PREVIEW – « Le Chasseur » chassé ?
Un tueur a gage s’apprête à sévir sur France 2. Sa principale victime ? Vraisemblablement lui-même...
Par Sullivan Le Postec • 29 décembre 2009
« Le Chasseur » arrive le mercredi 20 janvier en prime sur France 2. Chacun alors pourra juger une série qui a déjà fait parler d’elle. Pas forcément en bien...

Salarié du cabinet d’avocats de sa mère, Samuel Delauney travaille en fait à satisfaire une demande très particulière de certains clients de Natacha Delauney : il est tueur à gages. Il n’a raté qu’un seul contrat : sa femme, Lauren, qu’il a préféré épouser plutôt que tuer. Mais aujourd’hui, les commanditaires de la mort de Lauren s’aperçoivent qu’elle est encore en vie. C’est que, dans l’ombre, la mère de Samuel tire les ficelles pour, enfin, se débarrasser de sa ‘‘rivale’’...

« Le Chasseur », série en six épisodes présentée sur le très joli site Internet lechasseur.tv, est créée par le producteur de Son & Lumière Vassili Clert (« Duel en Ville ») et le scénariste Gérard Carré qu’on a vu signer le meilleur ( « A Cran » et « A Cran 2 ans après » , l’unitaire « Autopsy ») mais aussi le pire (« Sécurité Intérieure », série que Canal+ diffusa ni vu, ni connu en plein été, ou « Les Zygs »). La série est écrite par Gérard Carré, Laurent Burtin (« Avocats et Associés », « Sur le Fil »), Nicolas Cuche, et Jeanne Le Guillou. Elle est réalisée par Nicolas Cuche (« David Nolande » et « Flics »). La distribution regroupe Yannick Soulier (Samuel), Estelle Skornik (Lauren Cramer), Marie-France Pisier (Natacha), et Milan Harbonn (Arthur).

Un tueur à gage héros d’une série sur France 2 ? L’idée est audacieuse. A moins qu’elle ne soit insensée.
Le tout premier dossier que mis le Village en ligne, à son ouverture en février 2007, s’appelait Fictions Exutoires et évoquait notamment la première saison d’« Engrenages », des mêmes producteurs. Le concept du « Chasseur » nous semble relever de cela. Obtenir une plus grande liberté créative à la télévision française, c’est merveilleux. Mais cela impose aussi un travail de conceptualisation d’autant plus rigoureux. Comme de réfléchir à ce qu’est une série française (histoire d’être sûr que l’on s’approprie plutôt qu’on ne singe des éléments de cultures étrangères), à ce qu’est une série de prime-time, à ce qu’est une série du câble.
« Dexter » (les auteurs du « Chasseur » rejettent la comparaison mais, franchement, c’est impossible), aux Etats-Unis, ça passe sur Showtime, une chaîne câblée sur abonnement. Et il a suffit qu’il soit question d’éventuellement en diffuser une version remontée sur le Network NBC si jamais la grève des scénaristes s’était prolongée pour générer une levée de bouclier. Clairement, « Le Chasseur » ne nous semble pas à sa place le mercredi soir sur France 2, tout comme il nous semble ridicule de demander à TF1 de diffuser « Dexter » à 20h50 (mais il était déjà ridicule que TF1 achète « Dexter », cela dit). C’était pour le moins étrange de la part de France 2 de s’engager sur la production d’une telle série pour le prime-time. Ca l’était aussi pour les scénaristes et le producteur de proposer ce sujet traité comme ça, il y avait vraisemblablement d’autres pistes (faire de l’épouse le personnage principal ?).
Vers 22h, dans une case de fiction bien marketée pour la faire connaître du public visé et au rythme d’un épisode par semaine histoire que la soirée ne se prolonge pas au-delà d’une heure où les lycéens, notamment, risquent d’être couchés, pourquoi pas. Mais cette audace de programmation-là semble étrangère à une fiction de France 2 désespérément en quête d’une ligne directrice. En l’état, on demande grosso modo au public de France 2 de passer sans transition de « Chez Maupassant » au « Chasseur ». C’est pour le moins rude et il faudra un miracle pour éviter la catastrophe d’audience. Note à ces messieurs-dames de France Télévisions : l’audace, c’est bien. Mais sans intelligence dans la programmation et la communication, c’est stérile au mieux, contre-productif au pire.

Le risque d’échec, France 2 en est aujourd’hui la première consciente. Il faut dire que, jeu de chaises musicales perpétuel oblige, le Directeur de la fiction qui a initié le projet a depuis quitté la chaîne.
Il est arrivé à France 2 d’envoyer des canard boiteux aller se faire voir sur France 4 (la série hospitalière « Le Cocon »). Dans le cas présent, la chaîne a finalement décidé faire le gros dos et de diffuser « Le Chasseur » en deux soirées de trois épisodes, histoire de diminuer son temps d’exposition. Évidemment, le premier résultat est l’envoit d’un signal très négatif qui donne à penser que France 2 n’assume même pas ce qu’elle met à l’antenne. Communication désastreuse s’il en est.
‘‘J’avoue que je suis un peu surpris,’’ réagit Vassili Clert interrogé par Philippe Guedj pour Télé 2 Semaines. ‘‘On n’a pas écrit cette série pour que les épisodes soient diffusés trois par trois mais bien deux par deux. France Télévisions pense que cette programmation est la meilleure pour donner une chance au Chasseur. Je n’aurais pas fait ce choix’’. Le même indique qu’une saison 2 est déjà écrite (on suppose qu’il parle des arches narratives) quand France 2 assure qu’il n’est pas question pour elle que « Le Chasseur » devienne un héros récurrent. Ambiance...

Le miracle espéré pour sauver de leurs errements les unités fiction et programmation de France 2, cela aurait pu être une très grande qualité, à même de générer un buzz très positif avant la diffusion. Sauf que la projection du premier épisode au dernier festival Scénaristes en Séries a généré un bouche à oreille absolument catastrophique. Tout ce que vous avez jamais entendu de pire à propos d’une série française, je l’ai entendu sur « Le Chasseur ».

Au-delà du bouche à oreille, qu’on prendra pour ce qu’il est en attendant de se forger un avis au fil de la diffusion des six épisodes, il faut absolument lire la passionnante critique de Frédéric Krivine sur Scenaristes.biz [1] qui analyse méthodiquement le Pilote (elle contient des spoilers, revenez-y à l’issue de la diffusion si vous voulez garder toute la surprise).
Il faut lire aussi la tout aussi passionnante réponse des créatifs de la série (le producteur, le scénariste principal, le réalisateur et l’acteur principal co-signent). Celle-ci a le mérite d’apporter des éléments d’explication sur les intentions, mais aussi de livrer le sous texte de la série, ce qui rend tout de suite le concept beaucoup moins brumeux. « Le Chasseur » se veut donc une satire acerbe du libéralisme économique. En d’autres termes, Le chasseur n’est essentiellement qu’un capitaliste sans pitié parmi d’autres, le sang sur ses mains est juste un peu plus visible.

La conclusion des créatifs du « Chasseur » confirme cependant notre désagréable impression et une grande partie des critiques formulées par Frédéric Krivine.
‘‘Notre série,’’ écrivent-ils, ‘‘compte six épisodes (...) au cours desquels nous avons tenté de dessiner une trajectoire à notre anti-héros. Notre série recèle une chute, et même, dans une certaine mesure, une Morale. Mais certains n’ont pas attendu de voir notre projet dans son ensemble pour bâtir et clore leur jugement. Nous en tirons un enseignement : nous sommes en France tellement imprégnés de la culture du film unitaire qu’on ne juge une série que sur son pilote. Drôle de coutume… Le pilote d’une série doit révéler d’emblée toutes les clefs, toutes les explications, toutes les chutes, tous les aboutissements. La série doit être toute entière contenue dans son pilote. Nous, qui avons fait une série, aurions bien aimé être jugés, même sévèrement, sur notre travail plutôt que sur ses prémices’’.
Ironiquement, le paragraphe souligne cruellement que ce sont ses auteurs qui n’ont pas compris ce qu’étaient une série, et encore moins un Pilote.

Oui, le b.a.-ba d’un bon pilote, c’est qu’il encapsule toute la série à venir et qu’il présente un univers cohérent. C’est pour cela que le Pilote de « Lost » montre un ours polaire se balader dans la jungle et un monstre invisible déraciner des arbres au loin. Sans cela on ferait au téléspectateur une promesse (« des rescapés d’un crash sont les nouveaux Robinson ») qui serait un mensonge vis-à-vis de ce qu’est réellement « Lost » (« ils ne se connaissent pas mais le Destin les rassemble sur une île aux propriétés fantastiques »). De la même manière, le pilote de « The X-Files », esquisse la future Conspiration en montrant le personnage de l’Homme à la Cigarette, même s’il n’est encore qu’un figurant sans la moindre ligne de texte. Il donne aussi une explication parfaitement sensée au fait que Fox Mulder, meilleur profiler de sa génération, ait échoué dans un service raillé par tout le FBI, à savoir le traumatisme de l’enlèvement de sa sœur. Cela ne veut pour autant pas dire qu’on a toutes les clefs, ni tous les aboutissements. Par exemple, on apprendra que Fox Mulder est lui-même lié aux conspirateurs, que l’enlèvement de sa sœur ne devait donc rien à une coïncidence et qu’il est arrivé là presque comme un pion de ce qui relève d’un vaste conflits de générations.
Mais ce qu’un pilote requiert, c’est juste assez de clefs et d’explications pour que l’univers présenté apparaisse cohérent. Quitte à ce que ces clefs et explications soient amendées, élargies voire transformées par les développements à venir. Mais il n’y a pas un téléspectateur au monde qui attendra six épisodes et reviendra trois semaines de suite pour atteindre le point où ce qu’il a regardé fera sens et tiendra debout — à fortiori si c’est des motivations et de la cohérence du personnage principal que l’on parle. Ne parlons même pas de 20 épisodes ou de cinq saisons.
Il en va ainsi de la notion de chute, particulièrement dangereuse si l’on parle série télé et non pas film unitaire. Quelques chefs d’œuvres télévisuels l’ont maîtrisé, mais ces chutes offraient une seconde grille de lecture à la série, venant se substituer ou compléter une première parfaitement cohérente qui aurait très bien pu se suffire à elle-même. On avoue penser que la série française a encore besoin d’approfondir la connaissance de sa grammaire propre avant de tenter ce type de figures de style...

On jugera sur pièces. Rendez-vous est pris les mercredis 20 et 27 janvier sur France 2 pour suivre les six épisodes du « Chasseur ».

Post Scriptum

En discuter sur le forum.