Ayant une fâcheuse tendance à apprécier les séries dont les personnages me touchent et auxquels je peux m’attacher voire m’identifier, Community a, pendant trois saisons, offert à la boule de névroses, de fêlures et d’obsessions que je suis, cet être d’exception.
Autant être franche et le rappeler, jamais un personnage de série ne m’avait atteint, ou cernée, avec une perfection telle qu’Abed a su le faire.
De l’abandon par sa mère, dans Abed’s Uncontrollable Christmas, et de son besoin subséquent de se réfugier dans un monde imaginaire avant d’être réconforté par la présence de ses amis, à la simple manière qu’il avait de toujours superposer des univers fictifs à sa perception de la réalité, en passant par les difficultés que son amitié avec Troy a traversé pendant la grande guerre Blanket/Pillow – résolues sans vraiment l’être, tout chez lui me rappelait des épreuves auxquelles j’avais déjà été confrontée, et face auxquelles j’avais souvent réagi d’une manière bien plus proche de celle d’Abed que de celle qu’un young adult équilibré aurait favorisée.
C’est pour ça que je comprenais et embrassais ce pessimisme concernant les capacités sociales limitées d’Abed. Que je trouvais juste que même s’il était capable de facilement prévoir les comportements des gens qui l’entouraient [1], il voie les choses d’une manière particulièrement sombre et défaitiste dès que ça touchait à lui et à son importance aux yeux de ses amis.
Comme dans Virtual System Analysis où il affirmait au travers des lèvres de Shirley qu’il avait été éliminé de l’univers du Dreamatorium parce que personne n’avait besoin de lui, puis qu’une fois retenu prisonnier d’un « casier métaphorique » il confiait à Annie « J’ai testé les simulations. Je ne me marie pas, je n’invente pas un site internet qui vaut des milliards et aide les gens à baiser, je ne suis pas sélectionné à Sundance ». Comme quand, malgré le fait qu’on le présente comme quelqu’un qui peut facilement séduire (la mémorable scène Don Draper) et qu’il affirme plaire à beaucoup de filles parce qu’il est « plutôt adorable », la libraire de la saison 2 lui préférait Troy parce qu’elle trouvait Abed trop bizarre. Comme quand son amitié était mise à risque parce qu’il a du mal à faire des compromis.

Toute cette mélancolie m’a toujours paru couler de source. Après tout, comment quelqu’un de normal pourrait avoir une relation fonctionnelle et saine avec quelqu’un d’aussi étrange qu’Abed, d’aussi souvent déconnecté des valeurs traditionnelles ?
Cette quatrième saison de Community commençait très mal concernant l’écriture des personnages. Celle d’Abed en particulier sombrait dans une caricature insupportable pour les gens qui, comme moi, se sentaient aussi pathologiquement proches du personnage.
Et pourtant, dans le dernier épisode en date, un miracle s’est produit. Non seulement la série connait un bond dans sa qualité (un Pierce sympathique, et pas mal d’échanges assez touchants, notamment entre Britta et Jeff), mais Abed y est plus intéressant qu’il ne l’avait été depuis longtemps, puisque le personnage y connait une évolution intrigante, pratiquement inédite, et qui sonne juste.
On est à des années lumières du ton que Dan Harmon aurait, je pense, choisi pour son personnage. Et pour la première fois, ça ne me dérange pas. Parce qu’Abed y rencontre Rachel, une fille qui semble partager beaucoup de ses excentricités (sans pour autant être caricaturale), et que lorsqu’elle lui propose de rejouer un énième trope, il lui répond qu’il adorerait, mais que peut-être qu’ils devraient essayer de la jouer normale au début. Une évolution douce, pleine d’espoir, et dont j’avais peut être plus besoin que de n’importe quoi d’autre.
[1] Debate 101