ENGRENAGES - Saison 3
"Je vous reconvoquerais prochainement pour vous mettre en examen" Juge Roban
Par Dominique Montay • 5 juin 2010
Le retour sur Canal+ des flics désabusés et des magistrats désenchantés, après une seconde saison réussie mais qui n’ouvrait sur aucune piste narrative majeure. Nouvelle saison, quasi-nouvelle équipe, on repart de zéro ? Presque.

Qu’elle était bien cette seconde saison. Une table rase nécessaire au début, une remise à zéro des compteurs totalement réussie. Des enjeux redéfinis, un casting redistribué. Du bel ouvrage, qu’on doit à 90% à Virginie Brac. Mais, un peu rincée d’avoir tout tenu à bout de bras, elle passe la main à son scénariste adjoint, Eric de Barahir, un ancien flic, et à Anne Landois.

L’histoire

Paris, la nuit. Un type se paie les services d’une prostituée. Il l’emmène à l’écart. La pluie tombe sur le pare-brise. Une pluie qui ressemble à du sang. Le sang d’une femme mutilée qui se tient quelques mètres au-dessus. Au petit matin, la DPJ et la Crim’ attendent que la direction décide à qui donner l’affaire. Les deux équipes se regardent sans rien se dire, prêtes à entrer dans l’arène. La Crim’ laisse la priorité, trop occupée. La DPJ de Laure Berthaud est donc saisie de l’affaire. Une Berthaud qui a besoin de redorer son blason après les évènements de la saison précédente. Le meurtre est horrible, résultat de mutilations qui font penser de suite à un tueur en série.

Danger !!!

L’accroche de la saison 3 est simple : tous les personnages sont en danger, comme jamais. Mais en danger pourquoi et surtout comment ? Pour Laure Berthaud, c’est à la fois simple à expliquer et compliqué à comprendre. Elle est rongée par l’affaire de ce tueur en série, en perd le sommeil, mais aussi ses repères. Elle franchit la ligne jaune à de nombreuses reprises, mais le problème, c’est qu’on ne saisit pas trop pourquoi. Un lien avec les victimes ? Non. Une connexion avec un trauma précédent ? Non plus. Une réaction épidermique à la violence des meurtres ? On imagine qu’elle a du voir équivalent, voir pire. On a du mal à comprendre pourquoi, alors qu’elle doit impérativement être irréprochable en terme de procédure (ce pourquoi elle est sur la sellette), elle n’en respecte aucune et se met autant en danger. Pour son interprète, Caroline Proust, on ne peut pas dire que le rendu de sa prestation est à la hauteur de la saison précédente, où on la voyait tantôt forte, tantôt désespérée, puis forte à nouveau… non, là on la sent juste obstinée et fatiguée.

Cette intrigue permet l’insertion du personnage de Brémont, joué par Bruno Debrandt. Acteur charismatique, assez physique et imposant, très bon dans l’action et la réaction, un peu en retrait dans les échanges intimistes, la faute peut-être à l’aspect un peu factice de ces scènes. Elles viennent d’une relation naissante entre Berthaud et lui, mais dont on ne sait pas trop quoi penser. Les collègues de Berthaud eux aussi sont à l’honneur, Gillou (Thierry Godard) en tête. En particulier dans le premier épisode, lorsqu’il annonce connaître la première victime, et que s’il avait mieux fait son travail, elle ne serait pas morte. Il retient ses larmes, mais un sanglot lui fait dérailler sa première phrase. Émouvant et touchant. On avait pas décelé ce potentiel chez lui, tant la première saison l’avait flingué, et la deuxième si peu utilisé.

Une intrigue un peu pataude

Le gros problème de cette intrigue, c’est qu’elle est très téléphonée. Pourquoi, alors qu’ils le découvrent très vite, les flics ne vont pas tout de suite dans la boîte de nuit dans laquelle la victime est allée la nuit précédente ? La logique veut qu’ils remontent la time-line de la victime, pas qu’ils y piochent aléatoirement ? On sent que c’est affaire de scénario et de temporisation, et c’est bien dommage. De la même façon, on veut jouer sur le suspense concernant Berthaud. A un moment de l’enquête, elle est persuadée d’une chose, sans avoir de preuves solides et d’importance. Tout le monde lui dit qu’elle fait fausse route, mais elle reste axée dessus, sans regarder ailleurs, balayant même le reste sans réfléchir. Et à ce moment de l’histoire, le téléspectateur, en mode empathie, est sûr que Berthaud a raison. Pas parce qu’elle a des infos que nous n’avons pas. Juste parce qu’elle en est tellement persuadée qu’on imagine mal les scénaristes la faire prendre la mauvaise direction à ce point.

Les infractions de la route, c’est pour les nazes

Quittons les policiers et leur affaire pour nous intéresser à l’ami Pierre Clément. Le gentil Pierre Clément. Après une saison 2 où il a été sûrement le moins bien servi, passant son temps à se taper des balles de fond de cour et une journaliste. Pierre Clément s’est mis à dos le méchant Machard. Et se retrouve à passer d’affaires criminelles aux infractions de la route. Dans un geste dramatique (et après avoir donné une magnifique image du travail de magistrat, étant donné que c’est nul les infractions de la route, et bien on y passe sa journée à jouer au solitaire sur Iphone), il quitte le parquet et devient avocat. Et se maque avec Karlsson, qui vient de larguer Satan… pardon, Szabo. Qu’est-ce que ça aurait été bien en fin de saison 2, ce retournement de situation… ça aurait donné du corps à la pseudo-prise de conscience de Karlsson de l’époque, ça l’aurait rendue un peu plus pro-active sur le coup, et surtout, ça aurait donné autre chose à faire à Clément. Un problème majeur quand on change d’équipe tout le temps, c’est le manque de continuité, et la difficulté de placer ses intrigues, mais on y reviendra en conclusion.

Clément et Karlsson vont passer la saison à se chercher. Ils se plaisent, tous deux parce qu’ils sont très différents. Ils se tournent un peu autour. Le schéma du type vertueux qui veut sauver la catin d’une vie de débauche. Comparaison assez balourde, certes, mais hélas trop proche de ce qui nous est proposé. Donc, Pierre Clément va avoir deux affaires dans la saison. Une première ultra-glauque qui court sur deux épisodes (et pourquoi deux ? On ne sait pas… On souligne assez souvent que les série françaises ne se développent qu’en faisant feuilletonner tous leurs arcs narratifs, mais sur ces points là, qu’on aurait bien vu bouclés en un épisode, ça trahit surtout un manque de maîtrise structurelle), et la seconde qui revient tout le reste de la saison. Une affaire qui va mettre Pierre Clément en danger. C’est le concept. L’idée est plutôt bonne, d’ailleurs, et met en lumière le côté boy-scout de Clément. Mais la confrontation qui doit résulter de ce problème, monument d’excitation, accouche d’une souris parce qu’expédié facilement à cause du renoncement d’un personnage. Un héritage comportemental issu de la saison 1, et qu’on croyait révolu. « Quand c’est trop dur, abandonne ». On ne vous donne pas plus de détail pour ne pas vous gâcher quelques éléments de surprise, mais c’est vraiment dommage qu’on passe à côté de ce combat, ce duel. Il donnait tant envie…

Roban forever

Le Juge Roban. On l’adore. En fait, on adore avant tout Philippe Duclos. Un acteur dont le jeu est assez difficile à aborder tant il est étrange. Mais quel charisme, quel présence, quelle autorité ! En faire le personnage central (hors Berthaud) de la saison 3, tombe sous le sens. L’humaniser aussi. Mais à ce point, c’est un peu l’overdose. Dans le premier épisode, on apprend qu’il a une mère dont il est proche mais qui ne l’aime pas, et un frère qu’il ne voit jamais qui a réussi dans les affaires. Et un peu plus tard, on voit revenir dans sa vie un ancien amour de jeunesse. Rien que ça. Aucune piste dans les deux premières saisons ne laissaient imaginer cette vie chez Roban. Ce qui n’a rien de choquant en soit. Mais c’est trop d’un coup. Encore une mise en avant du gros problème de continuité entre les saisons.

Le futur est incertain

On a peur pour l’avenir d’« Engrenages ». La série, qui a considérablement évoluée au point de nous plaire après nous avoir autant faire bondir de rage, semble être victime d’un système qui lui est préjudiciable. D’après quelques échos, la série sera produite assez étrangement dans les saisons à venir, afin de réussir à fournir une saison par an. Une équipe de scénariste s’occuperait des saisons paires, l’autre des impaires. Une façon de faire qui risque de provoquer pas mal de soucis si les deux équipes ne travaillent pas un tant soit peu en collaboration, voire en parallèle, les pistes des uns devenant les bases des autres. On attend de voir.

De plus, d’un point de vue assez primaire, nous sommes dans un ensemble show de type policier qui ne possède pas un hyper-concept, mais qui feuilletonne. La difficulté viendra aussi du renouvellement, car sortir chaque année des nouveaux proches ou membres de la famille qui poussent les personnages dans leurs derniers retranchements risque d’être compliqué. Certaines pistes, issues du réel (l’éventuelle disparition des juges d’instruction) peuvent relancer la machine, mais à notre sens, « Engrenages » gagnerait sûrement à revenir au schéma des deux premières saisons, qui entremêlaient des histoires bouclées et un fil rouge.

Histoires d’audimat

La saison 4 est en préparation, sans qu’on sache vraiment quand elle sera diffusée. Un an, deux ans… on verra bien ! L’audience de cette saison 3 fera beaucoup pour clarifier les choses. Une audience qu’on suivra avec attention, au Village, car après avoir été la série étendard de Canal+, elle apparaît plus comme un outsider face aux gros succès qu’ont été « Pigalle, la nuit » et surtout « Braquo ». Une grosse audience confirmerait à coup sûr l’aura de la marque Canal+... à voir

« Engrenages », saison 3, débarque sur vos écrans lundi 3 mai, pour 6 soirées. Une saison inégale, mais qui a su capitaliser sur les réussites de la saison 2 et construire une intrigue cohérente. Suffisant pour les fans. Et pour les autres ?