IMPRESSIONS — Sherlock, 2x03 : La Chute du Reichenbach (The Reichenbach Fall)
La mort aux trousses.
Par Sullivan Le Postec • 4 avril 2012
« Sherlock » est une des séries actuelles qui prend le plus de plaisir à jouer avec son spectateur, à s’engager avec lui dans des parties de cache-cache et autres joutes intellectuelles. Elle en use à plein lors de cette affaire clef, dans laquelle notre héros joue avec la mort.

En 1893, Conan Doyle, lassé que tout son travail se trouve dans l’ombre de sa création la plus célèbre, Sherlock Holmes, décidait de tuer le Détective dans une nouvelle, « The Final Problem », où il le confrontait à un génie du crime, Moriarty, capable de le surpasser. (Huit ans plus tard, il revient à son personnage fétiche, écrivant « The Hound of the Baskervilles » qui se passait avant la chute de Holmes, avant de se décider à le ressusciter pour de bon l’année suivante dans « The Adventure of the Empty House ».)
En 2012, Steven Thompson adapte cette histoire pour la série de Steven Moffat et Mark Gatiss, mais l’intention est bien différente : il s’agit d’affirmer le caractère mythique du personnage.

Cet article dévoile des éléments clef de l’intrigue et est donc réservé à ceux ayant déjà vu cet épisode.

‘‘Now, people will definitely talk’’

On aime

  • Découvrir que « Sherlock » peut s’installer dans la durée.

« Sherlock » peut-elle devenir une véritable série, se prolonger au fil du temps, où bien tient-elle plutôt du One Shot, un coup de maître impossible à répéter ? La première saison laissait cette interrogation sans réponse pour une raison précise : la faiblesse de son deuxième épisode, qui laissait craindre que « Sherlock » avait un besoin impératif de son trio créatif principal, les deux scénaristes Steven Moffat et Mark Gatiss et le réalisateur Paul McGuigan pour réussir.

D’ailleurs, quand il avait été annoncé que le final de cette saison serait l’épisode qui ne serait pas écrit par un des deux co-créateurs de la série, et pas réalisé par McGuigan, cela avait fait naître ici et là, et notamment chez moi, certaines petites inquiétudes. Rater un final aurait surement plus de conséquences négatives que rater ‘‘l’épisode du milieu’’.
Sauf que, cette fois, Steve Thompson se montre largement à la hauteur. En outre, contrairement à Euros Lynn, le génial Toby Haynes, déjà réalisateur de cinq épisodes de « Doctor Who » visuellement superbes, arrive à s’inscrire parfaitement dans le style visuel de la série, sans pour autant se replier vers une imitation virant au gimmick. La série a donc un avenir, et on est très content de le découvrir.

  • La célébrité de Sherlock.

Bien sûr, au pays des tabloïds, un ‘‘détective consultant’’ résolvant de manière répété les affaires les plus mystérieuses et improbables finirait par devenir célèbre et subirait la pression médiatique. La façon dont Watson annonce au début de l’épisode ce qui va suivre est d’ailleurs très maligne : la presse, qui chante les louanges de Holmes, va forcément se lasser et finir par se retourner contre lui. Ce phénomène médiatique moderne de l’inévitable retour de bâton, dans une époque qui a érigé le cynisme en principe et refuse catégoriquement de croire en l’existence de héros, est particulièrement bien exploité dans cet épisode.

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  • Andrew Scott.

L’année dernière, Andrew Scott avait fait impression dans la scène finale de « The Great Game », livrant une prestation certes clivante, mais impressionnante dans le rôle de Moriarty. Tenir cette note hallucinée sur une scène, c’est une chose, sur un épisode entier c’est en une autre. Scott y arrive avec une aisance folle. Mieux, quand il doit incarner le personnage joué par Moriarty, Richard Brooke, il le fait avec un naturel désarmant, sans que rien dans sa performance ne soit forcé. Comme je ne crois pas que lui aussi ait pu simuler sa mort, je dois dire qu’il va me manquer dans les futurs épisodes.

Steven Moffat a confirmé que Moriarty appartenait au passé dans notre interview à retrouver ici.

  • Le super-code informatique.

Enfin, on aime surtout le fait que la série dégonfle cet artifice improbable à la conclusion de l’histoire. Et, pour une fois, on n’en veut pas trop à Sherlock de ne pas l’avoir vu venir — comme le lui fait remarquer Moriarty ‘‘that’s you weakness : you always want everything to be clever’’.

  • L’énigme proposée au public.

Puisque tout le monde sait que Doyle a ressuscité Sherlock Holmes en expliquant que le détective avait simulé sa mort, la série a le bon goût de ne pas faire du suicide du héros son cliffhanger, mais de révéler simplement qu’il est bien en vie. Il s’agit plutôt d’un jeu interactif à grande échelle, dans lequel les téléspectateurs sont tous invités à réunir indices visibles et éléments laissés en suspens pour construire leur théorie sur la manière dont Sherlock s’y est pris. C’est redoutablement malin.

  • Le travail sur les personnages.

L’évolution de Sherlock Holmes et de sa relation avec John Watson est véritablement un point fort de la série et de cette saison en particulier. La progression du personnage de Sherlock est tout à la fois visible et subtile. Le tout sans négliger l’humour, par le maintient d’un regard décalé sur les personnages — notamment lorsqu’ils s’échappent menottés et que Sherlock demande à John de lui tenir la main : ‘‘now, people will definitely talk’’.

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On aime moins

A nouveau, il faut chercher la petite bête pour remplir cette catégorie et conserver notre intégrité de critique qui ne saurait trouver la perfection.

  • Une poignée de créations graphiques douteuses.

C’est du nitpick du niveau de la fausse neige du premier épisode, mais certains créations numériques du début de l’épisode ne sont pas très réussies : je parle des couvertures de journaux en image de synthèse, ou même de l’habillage de l’écran de portable de Moriarty aux abords de la Tour de Londres.

  • La déduction trop appuyée.

Si elle ne va pas aussi loin que le ‘‘Palace’’ de la semaine dernière, la représentation graphique de l’univers mental de Sherlock pendant sa déduction sur la localisation des enfants enlevée est trop appuyée. J’ai l’impression que les scénaristes ont trop aimés ces éléments à l’écran après avoir vu la première saison, et qu’ils en abusent désormais un petit peu. Mais cela reste du détail.


La conclusion de cette deuxième saison est une confrontation entre Sherlock et Moriarty au moins aussi épique et marquante que dans nos rêves les plus fous. L’intrigue est intelligente, virtuose et parfaitement rythmée. Mieux, elle fait naître une vraie émotion tandis que s’approfondit sous nos yeux la relation entre Sherlock et John, alors qu’on sait qu’elle pourrait prendre fin. Magistral !

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Post Scriptum

« Sherlock »
« The Reichenbach Fall »
Saison 2 – épisode 3 | Une production Hartswood Films pour BBC1.
Créé par Steven Moffat et Mark Gatiss.
Écrit par Steve Thompson. Réalisé par Toby Haynes.
Produit par Beryl Vertue, Sue Vertue et Elaine Cameron.
Avec Benedict Cumberbatch, Martin Freeman et Andrew Scott.

Dernière mise à jour
le 21 mars 2012 à 18h01