LE QUINZO — 2.10 : Un moment "Philippe Triboit"
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par le Village • 21 février 2011
Le Quinzo, saison 2, épisode 10. Dominique vous fait partager quelques expériences douloureuses et découvrir ce qu’au Village, on appelle un moment Philippe Triboit. Emilie revient sur "Outcasts", la nouvelle grande série de SF de la BBC, reléguée en fin de soirée à peine lancée. Et Sullivan a fait l’expérience la plus dangereuse que puisse connaître un rédacteur du Village : regarder les "Mystères de l’Amour"...

Ca se dit comment en Tchèque, Phillipe Triboit ?

Par Dominique Montay.

Il y a plus d’un an, Sullivan Le Postec et votre serviteur étaient présents à la soirée du prix des producteurs de l’année 2009. Soirée particulière mais fort bien organisée où nous avons pu croiser dans le désordre Gilles Galud, Audrey Fleurot et Mirko Bergamasco. Eccléctique. Mais ce soir-là, nous avions une volonté particulière : trouver Philippe Triboit.

Avant de faire simple et de demander aux organisateurs de nous pointer le réalisateur de « La Commune » du doigt, nous avons décidé de le chercher nous même, avec pour seule aide notre mémoire encyclopédique, un Iphone avec accès à google images.

Nous voilà donc, regardant les gens, comparant avec notre téléphone. Nous avions un peu l’impression d’être des agents du FBI qui cherchent un suspect avec un portrait-robot. Et d’un coup, le voilà. L’homme qui ressemblait le plus à notre photo de 32 pixels par 64 un peu floutée.

Nous :
Etes-vous Philippe Triboit ?

L’homme :
Ah non, pas du tout, qui est-ce ? Et vous, qui êtes vous ?

Bon… héroïque, nous avons finalement demandé à quelqu’un qui savait. C’est ça, pour nous, un moment Philippe Triboit. Même si ce jour était significatif au niveau degré de loose par mètre carré, ce type d’événment avait déjà eu lieu par le passé, en tout cas me concernant.

RITV, 2008. Biarritz, je n’y vais pas, mais Reims, je suis invité, allez comprendre (en même temps, après, ils ont arrêté le Festival, peut-être une relation de cause à effet). Reims, le seul endroit où vous pouviez enchaîner une fiction italienne avec une tchèque. Enfin, moi, c’est ce que j’avais fait. La fiction n’était pas trop mal, donc j’étais curieux de rencontrer les auteurs.

Je ne sais pas par quel chance j’ai pu les repérer. En effet, les deux hommes, de taille moyenne, tous les deux crânes rasés et habillés sombre, ils étaient très faciles à confondre avec des agents de sécurité. Mais ils n’avaient pas de brassard fluo, en tout cas. Deux auteurs tchèques peu souriants, une traductrice bilingue anglais-tchèque (mais pas français) et moi tout débutant dans l’art de l’interview obligé de parler anglais sans préparation.

Ce qui devait arriver arriva. Mes questions, dans un anglais correct mais hésitant, se sont trouvées traduites approximativement en tchèque, à deux auteurs mal à l’aise et circonspects, qui ont répondu à la question (mais pas à la mienne, à celle de la traductrice), qui me fut ensuite mal traduite par la femme, pour donner une réponse sous forme de soupe, complètement à coté de la plaque. Trois échanges à la suite, pour la politesse, sans oser répéter les questions, de peur d’avoir comme réponse la valeur du PIB de la tchèquie, ou bien leur couleur préférée.

Trois échanges filmés (mais supprimés et non utilisés) qui resteront gravés dans ma mémoire, presque autant que l’expression sur mon visage au terme de cette rencontre, c’est-à-dire : la bouche mi-close, et le sourcil droit plus haut de le gauche.

Un moment Philippe Triboit, ou comme l’auraient dit mes interlocucteurs, Triboit čas (enfin, je crois. Si la traductrice présente aux RITV pouvait me traduire « A Philippe Triboit moment », je suis preneur).

Nous avons publié en novembre dernier un grand entretien avec Philippe Triboit, à propos de la saison 3 d’« Un Village Français ».

Post-Mortem d’Outcasts

Par Emilie Flament.

Dans l’épisode 2.08 de notre Quinzo, je vous présentais « Outcasts », la nouvelle série de la BBC. A peine 2 semaines après son lancement et la diffusion de 4 épisodes, elle a déjà été déprogrammée de son créneau en prime-time sur BBC1 pour ‘‘agoniser’’ en seconde partie de soirée le dimanche. Alors que les critiques fusent à l’encontre de la série, je continue de penser que cette série a (avait ?) un fort potentiel dans son concept, mais que plusieurs erreurs ont été commises dès le départ. Analysons ensemble cette première moitié de saison. Attention je vais devoir révéler des éléments des premiers épisodes alors fuyez si vous ne voulez rien savoir.

JPEG - 36.2 ko

Ben Richards, le créateur et le scénariste d’« Outcasts » n’est pas un amateur de science-fiction et ça se voit. Il était plus inspiré par l’aspect les pionniers devant bâtir un nouveau monde. Mais « Outcasts » est par définition une série de science-fiction. En fait, quasiment toutes les problématiques de la série sont liées à cette contradiction.

Ecrire un série de science-fiction implique donner vie à un univers à part entière. Par principe, pour que le téléspectateur adhère à cet univers, il faut qu’il se compose à la fois d’éléments proches de la réalité, des repères, et d’éléments différenciants, spécifiques à l’univers fictif. Afin de faire entrer le téléspectateur dans l’histoire, il faut trouver un moyen de l’initier sans pour autant altérer l’intrigue en y plaquant des explications non justifiées par l’histoire. La plupart du temps, on utilise un personnage qui comme le spectateur découvre cet univers (un compagnon dans « Doctor Who », John Crichton dans « Farscape », Gwen Cooper dans « Torchwood »...). En s’y identifiant, on crée un lien émotionnel qui nous permet d’accrocher à la série.

Or Richards a complètement occulté cet aspect. On débarque dans sur une planète où des colons humains se sont installés depuis 10 ans, avec un vaisseau qui arrive de la Terre. On ne sait pas vraiment ce qui s’est passé sur Terre et on comprend encore moins pourquoi l’ambiance est si pesante. Notre point d’entrée, le personnage de Mitchell (Jamie Bamber), ne nous permet pas de découvrir Carpathia, il est trop impliqué dans les différentes problématiques. Richards commet une très grosse erreur simplement parce qu’il méconnait les règles du genre : s’il avait débuté en nous introduisant via un des occupants du vaisseau qui débarque sur la planète, le problème aurait pu être évité.

La seconde erreur est encore plus impardonnable car elle n’est pas spécifique à la science-fiction, c’est même à la limite de l’erreur de débutant pour un scénariste de série. Je ne comprends pas que Kudos, société de production d’« Outcasts » ait pu laisser passer ça. On ne tue pas le point d’entrée du téléspectateur en début de série !!! En abattant Mitchell à la fin du premier épisode, ils détruisent LE seul lien émotionnel qu’on a réussi à établir (et en plus un personnage à priori intéressant puisque perturbateur et pouvant rivaliser avec le pouvoir en place).

On reproche beaucoup à la série son ambiance sombre qui semble artificielle. Mais selon moi, le problème n’est pas là : ce ton est justifiable, il est juste mal justifié... Ne froncez pas les sourcils, je vais m’expliquer : les colons de Carpathia ont quitté la Terre il y a 15 ans, y abandonnant leur vie, voire même leurs proches, dans des circonstances pas franchement joyeuses à priori ; après 5 ans de voyage, ils se sont installés sur cette planète qu’ils commencent seulement à découvrir ; même si cela fait 10 ans qu’ils sont là, ils restent isolés, incertains de leur sort ; ils ont affronté plusieurs gros problèmes (épidémies, manipulation génétique, problème de fertilité, tempêtes électro-magnétiques...) ; un vaisseau arrive avec des survivants, mais les nouvelles (les seules depuis 15 ans) n’ont pas l’air bonnes et il risque de ne pas réussir à terminer son voyage... de quoi ne pas être joyeux et sereins, non ? Mais comme on distille toutes les informations essentielles et le passif de chacun des personnages sur plusieurs épisodes, on ne parvient pas à s’immerger assez vite dans le contexte pour le comprendre dès le premier épisode. On en revient à une problématique d’exposition (de l’univers, de l’intrigue comme des personnages) mal maîtrisée.

« Outcasts » n’est pas une mauvaise série, c’est une série mal maîtrisée. En ne respectant pas les contraintes d’exposition d’une série de science-fiction, Richards est totalement passé à coté des premiers épisodes de la série, ne permettant au téléspectateur d’adhérer qu’à partir du 4ème épisode. Malheureusement, vu qu’il n’y a que 8 épisodes, ça risque d’être fatal à la série. Conclusion : on a beau savoir écrire des épisodes de séries ‘’classiques’’, il faut quelque chose en plus pour savoir écrire de la science-fiction... et c’est encore mieux si on aime ce genre et si on le comprend !

Les risques du métier

Par Sullivan Le Postec.

Quand vous êtes grand reporter, le summum de l’emploi risqué, c’est de partir couvrir une guerre dans un pays lointain. Rien de tout cela au Village, où l’on ne risque pas grand-chose, à part peut-être un petit moment Philippe Triboit à l’occasion. Il y a quand même quelques occasions où il nous faut prendre de vrais risques et mettre gravement en danger notre santé mentale. C’est ce que j’ai fait ce week-end en regardant les premiers épisodes des « Mystères de l’Amour ».

JPEG - 71 ko

Je ne vais pas m’étendre sur les épisodes en eux-mêmes : j’ai vu le premier (un objet étrange qui dure la bagatelle d’une heure et dix minutes, mais je suppose que c’est la partie de la série qui a dû être produite juste pour IDF1, avant que TMC entre dans le coup, et remontée à la hache après-coup) et des bouts du deuxième. C’est exactement ce qu’on pouvait attendre d’une série de Jean-Luc Azoulay — qui signe toujours ses scénarios du pseudonyme Jean-François Porry. Porry - pourri, le jeu de mot est tordant. Comme le gars assume son cynisme, pas besoin d’y aller avec le dos de la cuillère. Les « sitcoms » AB production des années 90 étaient de la merde, le degré zéro de la télévision. La déclinaison caraïbo-policière « Les Vacances de l’Amour », idem. Et « La Baie des Flamboyants », pareil. Sauf que là c’était aussi une production colonialo-raciste payée par de l’argent du Service Public, ce qui est un véritable scandale. La dernière série de l’empereur du nanar télévisuel français est fidèle a ses critères “de qualité” : aucune construction scénaristique, un sens très limité de la dramaturgie, une absence totale de complexes à empiler les clichés, une ‘‘réalisation’’ digne d’une vidéo de vacances et de la musique façon orgue Bontempi plaquée n’importe comment sur les scènes.
La série m’a au moins offert un énorme fou rire quand Christian, tenté de replonger dans la picole, repense à sa fiancée Angèle – insérer séance musicale sirupeuse – avant de jeter la bouteille dans la Seine et de crier au ciel, en écartant les bras : ‘‘Angèle, je t’aime !’’. J’ai rigolé cinq bonnes minutes et puis j’ai eu vachement de peine. Parce que Sébastien Roch (Christian), je l’ai vu dans deux ou trois autres trucs, et il était bon. C’est triste d’être grillé à vie juste parce qu’on a pas su résister à de l’argent facile à 20 ans.

Une remarque quand même. Alors que tout le marketing de la série repose sur le retour des anciens de l’époque « Hélène et les Garçons » (même si la plupart sont en fait juste là pour des guests et que de nouveaux personnages occupent la moitié des épisodes), la première actrice créditée au générique, vedette affichée de la série, c’est Isabelle Bouysse, pièce rapportée introduite pour remplacer Hélène dans « Les Vacances de l’Amour ». Les acteurs qui sont dans ce bouzin depuis vingt ans acceptent de se faire voler la vedette juste parce qu’elle est la femme d’Azoulay. Ça en dit long sur l’atmosphère d’humiliation / soumission / mendicité pour un cachet qui règne et qu’a d’ailleurs décrit un ‘‘repenti’’ dans un bouquin — "Les Années Sitcom" de Fabien Remblier.

A la base du succès télévisuel des productions indignes d’Azoulay, il y a le croisement de deux maux français.

D’abord le cynisme. Celui d’Azoulay. Celui, encore plus dégueulasse, de ceux qui lui ont signé des commandes de programmes. Le truc, c’est que comme le cynisme est largement partagé, le fait qu’Azoulay prospère sur de la merde, au mieux on en parle avec une pointe d’ironie, au pire il y en a pour trouver cela un peu admirable.
Quand NBC a remplacé une heure quotidienne, à 22h, de séries par un talk-show, c’était un choix de télévision rentable quand on partage une vision à la Nicolas de Tavernost : ça ne faisait pas une très grosse audience, mais cela coutait pratiquement rien, donc cela permettait de gagner de l’argent. Mais la levée de bouclier a été si forte, le coût en terme d’image si élevé, que NBC a dû arrêter l’expérience avant même la fin de la saison télévisuelle. En France, à part les hurluberlus que nous sommes au Village, qui y a-t-il pour dire que la façon de faire de la télé d’un Azoulay, ou de M6, est minable — et pour le dire tellement fort que ce ne soit plus tenable ? Personne, bien sûr. Qu’attendent les magazines télé pour reléguer les programmes de M6 sur une petite colonne, entre Direct8 et NRJ12, la juste place de la chaîne vu l’ambition et l’intérêt de ses programmes ?
Les bénéfices (pas le chiffre d’affaire, hein, les bénéfices) de M6 totalisent 157,1 millions en 2010, en augmentation de 13% sur une année. Ca suffit à tout le monde, peu importent les moyens tant qu’il y a le résultat. Et moi, je repense à Nicolas de Tavernost qui fait la pleureuse à chaque fois qu’il a un micro à moins de dix mètres de lui, ça me fait rire (jaune).

Le deuxième de ces maux, c’est le snobisme. Comme nous vivons en France dans un milieu culturel qui regarde de haut la télévision, toute la télévision, le plus grand relativisme règne concernant tout ce qu’elle diffuse. Ironiquement, tout cela est justement le produit des contempteurs du relativisme culturel, qui sont juste passés à côté de la forme culturelle dominante de notre époque, celle qui laissera le plus de traces.
Même chez ceux qui s’intéressent de près à la télévision, le substrat culturel français est souvent prégnant. Ça donne les volontés de traiter les séries télés façon Cahier du Cinéma, comme si cette grille de lecture avait la moindre pertinence. Il n’y a qu’à voir, par exemple, la profonde bêtise de 95% de ce qui s’écrit sur « Plus Belle la Vie » — soap dont j’ai analysé les mérites en long en large et en travers pour Le Village. Franchement, je crois qu’on fera difficilement une télé notablement meilleure en France tant qu’on ne sera pas capable d’avoir un discours critique un peu plus subtil. Il n’y a qu’à voir la manière dont leurs soaps tiennent à cœur aux britanniques. Ca n’est pas contradictoire avec le fait qu’ils ont une fiction télé brillante : c’en est la cause.

Parce qu’aussi longtemps qu’on laissera vivre l’idée selon laquelle un feuilleton comme « Plus Belle la Vie », qui fait l’objet d’un véritable travail soutenu depuis des années, et les étrons cyniques et torchés à la va-vite d’Azoulay, ce serait à peu près la même chose, on est mal barré.