ne suis pas sociologue, ni expert de la question homophobie mais Pose, en mettant en avant un casting majoritairement trans noir et latino, met en avant un racisme internalisé, une reproduction inversée de l’oppression et ses moyens. Lors du second épisode, Blanca et une amie tentent d’aller dans un bar gay pour fêter la composition de sa maison en tant que “mother”. Mais une fois arrivées là-bas, elles tombent sur un gérant et des clients peu enclins à les accepter. Parce qu’elles sont trans, parce qu’elles sont typées. Par des scènes comme celles-ci (mais qui ne constituent pas un portrait exclusif des discriminations et tant mieux), la série dessine une échelle de la communauté et nous montre où se situent nos protagonistes : en bas. Elle nous dit aussi à nous, public majoritairement sensible à la question LGBTQ+, de nous bouger, d’enlever nos œillères et de nous rendre compte de ce que nous reproduisons encore en 2018 et qui était déjà là dans les années 80.
Alors oui, parfois, ça joue presque mal, certains dialogues sont surécrits mais ...
Avec Pose, j’apprends, je grandis. En 7 épisodes.
C’est la beauté du genre de la série télévisée et de ses grandes heures. On peut suivre un récit au premier degré, en apprécier la mécanique, les rebondissements. Mais les bonnes, les grandes séries nous apprennent toujours quelque chose de nous et du monde.
Et celle-ci m’a appris que le racisme et la transphobie sont tellement en nous que nous ne nous en rendons même plus compte. Que pour beaucoup, (dont moi ?), même si nous sommes sensibilisé·es à ces questions, nous restons ignorant·es car incapables de vivre la même chose. Le parallèle avec Dietland est également ici. L’histoire de Plum, je l’ai vécue. La plupart d’entre vous, non, probablement pas. On ne peut se mettre dans la peau de l’autre mais on peut en comprendre et en accepter les contours (et non pas les défauts, parce qu’ils ne sont pas plus importants que les vôtres). Bref, cette diversité de voix et voies est nécessaire et est là.
American Horror Story : Love Sick
Bien sûr, tout cela se fait dans l’époque, autre marotte de Murphy après les années 90 dans la dernière saison d’American Crime Story ou encore l’après 2nde guerre mondiale dans Asylum (AHS). Il ne pouvait donc pas placer son récit au hasard et la fin des années 80 a le SIDA en son centre obsessionnel. Tel un spectre faussement léger comme l’ère, la maladie hante les personnages, consciemment et inconsciemment. Ryan Murphy ne se départit pas totalement de son attrait pour l’horreur mais le met ici au service d’un tueur silencieux et invisible, bien plus efficace car réel et palpable. Le virus rôde entre les personnages et ne traîne pas : en sept épisodes et une série de dépistages, deux personnages principaux sont touchés et un personnage tertiaire vient d’en mourir. Elle est dans les pensés de tous, comme une épée de Damoclès déclenchant une pulsion de vie encore plus sensible.
Dans les ball-rooms, dans les rapports charnels et amoureux, dans les rues, les personnages se construisent une famille de substitution dans la peur et le manque. La peur du SIDA, d’être seul·e, le manque de reconnaissance, de contact. Protectrice, castratrice, aimante ou étouffante, la “mère” est une figure essentielle dans la série mais jamais unique. Murphy reprend alors les thématiques les plus intéressantes de son univers et les met sous le même toit, les confronte et ça fonctionne réellement. Chose rare, lui et son équipe parviennent à écrire pour tous les personnages sans exception, petits ou grands. Et enfin, il nous offre une des histoires d’amour les plus belles de la télévision (déjà !), celle entre Stan Bowes (Evan Peters) et Angel Evangelista (Indya Moore). Faite de maladresses, d’une déclaration époustouflante et d’une réflexion sur la pansexualité réellement bien pensée pour le moment, cette relation montre que Murphy peut avoir une âme de grand sensible qui sait où il va et ce qu’il veut dire.
Donc Pose est déjà une série importante pour toutes les raisons au-dessus et pour sa bande-son à faire danser (sous le sunlight des tropiques).
Mais puisque c’est Ryan Murphy, il va tout foutre en l’air en saison 2 ! (Non, s’il te plaît, pour une fois).
[1] De façon moins problématique que Transparent, malheureusement. Où le débat (inutilement) constant de la légitimité d’un·e cisgenre d’interpréter un·e transgenre. (CONTRE !)