SIMON WINSTONE — “Nous voyons la télé comme les français voient le cinéma”
Rencontre avec un Script Editor et Producteur anglais passé par "Doctor Who"
Par Sullivan Le Postec & Emilie Flament • 8 février 2011
Rencontre avec Simon Winstone, producteur anglais qui travaille actuellement sur "Death in Paradise" et qui a auparavant travaillé sur les saisons 2 & 3 de "Doctor Who" en tant que Script Editor.

Après Francis Hopkinson, c’est à Simon Winstone que nous avons posé quelques questions en marge du Focus sur la fiction britannique organisé lors du dernier FIPA.

Simon Winstone a réalisé qu’il voulait raconter des histoires à l’Université. Malheureusement, vu l’absence d’annonce "on recherche des raconteurs d’histoire", il a décidé de se rapprocher des histoires et a commencé par travailler à Virgin Books. L’opportunité d’un atelier sur Emmerdale l’a conduit à deux années à travailler sur les histoires du soap du Yorkshire, où le rythme de cinq épisodes par semaine lui a appris a travailler vite. Il s’est ensuite dirigé vers EastEnders, passant cinq années à Walford à travailler aux cotés de Tony Jordan. Une opportunité de rêve l’a amené à Cardiff pour travaillé sur Doctor Who avec Russell T Davies et Julie Gardner. Mais il n’a jamais oublié Tony, c’est pourquoi il a sauté sur l’occasion quand celui-ci lui a proposé de erjoindre la société de production Red Planet en 2007.

Simon Winstone y est Responsable du développement au sein de cette société qui co-produit « Death in Paradise ».

Dans cet entretien , il nous donne son point de vue sur la fiction britannique. Nous évoquons aussi avec lui la manière dont les soaps britanniques continuent de former des auteurs (il a travaillé sur « EastEnders », le soap de BBC1) et aussi sur la façon dont la gestion de Russell T Davies sur « Doctor Who » a aussi permis l’éclosion de nouveaux scénaristes.

Voir l’entretien

Entretien : Sullivan Le Postec.
Image et montage : Emilie Flament. Sous-titrage : Sullivan Le Postec.

Transcription

Le Village : Une première question générale : quel est votre point de vue sur l’état actuel de la fiction britannique ?

Simon Winstone : Ma conception de la fiction britannique, c’est qu’elle est à la fois populaire et de qualité. C’est quelque chose de très unifiant en Grande-Bretagne. Beaucoup de gens regardent les mêmes programmes au même moment et peuvent en parler le lendemain. D’une certaine manière nous la voyions de la même manière que les français voient le cinéma, et c’est un peu le cœur créatif de ce que nous faisons. Nous considérons des séries comme les célèbres « Coronation Street » et « EastEnders » comme les cœurs culturels du pays. Mais il y a d’autres séries plus récentes comme « Dowton Abbey », « Life on Mars », mais aussi « Doctor Who » qui entrent vraiment en résonnance avec la Nation. Ce sont des moments familiaux que tout le monde regarde, et dont tout le monde parle. Et c’est cela qui fait la créativité britannique.

J’ai eu le sentiment depuis dix ans, avec des séries comme « MI-5 » et « Doctor Who » qu’il y avait une expansion de l’étendue de la fiction britannique. Elle s’était un peu rétrécie dans les années 90.

Oui… On peut beaucoup créditer pour cela une compagnie qui s’appelle Kudos, qui fait « Spooks » et « Hustle » (Les Arnaqueurs VIP). Ils ont repoussé les limites et fait des choses dont on pourrait dire qu’elles sont assez américaines, en regardant en direction des productions du câble US, qui sont moins dirigées par la publicité, mais par la volonté d’être créatif et de provoquer les conversations. Elles ont été célébrées par la critique.
Kudos est venu à ça avec un œil cinématographique pour la réalisation, et en donnant le pouvoir à des scénaristes comme mon patron et mentor Tony Jordan, qui a créé « Hustle », ou les autres co-créateurs de « Life on Mars », Matthew Graham et Ashley Pharoah. Ils ont créé des séries qui sont vraiment dirigées par l’écriture, ce que les américains appellent des high concept. En fait, ils sont allés à contrario de ce qu’on retient comme l’essence de la fiction britannique, qu’on appelle les drama de cuisine. Les soaps en sont, ce sont des programmes où il arrive des choses très désagréables à des gens peu élevés sur l’échelle sociale. Le spectateur s’assoit et apprécie leur souffrance !
Mais peut-être que cette tendance est curieusement en train de régresser un peu actuellement. Même si « Doctor Who » est un gros succès. Et je sais que Kudos a fait une autre série, assez SF, qui s’appelle « Outcasts ». Une série intrigante, tout le monde a hâte de voir ça ! Mais aujourd’hui, à part sur Sky, les commandes des chaînes s’orientent plus vers des choses comme « Downton Abbey ». On parlait de « Downton Abbey » vs « Upstairs Downstairs », mais bizarrement, « Downton » ressemble plus au « Upstairs » original que le reboot récent. Pour les gens qui ont regardé « Downton Abbey », c’était aussi l’occasion de regarder en arrière vers une époque avant la récession. L’économie britannique n’est pas à la fête actuellement. On déteste tous les banquiers. C’est agréable d’avoir des réminiscences d’une époque où on était au sommet du monde. C’est un peu l’équivalent en télévision de la nourriture de confort. Une certaine chaleur, des choses que l’on peut comprendre, que l’on connaît.
Mais on ne sait jamais. « Outcasts » pourrait être un très gros succès et ils pourraient faire d’autres « Spooks » et d’autres « Hustle ». Aussi longtemps que les gens regardent ces séries, il y en aura d’autres. Mais je crois que le prochain mouvement viendra moins de choses un peu décalées comme « Doctor Who » et « Life on Mar »s que d’univers à la « Mad Men », dont « Downton Abbey » est proche.

A votre avis, est-ce que les soaps britanniques sont toujours un moyen de faire émerger de bons nouveaux scénaristes ?

Oui, je crois... On en débattait tout à l’heure… Il se passe beaucoup de choses au théâtre en ce moment en Grande-Bretagne, mais je crois que le théâtre, c’est vraiment différent de la télévision. J’ai déjà travaillé avec des jeunes et enthousiasmants auteurs de théâtre et bon sang ils pouvaient écrire de la télé vraiment nulle ! Le cinéma et la télévision coexistent assez bien : les modes d’écriture et de jeu des acteurs sont assez proches. Le théâtre c’est une bête très différente, qui peut prendre des libertés.
Aujourd’hui la BBC a des programmes pour les jeunes auteurs, c’est comme ça qu’elle s’y prend. Il y a quatre jeunes scénaristes par an qui sont embarqués à bord des séries longues, et ils apprennent comme cela, en faisant. Ce qui, je crois, est une bonne chose. Il y a des forces et des faiblesses dans ce système. On se retrouve avec des gens qui normalement savent très bien écrire ce type de séries. Mais… On en parlait à l’arrière, sur le sujet du temps qu’il faut pour devenir scénariste… « Death in Paradise » ce sera le premier scénario télé de Robert Thorogood. Son premier crédit sera une grosse série. Tony Jordan c’était un trader qui s’est retrouvé à écrire pour « EastEnders ». Guy Hibbert a encore une expérience différente... Il y a des choses qui sont plus difficiles que d’autres. Certains seront d’excellents scénaristes de soaps mais ils ne seront jamais très bons sur d’autres choses. Certains seront géniaux sur « EastEnders » mais pas bons sur « Casualty ». Les soaps sont un bon enseignement créatif, mais ils n’équipent pas forcément les gens pour être de bons showrunners. Pour l’étape suivante, il peut y avoir besoin de quelqu’un avec qui travailler, ou simplement d’une idée suffisamment brillante. Parfois on peut être bon sur un soap, mais c’est extrêmement difficile d’avancer vers l’étape d’après.

Vous avez travaillé comme Script Editor sur « Doctor Who » ?

Oui, il y a un moment !

Vous avez fait les premières saisons...

J’ai fait les deux premières saisons de David Tennant. Je les ai supplié et ils m’ont donné le travail de mes rêves, parce que j’ai toujours été un grand fan de « Doctor Who » quand j’étais enfant. Et bizarrement, mon premier travail ca a aussi été des livres dérivés de « Doctor Who » ! Mes parents n’arrêtaient pas de me dire que mon amour pour « Doctor Who » ne m’amènerait jamais nulle part, mais la série n’a pas arrêté de revenir pour moi. Je peux leur renvoyer à la figure que ça m’a en fait rapporté deux travails !

« Doctor Who », avec ses spin-off et ses projets cross-média a aussi permis à des auteurs d’émerger, comme ça a été le cas de quelqu’un comme Joe Lidster qui a ensuite écrit des scripts brillants pour « Sarah-Jane Adventures »...

Joe a commencé juste au moment où j’arrivais sur la série. Oui, c’est vrai, c’est une vertue. Même si elle n’a peut-être pas généré autant de nouveaux talents que cela. Pour moi le premier aspect, c’est que la série a été un moyen pour les gens qui adoraient « Doctor Who » de continuer à l’adorer. Les carrières des gens étaient allées dans toute sorte de direction, mais la série a pu les réunir. Des gens comme gareth Roberts que je connais depuis 20 ans, Mark Gatiss de « La Ligue des gentlemen » qui était également un grand fan et écrit encore pour la série… Matt Jones… Il y a eu quelques nouveaux qui ont émergé, je crois que c’est moins vrai maintenant. Ils sont partis à la recherche de scénaristes plus établis, ce qui est probablement ce qu’il y a de mieux à faire parce que c’est une série difficile. Russell était un genre de showrunner différent de Steven, à qui cela enlève certainement un poids d’avoir plus de talents amenant leur propre voix. On le voit dans la dernière saison, ces différentes voix sont perceptibles grâce à l’approche différente de Steven.

Dernière mise à jour
le 8 février 2011 à 18h51