LA COMMANDERIE — Saison 1
Plongez dans la France de 1375
Par Sullivan Le Postec • 6 avril 2010
« La Commanderie » est un feuilleton médiéval enlevé et passionnant, qui tire parti des mythes et de la beauté de l’époque. Mais plonge aussi son téléspectateur dans la noirceur du Moyen-Âge, pour mieux évoquer celle d’aujourd’hui...

Nous vous avons déjà présenté « La Commanderie » le mois dernier à l’occasion d’un article preview qui dévoilait en avant-première la version longue de la bande-annonce, et présentait le pitch de la série et ses personnages. Nous avons maintenant pu voir les quatre premiers épisodes et en profitons donc, avant le début de la diffusion samedi 10 avril à 20h35, pour publier un premier bilan critique, sans spoilers.

Révélateur

Il est amusant de constater que souvent, quand France Télévisions se réorganise mal, elle diffuse dans la foulée, voire au même moment, un programme qui illustre cette erreur de jugement.
Il y a trois ans, en mai 2007, France Télévisions annonçait une réorganisation de la programmation de ses cases de fictions par thématiques (politique abandonnée totalement deux ans plus tard et récapitulée au début de cet article). Au même moment elle programmait la série « Gréco » et l’annulait au terme de sa première saison parce qu’elle ne rentrait dans aucune des cases nouvellement crées, prouvant du même coup que la mesure avait un effet d’hyper-formatage à priori, de nature à tuer tout projet original, à l’heure même où la tendance lourde de la fiction télévisée mondiale était l’hybridation des genres.

Aujourd’hui, France Télévisions vient de ré-ré-ré-organiser son offre de fiction en distribuant les séries sur son antenne par genres : France 3 a ainsi récupéré toute la fiction historique.
« La Commanderie », initialement développée pour France 2, a donc changé de diffuseur au finish. Or, contrairement au « Village Français », développée entièrement en ayant à l’esprit qu’elle devait d’abord conquérir le public habituel de France 3, et ensuite élargir cette base en séduisant d’autres publics, ce qu’elle a réussi, « La Commanderie » colle assez peu à l’antenne de la 3. Cette réforme traduit de la part de la direction de France Télévisions une vision arriérée (déjà à l’œuvre en 2007) qui voudrait croire que sous prétexte que deux fictions appartiennent au même genre, elles s’adressent au même public. On leur recommande de passer des épisodes de « The Shield » à des fans de « Julie Lescaut », pour voir...
« La Commanderie » a les qualités nécessaires pour aller chercher des publics plus jeunes, pour peu qu’on se donne un minimum la peine de la faire connaître. Or, le site de la série sur France3.fr est lancé... aujourd’hui, à quatre jour de la première soirée de diffusion ! Sans compter que, comble de l’idiotie, elle échoue programmée le samedi soir, par blocs de trois épisodes. Démissionnaires ou totalement incompétents les responsables et programmateurs de la fiction à France Télé ? Franchement, on ne sait plus. Mais on y reviendra.

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Constance de Montet et Thomas Cortemain, la Dame et le Capitaine
Polaroïd de Didier Le Pêcheur

Historique, ludique, énergique

Après cette introduction pas des plus réjouissantes, venons-en à quelque chose de nettement plus rafraichissant : la série elle-même.

Série-feuilleton dynamique, rythmée, « La Commanderie » se suit avec beaucoup de plaisir, grâce à une approche à la fois populaire et intelligente, ludique et respectueuse de son public. En dépit du fait qu’elle n’est pas centrée sur des nobles chevaliers et des duels à l’épée (c’est une bonne chose : elle est plus originale), la série se situe véritablement dans la lignée des animations médiévales festives et familiales des fêtes historiques qui ont bourgeonné dans nombre de villes disposant de quartiers historiques ces quinze dernières années. Elle tire un grand parti de son environnement, la Commanderie du titre qui permet de mettre en scènes des situations et des personnages rarement vus. L’imagerie médiévale, très télégénique, profite à la série qui offre une reconstitution à la fois crédible et sachant injecter la part nécessaire de licence de fiction (le costume du personnage principal est très réussi). C’est, de façon évidente, notamment le cas dans les dialogues, qui donnent l’illusion nécessaire du médiéval par le truchement de quelques tournures passées en désuétude et d’un champ lexical intégrant le vocable moyenâgeux classique, et donc facilement compréhensible.
La photographie, réussie, rend justice au travail sur les décors et les costumes, et permet de passer outre une partie des scènes d’action sur lesquelles on relève quelquefois une réalisation ou un montage un peu maladroits. Rien d’aussi raté, quand même, que l’attaque de cheval dans le second épisode, principal point noir des quatre premiers épisodes.

Les personnages sont le premier atout de la série. Fouillés, complexes, plein de personnalité ils provoquent un attachement presque immédiat. Le personnage principal, le Capitaine de la garde Thomas Cortemain en est un bon exemple, et une bonne leçon donnée à ceux qui, en réaction aux anciens héros de séries françaises hyper-lisses et sans intérêt, ont poussé jusqu’à l’absurde la veine de l’anti-héros. Thomas est faillible, un peu voyou, bravache, mais aussi doté de caractéristiques plus positives, notamment son amour sincère et presque naïf. Bref, il est nuancé et remplit parfaitement bien sa fonction. Clément Sibony lui prête son charisme. Sa prestation est globalement convaincante même s’il est dommage qu’il ait tant de mal à se mettre en bouche le texte dans ses quelques passages aux tournures plus anciennes, ce qui lui fait délivrer certaines répliques hyper-platement.
Autour de Thomas et de la dame du château voisin, Constance de Montet, tourne l’intrigue principale de la série : ancienne possession Templière, la Commanderie pourrait cacher le secret du trésor caché de l’ordre dissous quelques décennies plus tôt. Un or à même de financer une nouvelle croisade destinée à reprendre Jérusalem. Cette quête secrète ménage de nombreux rebondissements, entre-croisant des personnages aux motivations différentes, voire contraires. Elle donne à la série sa part d’aventure et de mystère, et de cliffhangers réussis, tout en restant crédible.
Les intrigues B et C de chaque épisode mettent quant à elles en avant le quotidien des personnages de la Commanderie sur un ton volontiers léger, quand bien même la noirceur et la violence de l’époque ne sont absolument pas éludées. La guérisseuse intervenant pour sauver une femme battue par son mari qui lui reproche de ne pas tomber enceinte, et penche pour une forme de médecine très alternative ; le “procès” organisé pour calmer une paysannerie en émoi après la mort accidentelle d’un d’eux, et qui s’organise autour d’un accusé très original ; le brigand pieu haut en couleur qui bloque l’accès à un lieu d’offrande religieuse... Voilà quelques-unes de ces intrigues qui révèlent des personnages loin des clichés de la fiction historique de papa.

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Frère Pons, chapelain de la Commanderie
Polaroïd de Didier Le Pêcheur

Des époques qui se font échos

Avec cela, La Commanderie aurait déjà de quoi constituer un divertissement plus qu’agréable. Mais elle fait mieux en utilisant l’époque de son action pour développer un propos qui fait appel aux parallèles avec l’époque de ses téléspectateurs.
Le portrait que fait la série de l’horreur que constitue le contrôle du peuple par la religion est ainsi impitoyable et peut être vu comme une charge virulente contre tous les fanatismes et les intégrismes. Il faut voir le curé Pons, soupçonnant l’infanticide, torturer père et mère pour le leur faire avouer et arguer qu’ils endureraient la question avec le sourire si Dieu était de leur coté. ’’J’ai vu des cas !’’ ment-il effrontément. Autorité religieuse absolue de la Commanderie, il peut facilement s’abriter derrière le fait que personne n’est en droit de le contredire. C’est aussi une forme de rappel de ce que le Catholicisme a pu commettre d’atrocités et de barbaries en son temps, et de ce qu’il advient quand quelque église que ce soit se pique de se mêler au quotidien de la vie des gens.
De même, la série montre comment les différentes autorités de l’époque s’entendent pour maintenir le bas peuple dans son état d’ignorance et d’obscurantisme, et organise son manque d’éducation, pour mieux en garder le contrôle.
Le savoir est un pouvoir et, 650 ans plus tard, c’est toujours d’actualité...


Post Scriptum

« La Commanderie »
Saison 1 : 8 épisodes. Dès le samedi 10 avril 2010, à 20h35.
Une production Tetra Media Studio pour France 3.
D’après une idée originale de Ludovic Abgrall. Réalisé par Didier Le Pêcheur.

Les illustrations de cet article sont des polaroïds pris sur le tournage par le réalisateur Didier Le Pêcheur. De nombreux autres sont à découvrir sur la Page Facebook de la série.