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Entretien avec une scénariste française... frustrée
lundi 1er décembre 2003, par
L’interview de cette scénariste, a été réalisé il y a déjà un petit moment mais reste d’actualité. Elle donne des éléments de réponses à cette fameuse question qui trotte dans la tête des téléspectateurs français depuis plusieurs années : Mais pourquoi n’a-t-on pas de séries TV de qualité en France ?! Une exclu FLT ...
L’entretien est anonyme, car il existe de nombreuses listes noires de scénaristes à la télé et nous ne désirons pas que notre contacy se fasse griller...
1/ Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelle formation as-tu suivi pour devenir scénariste, et depuis quand exerces tu ce métier ?!
Comme beaucoup de scénaristes, je dirais que j’ai été formée sur le tas et que j’ai appris mon métier au jour le jour, comme on apprend le langage et l’écriture. Après sciences politiques et un troisième cycle, je me suis mise à écrire et à travailler comme comédienne. Puis, j’ai suivi une brève formation dans une école de scénariste. C’est là que je me suis mise à écrire pour la télévision, ce que je n’aurais jamais pensé faire. Le scénario fut donc une vocation liée au hasard, tout comme mon entrée dans ce métier. A l’époque, l’idée de devenir scénariste télé n’était pas une chose acquise, ni une fin en soi, la télévision étant alors jugée comme le parent pauvre du cinéma. Contrairement à aujourd’hui, où beaucoup de jeunes aspirent à travailler pour la télé, on ne le revendiquait pas haut et fort. En six ans, temps depuis lequel j’exerce ce métier, les mentalités ont évolué, ce qui est un bien.
2/ En gros sur quelles genre de choses as tu déjà travaillé ?
Téléfilms, courts-métrages, séries, documentaire, j’ai touché un peu à tous les formats, même si je me suis surtout spécialisée dans l’écriture de concepts de séries. Les unitaires étant de plus en plus difficiles à vendre et la demande de plus en plus restrictive, je n’ai pas eu trop le choix. J’ai répondu aux insatiables demandes des productions, toujours à la recherche de nouvelles séries.
3/ En « Théorie », comment le système fonctionne-t-il ? : quels rôles tiennent les différents acteurs dans le processus de création d’une fiction ? Au départ, une chaîne recherche une idée, un projet, mais ensuite ?...
En théorie, comme en pratique, le système fonctionne de différentes manières. Quand une chaîne cherche de nouveaux projets, elle le fait savoir aux différentes productions à qui elle précise sa demande. Unitaires, séries, type de format, genre, la chaîne dicte sa politique éditoriale aux productions. Puis celles-ci partent à le recherche de projets. Appels d’offre auprès des agents, des auteurs avec lesquels elles sont en relation...
Si ce ne sont pas les agents ou les productions qui transmettent l’information, ce sont les scénaristes eux-mêmes, par le bouche à oreille. Bref, dès qu’une chaîne cherche quelque chose, tout le milieu des scénaristes est au courant.
Mais il arrive aussi que les productions fassent leurs propres propositions aux chaînes, se lancent dans des projets personnels en essayant de les allécher, de leur donner de nouvelles envies. Mais, c’est je l’avoue, très rare...
Les scénaristes eux aussi, osent parfois prendre les devants en proposant des projets personnels que eux seuls ont initiés. Ils passent alors par l’intermédiaire d’une production qui défend leur projet. En dehors de ces pratiques courantes, il y a bien évidemment, tous les projets qui naissent en coulisse, c’est-à-dire au sein de la chaîne, par le copinage, la cooptation et souvent aussi, la magouille.
4/ Quelles sont les différences notables avec la production américaine ?
La différence majeure, c’est hélas et évidemment, l’argent...
Hélas, parce que la France n’a pas su investir dans le développement de projets, contrairement aux Etats-Unis... évidemment, parce qu’il faut de l’argent pour créer et développer des projets (souvent longs) dans de bonnes conditions. En France, on fait semblant d’ignorer que la phase initiale d’un projet, sa conception, coûte de l’argent alors qu’aux Etats-Unis, c’est la première chose dans laquelle on investisse. Aux U.S.A, un projet, ou plutôt son concept initial se paie. En France, il se négocie, se brade et il arrive souvent qu’il ne soit pas payé, surtout si le scénariste est débutant. Quant aux tarifs, ils ne sont évidemment pas les mêmes et le métier non plus. A moins d’être un scénariste confirmé, ou en voie de reconnaissance, les producteurs essaient en général de ne pas payer les concepts ou alors de miser petit en prenant des options ridicules. Bien sûr, il y a des exceptions. Quelques rares gentleman producteurs paient et investissent sans broncher. Je crains hélas qu’ils soient en voie de disparition.
5/ Penses-tu que ces différences soient la source de l’abîme qualitatif entre les fictions américaines et françaises ?
Hélas et une fois de plus hélas, je répondrais oui !
Le jour où les producteurs français se donneront les moyens d’investir dans le développement de projets, la qualité des fictions augmentera. Bien évidemment, je parle essentiellement de télé, mais cela vaut aussi pour le cinéma. Le métier de scénariste n’étant pas reconnu dans notre pays, il va de soi que le travail des scénaristes n’est pas estimé à son juste prix. Or, comme je le disais plus haut - et je ne ferai que me répéter -, écrire coûte du temps et donc de l’argent. A moins d’être rentier, je connais peu de gens capables d’exercer ce beau et dur métier bénévolement. En France, hélas, les producteurs se posent assez rarement la question.
Aux Etats-Unis, le scénariste est plus respecté, plus défendu et donc plus crédible. Son travail a un prix que le producteur discute moins ou alors à une autre échelle. Aux Etats-Unis, le producteur est un créateur, un « parieur » qui ose miser, en France, c’est plus souvent un gestionnaire.
6/ Selon toi, en France les chaînes et les producteurs télé considéraient-ils, les décennies passées, les séries TV comme le parent pauvre du cinéma, étant simplement un moyen de remplir les grilles de programmes rien de plus ?
Les producteurs et les chaînes n’ont pas toujours considéré la télévision comme le parent pauvre du cinéma. Au départ, il s’agissait tout simplement de deux modes d’expression totalement différents et absolument incomparables. La télévision faisait partie du domaine du service, du divertissement alors que le cinéma faisait partie de l’art. Si la télévision avait été considérée comme un art, peut-être en aurait-on fait le huitième art, ce qui n’a pas été le cas. Je dirais donc qu’il s’agit de deux choses totalement différentes, même si elles créent, à la base, le même produit : de la fiction.
Je pense que le problème est plus complexe : pour se défendre de leur mépris grandissant pour la télé, les producteurs et les chaînes, jaloux du cinéma ont décidé de jouer les victimes en s’autoproclamant « parent pauvre du cinéma », une manière de se laver les mains et d’excuser leur médiocrité, leur manque de motivation...
De plus, je dirais que si la télé est effectivement devenue le parent pauvre du cinéma, ce parent s’est lui-même terriblement appauvri... La télé étant la mère nourricière du cinéma (c’est elle qui le fait vivre et le finance...), je dirais même qu’elle en est le riche tuteur... Pour ce qui est des séries télé, il est vrai qu’elles répondent de plus en plus au besoin basique du diffuseur de remplir ses grilles et d’y caser un maximum de publicités, bref, d’en tirer un maximum de profit.
7/ Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
C’est pire encore... La télévision et tout le paysage audiovisuel sont en plein bouleversement. Avec la venue de la real T.V, on découvre que la télévision peut prendre ses distances par rapport à la fiction, voire s’en passer. Et puis, il y a la multiplication des chaînes, le câble. La télévision n’est plus le monopole de quelques chaînes. Elle appartient à tout le monde.
8/ En France en règle générale, les séries ne sont donc pas portées par le moindre soucis créatif ?
N’étant ni diffuseur, ni producteur, j’ignore ce qui leur passe dans leur tête lorsqu’ils décident de produire une série. Tout ce que je peux dire, c’est que s’ils ont eu à un moment ou un autre, un souci créatif, la question purement basique de l’audimat et de la rentabilité a vite dû le balayer...
Quand on regarde le paysage audiovisuel français, surtout en ce qui concerne les séries, on a effectivement le sentiment que le désir de création y est absent ou en tous les cas anesthésié. Mais je ne veux pas généraliser, ni jouer les mauvaises langues, car je sais qu’il existe des producteurs motivés, audacieux, mais qui hélas, n’arrivent jamais à faire passer les séries dont ils ont rêvé et où la création, voire l’innovation était bel et bien leur premier souci.
Pour conclure sur cette question, je dirais donc que le souci créatif est généralement muselé dès qu’il se manifeste, ou alors mis au rancart. De plus, quand on sait que ça coûte moins cher à un diffuseur d’acheter une série étrangère, en l’occurrence américaine, que d’investir dans une série française, on devine qu’ils soient de moins en moins motivés.
9/ Selon toi, quelles sont les séries françaises qui valent réellement le coup et qui ne sont pas de simples produits de consommation daubesques ?
Bien que je ne sois pas fan des séries françaises (j’avoue que j’ai du mal à m’y coller...), je ne vais pas pour autant casser le travail des autres scénaristes et encore moins le juger en termes de valeur. Bien ou moyen, mauvais, ou désastreux... je préférerais plutôt parler de tentatives. Monter une série, la lancer est, la plupart du temps un vrai chemin de croix, tant pour le scénariste que pour le producteur, surtout si l’on sait que le produit final est souvent très éloigné du produit initial. Donc, si je devais parler de séries qui valent le coup, ou en tous les cas sortent de l’ordinaire (sans dire qu’elles sont bien ou géniales...), je citerais Caméra café. Bien que d’un format court, cette série est un exemple de projet né d’un réel désir de création. Il a fallu attendre sept ans avant qu’elle puisse voir le jour. Dans un autre registre, il y a « avocats et associés », peut-être aussi Police district (même si je n’en ai vu que quelques épisodes, donc difficile de juger... et que les séries policières françaises, c’est carrément pas ma tasse de thé). Il y a eu aussi des tentatives avec Brigade criminelle et Crimes en série, mais là aussi, je n’ai pas assez suivi l’histoire...
Pour ce qui est de l’avenir, j’ai l’impression qu’il y a des choses pas mal qui se trament, mais j’attends de voir le résultat. En tous les cas, cela a un peu bougé sur quelques chaînes et s’ils vont jusqu’au bout de leur désir, il devrait y avoir des choses plus intéressantes les prochaines années. Reste à voir comment les projets seront triturés et recadrés jusque là. Tout dépendra une fois de plus de politique interne des chaînes, d’histoires de pouvoir et d’ego.
10/ Mais, ces mêmes séries peuvent-elles tout de même égaler les séries américaines ?
Ah, nous y voilà !... Les séries américaines... Je savais bien qu’elles reviendraient sur le tapis. Le problème, avec les séries américaines, c’est qu’on ne cesse d’en faire un objet de comparaison, alors que la plupart du temps, elles sont incomparables. Même si elles sont souvent louables, à tous les points de vue, il ne faut pas oublier que le culture française n’est pas la culture américaine, que nous ne sommes pas des Américains, que nous vivons et pensons différemment et que, forcément, on ne vas dire et encore moins écrire les mêmes choses. Pourquoi vouloir faire pareil ou se dire que c’est regrettable d’être si différent ?...
Je pense qu’il n’y a pas à égaler les séries américaines ou encore moins à complexer parce qu’on n’arrive pas à faire la même chose...
Primo pour des raisons culturelles (comme je viens de le dire), secundo pour des raisons financières. Les séries françaises sont faîtes avec dix fois moins de moyens, donc forcément, le résultat sera différent. Ceci étant dit, il y a des séries françaises, qui d’un point de vue qualitatif, ne sont pas loin de la qualité, made in U.S.A. Le problème serait-il donc essentiellement culturel et pas que financier ?...
11/ Que faudrait-il faire pour que cela soit le cas ?
Pour que nos séries égalent les séries américaines, disons celles qui ont du succès ici, il faudrait des producteurs plus audacieux, des chaînes moins frileuses, une plus grande compétence et ouverture d’esprit de la part des décideurs, bref, il faudrait être moins consensuel et éviter la politique du ventre mou, celle qui domine majoritairement en France, et ce, pas qu’à la télé...
Il faudrait aussi plus de moyens, mais ça, c’est une autre histoire. Le reste est une question d’histoire et de culture. Les scénaristes américains ont une culture télévisuelle plus forte, plus ancrée que la nôtre, parce que la culture télé américaine est plus ancienne et qu’elle a eu le temps de s’installer, de s’éprouver. Peut-être qu’il nous faut encore un peu de temps avant de mûrir ou de comprendre que la télé n’est pas un sous-produit mais qu’elle pourrait devenir une culture en soi.
12/ Explique-nous pourquoi il est si dur pour un scénariste d’écrire pour la télé française et pourquoi il est encore plus dur de créer une série de qualité ?
Je crois que la réponse à cette question se trouve dans toutes les réponses que j’ai données plus haut. Les diffuseurs sont frileux, les producteurs craintifs, souvent près de leurs sous. Sans compter le manque de talent, d’audace, le manque de folie et d’anarchie, dus à la technocratisation de tout ce petit milieu. En France, la télé est régie par les « enfants » des grandes écoles et toute leur sacro-sainte famille, artistiquement incestueuse. Du coup, ça donne rarement des choses originales, mais plutôt des produits lisses, bien calibrés, en voie de dégénérescence.
13/ Des exemples de ton expérience personnelle ?
Là, j’ai du mal à répondre. Bien que je sois une jeune scénariste, la liste est longue et les exemples gratinés. En ce qui concerne les concepts et pré-bibles de séries que j’ai écrites et dont la plupart ont été optionnées (c’est- achetées par des producteurs pour être présentées aux chaînes), aucune n’a jamais été définitivement retenue par une chaîne. Talentueuses, soi-disant, mais toujours trop originales ou trop novatrices, pas assez françaises. Quoi qu’il en soit, ce n’était jamais le bon moment.
Je me souviens d’une série qui avait beaucoup plu à Canal plus international et à la plupart des décideurs de la chaîne, mais qui fut bloquée par un directeur de la fiction interne, lequel avait préféré mettre en avant une série écrite par ses potes, des auteurs de Canal. Leur série fut donc choisie à la place de la mienne, de l’argent fut investi pour son développement, mais cela ne donna jamais rien. Il paraît que le premier épisode était si pitoyable qu’ils décidèrent de tout arrêter...
Ce genre d’exemples de gâchis est courant à la télé. Les chaînes s’amusent, se font plaisir, renvoient l’ascenseur à des potes producteurs ou auteurs, puis plantent tout comme si de rien n’était. Pendant ce temps, ils bousillent des auteurs, passent à côté de certains, bref, ne font pas leur travail sérieusement.
Mais il y a mieux encore...
Quand un changement de direction a lieu dans une chaîne, au niveau de la fiction par exemple, tout ce qui avait été produit et mis en route par l’équipe précédente est, la plupart du temps, balayé. J’ai un ami qui avait quatre téléfilms signés avec France deux et qui, au moment de l’arrivée d’un nouveau directeur de la fiction, a vu tous ses projets mis à la poubelle en l’espace de cinq minutes. Les films allaient se tourner, tout était prêt. Parmi ses projets, il y avait un film magnifique qui lui avait demandé des années de travail. Heureusement pour lui, ce film va être réalisé au cinéma, et si tout va bien, ce sera un des projets cinéma les plus audacieux des années à venir.
Bref, un exemple qui montre que la télé tue artistiquement plus souvent qu’elle ne découvre ou promeut. La télé n’est certes pas une dénicheuse de talents, passe encore, mais qu’elle soit une fossoyeuse est plus grave, surtout lorsqu’il s’agit d’une chaîne publique.
Dernier exemple : M.6.
Il y a peu de temps (je ne donnerai pas de dates), j’ai participé à la co-écriture d’une série qui avait été commandée par M.6. Les délais d’écriture étaient très courts et l’argent prévu pour la production et le tournage du premier épisode, ridicule. Bref, nous savions que notre série serait « cheap » et qu’il faudrait faire avec, dans un temps record. Mais nous avions réussi à faire quelque chose de sympathique et d’original. Pour le premier épisode, la chaîne nous avait donné quelque chose comme deux semaines pour l’écriture, ce qui est aberrant. Comment faire du bon travail dans ces conditions ?...
C’est possible en ne dormant plus, en devenant fou, mais bon, c’est risqué. Bref, l’épisode écrit, ils ont commencé à ne plus donner signe de vie, puis à prétendre qu’il fallait faire de légères rectifications pour lesquelles ils nous adjoindraient des coachs, des gens de chez eux, bien évidemment.
Et bien devinez ce qui s’est passé ?
Les fameux consultants sont arrivés avec un tout autre projet, ont rasé le concept initial, écrit un épisode en dix jours et hop, vogue la galère. L’épisode n’a jamais été tourné, tout a été abandonné. Mais le pire est que M.6 avait lancé un appel d’offre quelques mois plus tôt pour ce même style de série et que des centaines de producteurs et d’auteurs ont joué le jeu, rendant des projets, alors que la chaîne savait déjà qu’elle allait prendre celui d’une production amie.
Génial, non ?
Le faux appels d’offre sont fréquents et ceux qui tombent dans le piège nombreux. S’il est donc si difficile d’écrire pour la télé française, c’est donc en partie à cause de son corporatisme viscéral, tendance que l’on retrouve dans beaucoup d’autres domaines de la société française. Pour ma part, j’associe cela à un manque de sérieux, bref, un manque de professionnalisme de la part de gens qui ne cessent de donner des leçons, prenant pour exemple modèle américain, qu’il citent à toutes les sauces.
14/ Penses tu que cela va changer un jour ?
Je ne suis pas médium et n’essaierai pas de l’être. Je souhaite juste que les choses iront dans un sens plus positif et que toute la politique télévisuelle actuelle, extrêmement négative, ne va pas tuer dans l’œuf les talents à venir de cette profession. En fait, j’espère que toute cette merde va faire émerger des mouvements de résistance et de contestation et qu’un vent d’anarchie, un typhon même, va tout balayer. Ensuite, on pourra peut-être repartir à zéro... Mais si je me fie à ce bon vieux Samuel (Beckett of course...) pour qui « le pire est toujours sûr », je dirais qu’on est mal barré. Suffit de regarder T.F.1 ou M.6 un samedi soir...
15/ Trop tard ?... Le Web peut-il reprendre ça à son avantage, des Webséries existant déjà au moins sous forme de scénarios (http://www.webseries.fr.st/ par exemple) ?
Il n’est jamais trop tard. Il y a toujours quelque chose à faire pour changer les choses. Le danger est que le public devient de plus en plus passif et qu’il s’habitue à ce qu’on lui sert. Quand à ce que le Web reprenne cela à son avantage, je pense que c’est un procédé encore un peu trop marginal. Les téléwebeurs ou mordus de la télé via Web sont encore rares. Regarder la télé sur un écran d’ordinateur n’est ni une chose évidente, ni un acte spontané. Pour des initiés, peut-être, mais pour la majeure partie de la population, c’est inimaginable. Pour les générations à venir, peut-être mais pour les dix, vingt prochaines années, j’ai des doutes. Mais sait-on ?...
Les choses évoluent souvent plus vite qu’on ne le pense. Avec des écrans d’ordinateurs adaptés, plus « confortables », pourquoi pas ? Cette télé là, en tous les cas, reste à construire et à développer.
16/ Et que penses-tu des mouvements de fans et de téléspectateurs éclairés comme l’association du FLT qui veulent une télévision de qualité et qui agissent en ce sens ? Est-ce suffisant ?
Je ne connaissais pas l’existence du F.L.T avant quelques mois, pour la simple raison que je ne suis pas assez branchée Net... Mea culpa ! Quoi qu’il en soit, je trouve ce front nécessaire et l’idée de savoir qu’il n’y a pas que les scénaristes ou certains producteurs qui en ont marre et qui revendiquent une autre télé, une télé de qualité, me rassure. Savoir qu’il y a aussi, derrière le petit écran, des spectateurs actifs et responsables, ça donne de l’espoir. Ce qu’il faudrait, maintenant, c’est unir tous ces désirs, toutes ces énergies pour créer un front commun. Car l’isolement est une mauvaise chose et dans un métier où tout est morcelé (si il y devait y avoir une devise propre à la télé, c’est « diviser pour mieux régner »), l’union serait la meilleure des armes. Les scénaristes devraient se joindre à certains producteurs, lesquels se joindraient aux téléspectateurs. Ainsi, on devrait pouvoir arriver à quelque chose, si ce n’est déplacer l’iceberg de quelques centimètres. Mais peut-être faudrait-il mieux descendre dans la rue, juste pour dire stop ou alors attention, un jour plus personne ne regardera votre télé de merde !
17/ Comment expliques-tu l’hypocrisie qui consiste à dire que les français sont trop bêtes pour comprendre et suivre des scénarios complexes, alors que les séries américaines qui en possèdent pour la plupart ont tant de succès chez nous ?
Dans les chaînes, beaucoup de décisionnaires prétendent, il est vrai, savoir ce que le public veut, qui il est et, surtout, parlent en son nom. On les entend alors, affirmer, sans la moindre hésitation, que la ménagère entre 35 et 50 ans aime ceci ou cela, déteste telle ou telle chose... Bref, ils ont le sentiment de tout savoir d’elle.
Est-ce de l’hypocrisie ?... Je crois que c’est pire, c’est de l’ignorance. Ces gens là sont généralement coupés du public, de la réalité et agissent comme des gestionnaires, incapables de se forger la moindre opinion sans chiffres ou courbes médiamétriques. Or ces courbes, comme les sondages, ne peuvent être, je le pense, le reflet complet de la société française. Mais les décisionnaires télé n’étant ni des artistes, ni des intuitifs, elles sont leur seule référence viable. Une fois de plus, on en revient au problème de la technocratisation dans les chaînes de télé françaises et aussi du manque de prise de risque. En résumé, il leur est plus facile de justifier leurs choix en prétendant être les porte-parole d’un public idiot que de reconnaître qu’ils n’ont pas la moindre jugeote artistique.
Quant à dire que les scénarii américains sont plus complexes que les nôtres, je ne suis pas d’accord. Au contraire, les scénarii américains sont si calibrés si techniques qu’ils sont pour la plupart prévisibles et très facilement reproductibles. D’un point de vue analytiques, ils sont souvent beaucoup plus simples à analyser que les Français. Plutôt que de parler de complexité, je préfèrerais parler d’originalité dans les contextes, les thèmes, d’audace et de diversité. Tout cela nous amène donc, une fois de plus au problème de la politique éditoriale des chaînes. Les Chaînes Françaises brident leurs auteurs, alors que les chaînes américaines les stimulent, les poussent à l’originalité.
Pour ce qui est du succès des séries américaines, il est relatif. Elles n’ont pas toutes du succès, celles qui cartonnent ne représentant (hormis Urgences par exemple...) souvent qu’un infime pourcentage de spectateurs en France. N’oublions pas que beaucoup de séries culte sont diffusées sur le câble et qu’elles ne touchent donc qu’une faible part de spectateurs, souvent des téléphiles avisés. Ally Mac Beal, Sex and the city, tout comme Soprano ou Six feet under ne sont pas des cartons en termes d’audience, comparés à d’autres chaînes. Par contre, ce sont des succès internes pour les chaînes qui ont diffusé ces séries.
Je ne sais pas ce que ces séries auraient donné sur des chaînes plus importantes, mais je suppose qu’elles n’auraient pas fait de bide. Aussi, le terme de succès est à nuancer. Ce qui est regrettable, c’est que des chaînes importantes, de grandes chaînes, n’aient pas eu l’envie, ni le cran de passer ces séries et de parier sur leur succès.
18/ Succès malgré des programmations chaotiques des séries américaines au profit de séries made in France et ce, sans aucune considération au niveau du contenu qualitatif ?
Même si j’aime les séries américaines et que j’ai souvent du mal à suivre les séries françaises, je n’ignore pas que les chaînes françaises ont certains quotas de production nationale et que, même si elles en avaient l’envie, elles ne pourraient pas privilégier des séries américaines, les préférant à des séries françaises et en outre à des heures de Prime Time. N’oublions pas que nos chaînes doivent favoriser les productions françaises et que ça, on ne peut pas complètement leur en vouloir. Ce qui est à regretter, c’est, une fois de plus, la qualité des séries françaises choisies. Qualitativement, c’est clair qu’il y a un problème et que beaucoup de bonnes séries américaines (comme Friends et bien d’autres...), passées à des heures peu avantageuses, mériteraient une autre considération. Je dirais donc que le problème n’est pas le mauvais traitement qu’on fait subir aux séries américaines, mais plutôt l’absence de prise de position en ce qui concerne la qualité des séries « bleu, blanc rouge ».
19/ Quelles sont tes séries de références, cultes, celles que tu aimes suivre ?
Shame on me !... Je regarde de moins en moins la télévision, mais j’avoue aimé ou avoir aimé Six feet under, Sex and the city, Ally Mac Beal... Etant fan de sitcoms, j’ai évidemment adoré Friends, Father Ted, Seinfeld. J’aimais aussi Spin city et Absolutely Fabulous, Dream on, même si ça commence à dater. Dans les séries que j’aime moins, mais que je trouve incroyablement bien fichues, il y a les Soprano, Urgences...Ah j’oubliais !... Il y a aussi Alias qui est une très bonne série. Sinon, en animation, il y avait les Simpsons, Southpark, mais aussi Funky cops. C’est vraiment un dessin animé d’une grande qualité, un véritable ovni dans la création française. L’auteur, il faut le dire est un fan de séries américaines des années 70 et 80.
20/ Y a t’il déjà des producteurs qui essayent de changer les choses dans le bon sens ?
Bien sûr !... Je peux même dire qu’il y en a pas mal, des jeunes et des moins jeunes. Le problème, c’est qu’ils n’arrivent pas à faire bouger les chaînes et qu’au bout d’un certain temps, ils fatiguent. S’ils ne veulent pas fermer boutique ou investir à perte dans le développement de projets qui ne verront jamais le jour, ils sont obligés de s’aligner au désir des chaînes. J’en connais qui ont investi dans des pilotes, ont même mis de l’argent personnel dans des séries de qualité, franchement originales, et ils se sont faits poliment refoulés.
Pour ne pas leur dire qu’on ne voulait pas de leur bébé, on leur a dit « ah, désolé, mais on ne sait pas dans quelle case on pourrait mettre votre série !... » Voilà un petit exemple du manque de curiosité et d’audace des décisionnaires télé.
21/ Et à l’inverse, ceux qui veulent que rien ne change ? Des noms !!!
Là, il n’est pas nécessaire de balancer. Il suffit de regarder la plupart des séries ringardes et de jeter un œil aux noms des productions qui les ont engendrées. Ce sont pour la plupart de grosses pieuvres télé, souvent issues de grands groupes, bref, des productions qui donnent dans le tout et le rien. Le problème, c’est qu’au sein de celles qui ne veulent pas que ça bouge, ou plutôt qui ne font pas en sorte que ça bouge, il y a aussi des producteurs qui rêveraient que ça change, mais qui ne peuvent rien faire tout seul. J’en connais qui, au sein de grands groupes on tenté de bousculer les choses et qui se sont faits rétrogradés, voire virés par leur big boss.
Il est donc difficile, voire arbitraire de généraliser, de dire qu’il y a ceux qui sont pour le changement et ceux qui sont contre... même si la tendance est plutôt mollassonne dans l’ensemble. Si vous voulez vraiment des noms, je dirais qu’Expand, Telfrance, Téléimages et j’en passe, ne sont pas vraiment les rois du changement, mais il y en a tellement d’autres...
22/ Que penses-tu de la « TV réalité » et de ses dangers pour la production de fictions en général ?
La télé réalité, c’est le mal audiovisuel du 21ème siècle, la récolte de ce que des producteurs peu scrupuleux ont semé pour aller jusqu’au bout d’un processus de mercantilisation de la télévision. D’une manière plus générale, il s’agit du reflet de notre société, dont le malaise culturel et la pauvreté ont atteint leur expression absolue. L’argent remplace la création, laquelle n’a plus de sens d’un point de vue économique.
Symboliquement, la télé réalité représente le produit contre l’œuvre, l’authenticité contre l’artifice. La télévision ayant de plus en plus besoin de produits à faible coût, rapidement consommables, donc éphémères, elle a créé la real T.V qui est une merveilleuse pompe à fric. Dans un siècle où les gens ont de moins envie de réfléchir, mais plutôt de se divertir, le plus simplement possible, ce genre d’émission est l’idéal.
On prend quelques types, on les balance dans une baraque pendant quelques mois, on les regarde juste vivre ou alors on prétend vouloir dénicher parmi eux, de futurs talents, et hop, la machine est lancée... Ça coûte que dalle en termes de production et ça rapporte gros. Entre les pubs passées lors de l’émission (les espaces publicitaires un soir de Prime Time sont payés une fortune), les produits dérivés (fringues, C.D etc...), les chaînes qui donnent dans la télé poubelle, se font des Couilles en or (pour les âmes pas trop sensibles, voire la traduction en police Wingdings...).
Bref, la télévision a trouvé le produit idéal à fabriquer, à côté des grosses cavaleries à la Napoléon and co qui rapportent pas mal, elles aussi. Par contre, c’est un danger réel pour la production fiction qui, comparée à la Real T.V, risque d’être minimisée, voire marginalisée. Certains producteurs désirant aller au moins cher et au plus efficace en termes d’audimat, choisiront cette solution de facilité. Heureusement, il n’y a pas que des pourris sur cette terre et il faut souhaiter que le reste de la profession (producteurs et scénaristes compris) essaiera de faire son métier avec intégrité et professionnalisme.
23/ Et de ses dangers pour le public ?
Le client est roi et, de ce point de vue là, le spectateur fait la télé.
Si des millions de Français se branchent sur Loftstory, sur L’île de la tentation ou sur Star Academy, c’est que c’est ce qu’ils ont envie de regarder. Après tout, il sont majeurs et vaccinés !...
Je pense qu’ils regardent non seulement parce qu’il n’y rien d’autre sur les autres chaînes à la même heure, mais surtout parce que ça les divertit. Au delà de l’effet de curiosité ou de voyeurisme suscité au début, lorsque ces émissions ont débuté, il y a un effet d’accoutumance, de routine. Le public, par l’effet de médiatisation et de starisation des cobayes (j’entends par cobayes les tordus qui acceptent de se laisser zieuter vingt quatre heures sur vingt quatre...) s’intéresse, voire s’attache à eux. Qu’il le veuille ou non, on lui fait croire que cela fait partie de son quotidien, que cela le meuble, que ça a de l’intérêt et il s’habitue. C’est surtout valable pour les ados qui sont quand même le public idéal de ce genre d’émissions. Au delà de ce phénomène routinier d’accoutumance, je pense que le public va vite en avoir ras le bol de mater Monsieur tout le monde s’emmerder dans son bocal et que peu à peu, il va décrocher.
Dans la plupart des pays qui ont fait de la real T.V, c’est ce qui s’est passé. Au bout de deux saisons, maximum trois, le public se lassait, boudait ou trouvait cela carrément ringard. L’exception, ce sont les émissions destinées à découvrir des talents, dans le style Star Academy ou Popstars. Comme c’est la découverte d’un quidam qui est en jeu, le public qui rêve lui aussi de paillettes et de gloire, s’identifie à lui, et, en suivant ses premiers pas et sa carrière, a le sentiment de créer sa star, puis de pouvoir se projeter dans sa vie, dans ses succès ou ses échecs. Comme ce type d’émission touche à une corde plus sensible que le voyeurisme, à savoir l’aspiration à l’argent, à la réussite, et à la performance, elle a des chances de durer plus longtemps, voire de définitivement s’installer sur les chaînes.
Pour en revenir aux dangers de la real T.V, je dirais que le pire des dangers, hormis l’abrutissement du public est sa chosification.
24/ Malgré le système castrateur de création de fictions de qualité, as-tu encore la passion ? Vas tu essayer de continuer ?
J’ai toujours écrit (au départ sans penser devenir scénariste), j’espère ne jamais arrêter. Et même si je suis arrivée à la télévision par hasard, je crois que je continuerai, que j’essaierai de lutter encore quelques années. Je suis peut-être un peu désenchantée, c’est sûr, mais j’ai toujours autant de passion qu’il y a six ans, lorsque j’ai commencé. Alors il faut espérer que ma patience et ma persévérance paieront et qu’une de mes séries verra le jour. Il faut espérer qu’elle n’aura pas trop été esquintée entre temps et qu’elle fera d’heureux spectateurs.
En tous les cas, le jour où je n’aurai plus le courage de continuer, c’est-à-dire celui où je n’aurai même plus envie de me regarder dans la glace, alors je laisserai tomber. En attendant, j’essaie de tenir le coup en écrivant d’autres choses (nouvelles, roman etc...) et parfois en faisant d’autres boulots qui n’ont aucun rapport avec l’écriture et encore moins la télé ; une manière de rester en contact avec la réalité. Par contre, si la télé ne veut vraiment pas de moi et qu’elle me le fait vraiment comprendre, alors je m’en irai tête en haute, en me disant que j’aurais essayé. Après tout, on ne vit qu’une fois !
Sinon, merci au F.L.T pour son action et longue vie à la télé libérée !
Propos recueillis par Guigui le gentil
L’entretien est anonyme, car il existe de nombreuses listes noires de scénaristes à la télé et nous ne désirons pas que notre contacy se fasse griller...
1/ Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelle formation as-tu suivi pour devenir scénariste, et depuis quand exerces tu ce métier ?!
Comme beaucoup de scénaristes, je dirais que j’ai été formée sur le tas et que j’ai appris mon métier au jour le jour, comme on apprend le langage et l’écriture. Après sciences politiques et un troisième cycle, je me suis mise à écrire et à travailler comme comédienne. Puis, j’ai suivi une brève formation dans une école de scénariste. C’est là que je me suis mise à écrire pour la télévision, ce que je n’aurais jamais pensé faire. Le scénario fut donc une vocation liée au hasard, tout comme mon entrée dans ce métier. A l’époque, l’idée de devenir scénariste télé n’était pas une chose acquise, ni une fin en soi, la télévision étant alors jugée comme le parent pauvre du cinéma. Contrairement à aujourd’hui, où beaucoup de jeunes aspirent à travailler pour la télé, on ne le revendiquait pas haut et fort. En six ans, temps depuis lequel j’exerce ce métier, les mentalités ont évolué, ce qui est un bien.
2/ En gros sur quelles genre de choses as tu déjà travaillé ?
Téléfilms, courts-métrages, séries, documentaire, j’ai touché un peu à tous les formats, même si je me suis surtout spécialisée dans l’écriture de concepts de séries. Les unitaires étant de plus en plus difficiles à vendre et la demande de plus en plus restrictive, je n’ai pas eu trop le choix. J’ai répondu aux insatiables demandes des productions, toujours à la recherche de nouvelles séries.
3/ En « Théorie », comment le système fonctionne-t-il ? : quels rôles tiennent les différents acteurs dans le processus de création d’une fiction ? Au départ, une chaîne recherche une idée, un projet, mais ensuite ?...
En théorie, comme en pratique, le système fonctionne de différentes manières. Quand une chaîne cherche de nouveaux projets, elle le fait savoir aux différentes productions à qui elle précise sa demande. Unitaires, séries, type de format, genre, la chaîne dicte sa politique éditoriale aux productions. Puis celles-ci partent à le recherche de projets. Appels d’offre auprès des agents, des auteurs avec lesquels elles sont en relation...
Si ce ne sont pas les agents ou les productions qui transmettent l’information, ce sont les scénaristes eux-mêmes, par le bouche à oreille. Bref, dès qu’une chaîne cherche quelque chose, tout le milieu des scénaristes est au courant.
Mais il arrive aussi que les productions fassent leurs propres propositions aux chaînes, se lancent dans des projets personnels en essayant de les allécher, de leur donner de nouvelles envies. Mais, c’est je l’avoue, très rare...
Les scénaristes eux aussi, osent parfois prendre les devants en proposant des projets personnels que eux seuls ont initiés. Ils passent alors par l’intermédiaire d’une production qui défend leur projet. En dehors de ces pratiques courantes, il y a bien évidemment, tous les projets qui naissent en coulisse, c’est-à-dire au sein de la chaîne, par le copinage, la cooptation et souvent aussi, la magouille.
4/ Quelles sont les différences notables avec la production américaine ?
La différence majeure, c’est hélas et évidemment, l’argent...
Hélas, parce que la France n’a pas su investir dans le développement de projets, contrairement aux Etats-Unis... évidemment, parce qu’il faut de l’argent pour créer et développer des projets (souvent longs) dans de bonnes conditions. En France, on fait semblant d’ignorer que la phase initiale d’un projet, sa conception, coûte de l’argent alors qu’aux Etats-Unis, c’est la première chose dans laquelle on investisse. Aux U.S.A, un projet, ou plutôt son concept initial se paie. En France, il se négocie, se brade et il arrive souvent qu’il ne soit pas payé, surtout si le scénariste est débutant. Quant aux tarifs, ils ne sont évidemment pas les mêmes et le métier non plus. A moins d’être un scénariste confirmé, ou en voie de reconnaissance, les producteurs essaient en général de ne pas payer les concepts ou alors de miser petit en prenant des options ridicules. Bien sûr, il y a des exceptions. Quelques rares gentleman producteurs paient et investissent sans broncher. Je crains hélas qu’ils soient en voie de disparition.
5/ Penses-tu que ces différences soient la source de l’abîme qualitatif entre les fictions américaines et françaises ?
Hélas et une fois de plus hélas, je répondrais oui !
Le jour où les producteurs français se donneront les moyens d’investir dans le développement de projets, la qualité des fictions augmentera. Bien évidemment, je parle essentiellement de télé, mais cela vaut aussi pour le cinéma. Le métier de scénariste n’étant pas reconnu dans notre pays, il va de soi que le travail des scénaristes n’est pas estimé à son juste prix. Or, comme je le disais plus haut - et je ne ferai que me répéter -, écrire coûte du temps et donc de l’argent. A moins d’être rentier, je connais peu de gens capables d’exercer ce beau et dur métier bénévolement. En France, hélas, les producteurs se posent assez rarement la question.
Aux Etats-Unis, le scénariste est plus respecté, plus défendu et donc plus crédible. Son travail a un prix que le producteur discute moins ou alors à une autre échelle. Aux Etats-Unis, le producteur est un créateur, un « parieur » qui ose miser, en France, c’est plus souvent un gestionnaire.
6/ Selon toi, en France les chaînes et les producteurs télé considéraient-ils, les décennies passées, les séries TV comme le parent pauvre du cinéma, étant simplement un moyen de remplir les grilles de programmes rien de plus ?
Les producteurs et les chaînes n’ont pas toujours considéré la télévision comme le parent pauvre du cinéma. Au départ, il s’agissait tout simplement de deux modes d’expression totalement différents et absolument incomparables. La télévision faisait partie du domaine du service, du divertissement alors que le cinéma faisait partie de l’art. Si la télévision avait été considérée comme un art, peut-être en aurait-on fait le huitième art, ce qui n’a pas été le cas. Je dirais donc qu’il s’agit de deux choses totalement différentes, même si elles créent, à la base, le même produit : de la fiction.
Je pense que le problème est plus complexe : pour se défendre de leur mépris grandissant pour la télé, les producteurs et les chaînes, jaloux du cinéma ont décidé de jouer les victimes en s’autoproclamant « parent pauvre du cinéma », une manière de se laver les mains et d’excuser leur médiocrité, leur manque de motivation...
De plus, je dirais que si la télé est effectivement devenue le parent pauvre du cinéma, ce parent s’est lui-même terriblement appauvri... La télé étant la mère nourricière du cinéma (c’est elle qui le fait vivre et le finance...), je dirais même qu’elle en est le riche tuteur... Pour ce qui est des séries télé, il est vrai qu’elles répondent de plus en plus au besoin basique du diffuseur de remplir ses grilles et d’y caser un maximum de publicités, bref, d’en tirer un maximum de profit.
7/ Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
C’est pire encore... La télévision et tout le paysage audiovisuel sont en plein bouleversement. Avec la venue de la real T.V, on découvre que la télévision peut prendre ses distances par rapport à la fiction, voire s’en passer. Et puis, il y a la multiplication des chaînes, le câble. La télévision n’est plus le monopole de quelques chaînes. Elle appartient à tout le monde.
8/ En France en règle générale, les séries ne sont donc pas portées par le moindre soucis créatif ?
N’étant ni diffuseur, ni producteur, j’ignore ce qui leur passe dans leur tête lorsqu’ils décident de produire une série. Tout ce que je peux dire, c’est que s’ils ont eu à un moment ou un autre, un souci créatif, la question purement basique de l’audimat et de la rentabilité a vite dû le balayer...
Quand on regarde le paysage audiovisuel français, surtout en ce qui concerne les séries, on a effectivement le sentiment que le désir de création y est absent ou en tous les cas anesthésié. Mais je ne veux pas généraliser, ni jouer les mauvaises langues, car je sais qu’il existe des producteurs motivés, audacieux, mais qui hélas, n’arrivent jamais à faire passer les séries dont ils ont rêvé et où la création, voire l’innovation était bel et bien leur premier souci.
Pour conclure sur cette question, je dirais donc que le souci créatif est généralement muselé dès qu’il se manifeste, ou alors mis au rancart. De plus, quand on sait que ça coûte moins cher à un diffuseur d’acheter une série étrangère, en l’occurrence américaine, que d’investir dans une série française, on devine qu’ils soient de moins en moins motivés.
9/ Selon toi, quelles sont les séries françaises qui valent réellement le coup et qui ne sont pas de simples produits de consommation daubesques ?
Bien que je ne sois pas fan des séries françaises (j’avoue que j’ai du mal à m’y coller...), je ne vais pas pour autant casser le travail des autres scénaristes et encore moins le juger en termes de valeur. Bien ou moyen, mauvais, ou désastreux... je préférerais plutôt parler de tentatives. Monter une série, la lancer est, la plupart du temps un vrai chemin de croix, tant pour le scénariste que pour le producteur, surtout si l’on sait que le produit final est souvent très éloigné du produit initial. Donc, si je devais parler de séries qui valent le coup, ou en tous les cas sortent de l’ordinaire (sans dire qu’elles sont bien ou géniales...), je citerais Caméra café. Bien que d’un format court, cette série est un exemple de projet né d’un réel désir de création. Il a fallu attendre sept ans avant qu’elle puisse voir le jour. Dans un autre registre, il y a « avocats et associés », peut-être aussi Police district (même si je n’en ai vu que quelques épisodes, donc difficile de juger... et que les séries policières françaises, c’est carrément pas ma tasse de thé). Il y a eu aussi des tentatives avec Brigade criminelle et Crimes en série, mais là aussi, je n’ai pas assez suivi l’histoire...
Pour ce qui est de l’avenir, j’ai l’impression qu’il y a des choses pas mal qui se trament, mais j’attends de voir le résultat. En tous les cas, cela a un peu bougé sur quelques chaînes et s’ils vont jusqu’au bout de leur désir, il devrait y avoir des choses plus intéressantes les prochaines années. Reste à voir comment les projets seront triturés et recadrés jusque là. Tout dépendra une fois de plus de politique interne des chaînes, d’histoires de pouvoir et d’ego.
10/ Mais, ces mêmes séries peuvent-elles tout de même égaler les séries américaines ?
Ah, nous y voilà !... Les séries américaines... Je savais bien qu’elles reviendraient sur le tapis. Le problème, avec les séries américaines, c’est qu’on ne cesse d’en faire un objet de comparaison, alors que la plupart du temps, elles sont incomparables. Même si elles sont souvent louables, à tous les points de vue, il ne faut pas oublier que le culture française n’est pas la culture américaine, que nous ne sommes pas des Américains, que nous vivons et pensons différemment et que, forcément, on ne vas dire et encore moins écrire les mêmes choses. Pourquoi vouloir faire pareil ou se dire que c’est regrettable d’être si différent ?...
Je pense qu’il n’y a pas à égaler les séries américaines ou encore moins à complexer parce qu’on n’arrive pas à faire la même chose...
Primo pour des raisons culturelles (comme je viens de le dire), secundo pour des raisons financières. Les séries françaises sont faîtes avec dix fois moins de moyens, donc forcément, le résultat sera différent. Ceci étant dit, il y a des séries françaises, qui d’un point de vue qualitatif, ne sont pas loin de la qualité, made in U.S.A. Le problème serait-il donc essentiellement culturel et pas que financier ?...
11/ Que faudrait-il faire pour que cela soit le cas ?
Pour que nos séries égalent les séries américaines, disons celles qui ont du succès ici, il faudrait des producteurs plus audacieux, des chaînes moins frileuses, une plus grande compétence et ouverture d’esprit de la part des décideurs, bref, il faudrait être moins consensuel et éviter la politique du ventre mou, celle qui domine majoritairement en France, et ce, pas qu’à la télé...
Il faudrait aussi plus de moyens, mais ça, c’est une autre histoire. Le reste est une question d’histoire et de culture. Les scénaristes américains ont une culture télévisuelle plus forte, plus ancrée que la nôtre, parce que la culture télé américaine est plus ancienne et qu’elle a eu le temps de s’installer, de s’éprouver. Peut-être qu’il nous faut encore un peu de temps avant de mûrir ou de comprendre que la télé n’est pas un sous-produit mais qu’elle pourrait devenir une culture en soi.
12/ Explique-nous pourquoi il est si dur pour un scénariste d’écrire pour la télé française et pourquoi il est encore plus dur de créer une série de qualité ?
Je crois que la réponse à cette question se trouve dans toutes les réponses que j’ai données plus haut. Les diffuseurs sont frileux, les producteurs craintifs, souvent près de leurs sous. Sans compter le manque de talent, d’audace, le manque de folie et d’anarchie, dus à la technocratisation de tout ce petit milieu. En France, la télé est régie par les « enfants » des grandes écoles et toute leur sacro-sainte famille, artistiquement incestueuse. Du coup, ça donne rarement des choses originales, mais plutôt des produits lisses, bien calibrés, en voie de dégénérescence.
13/ Des exemples de ton expérience personnelle ?
Là, j’ai du mal à répondre. Bien que je sois une jeune scénariste, la liste est longue et les exemples gratinés. En ce qui concerne les concepts et pré-bibles de séries que j’ai écrites et dont la plupart ont été optionnées (c’est- achetées par des producteurs pour être présentées aux chaînes), aucune n’a jamais été définitivement retenue par une chaîne. Talentueuses, soi-disant, mais toujours trop originales ou trop novatrices, pas assez françaises. Quoi qu’il en soit, ce n’était jamais le bon moment.
Je me souviens d’une série qui avait beaucoup plu à Canal plus international et à la plupart des décideurs de la chaîne, mais qui fut bloquée par un directeur de la fiction interne, lequel avait préféré mettre en avant une série écrite par ses potes, des auteurs de Canal. Leur série fut donc choisie à la place de la mienne, de l’argent fut investi pour son développement, mais cela ne donna jamais rien. Il paraît que le premier épisode était si pitoyable qu’ils décidèrent de tout arrêter...
Ce genre d’exemples de gâchis est courant à la télé. Les chaînes s’amusent, se font plaisir, renvoient l’ascenseur à des potes producteurs ou auteurs, puis plantent tout comme si de rien n’était. Pendant ce temps, ils bousillent des auteurs, passent à côté de certains, bref, ne font pas leur travail sérieusement.
Mais il y a mieux encore...
Quand un changement de direction a lieu dans une chaîne, au niveau de la fiction par exemple, tout ce qui avait été produit et mis en route par l’équipe précédente est, la plupart du temps, balayé. J’ai un ami qui avait quatre téléfilms signés avec France deux et qui, au moment de l’arrivée d’un nouveau directeur de la fiction, a vu tous ses projets mis à la poubelle en l’espace de cinq minutes. Les films allaient se tourner, tout était prêt. Parmi ses projets, il y avait un film magnifique qui lui avait demandé des années de travail. Heureusement pour lui, ce film va être réalisé au cinéma, et si tout va bien, ce sera un des projets cinéma les plus audacieux des années à venir.
Bref, un exemple qui montre que la télé tue artistiquement plus souvent qu’elle ne découvre ou promeut. La télé n’est certes pas une dénicheuse de talents, passe encore, mais qu’elle soit une fossoyeuse est plus grave, surtout lorsqu’il s’agit d’une chaîne publique.
Dernier exemple : M.6.
Il y a peu de temps (je ne donnerai pas de dates), j’ai participé à la co-écriture d’une série qui avait été commandée par M.6. Les délais d’écriture étaient très courts et l’argent prévu pour la production et le tournage du premier épisode, ridicule. Bref, nous savions que notre série serait « cheap » et qu’il faudrait faire avec, dans un temps record. Mais nous avions réussi à faire quelque chose de sympathique et d’original. Pour le premier épisode, la chaîne nous avait donné quelque chose comme deux semaines pour l’écriture, ce qui est aberrant. Comment faire du bon travail dans ces conditions ?...
C’est possible en ne dormant plus, en devenant fou, mais bon, c’est risqué. Bref, l’épisode écrit, ils ont commencé à ne plus donner signe de vie, puis à prétendre qu’il fallait faire de légères rectifications pour lesquelles ils nous adjoindraient des coachs, des gens de chez eux, bien évidemment.
Et bien devinez ce qui s’est passé ?
Les fameux consultants sont arrivés avec un tout autre projet, ont rasé le concept initial, écrit un épisode en dix jours et hop, vogue la galère. L’épisode n’a jamais été tourné, tout a été abandonné. Mais le pire est que M.6 avait lancé un appel d’offre quelques mois plus tôt pour ce même style de série et que des centaines de producteurs et d’auteurs ont joué le jeu, rendant des projets, alors que la chaîne savait déjà qu’elle allait prendre celui d’une production amie.
Génial, non ?
Le faux appels d’offre sont fréquents et ceux qui tombent dans le piège nombreux. S’il est donc si difficile d’écrire pour la télé française, c’est donc en partie à cause de son corporatisme viscéral, tendance que l’on retrouve dans beaucoup d’autres domaines de la société française. Pour ma part, j’associe cela à un manque de sérieux, bref, un manque de professionnalisme de la part de gens qui ne cessent de donner des leçons, prenant pour exemple modèle américain, qu’il citent à toutes les sauces.
14/ Penses tu que cela va changer un jour ?
Je ne suis pas médium et n’essaierai pas de l’être. Je souhaite juste que les choses iront dans un sens plus positif et que toute la politique télévisuelle actuelle, extrêmement négative, ne va pas tuer dans l’œuf les talents à venir de cette profession. En fait, j’espère que toute cette merde va faire émerger des mouvements de résistance et de contestation et qu’un vent d’anarchie, un typhon même, va tout balayer. Ensuite, on pourra peut-être repartir à zéro... Mais si je me fie à ce bon vieux Samuel (Beckett of course...) pour qui « le pire est toujours sûr », je dirais qu’on est mal barré. Suffit de regarder T.F.1 ou M.6 un samedi soir...
15/ Trop tard ?... Le Web peut-il reprendre ça à son avantage, des Webséries existant déjà au moins sous forme de scénarios (http://www.webseries.fr.st/ par exemple) ?
Il n’est jamais trop tard. Il y a toujours quelque chose à faire pour changer les choses. Le danger est que le public devient de plus en plus passif et qu’il s’habitue à ce qu’on lui sert. Quand à ce que le Web reprenne cela à son avantage, je pense que c’est un procédé encore un peu trop marginal. Les téléwebeurs ou mordus de la télé via Web sont encore rares. Regarder la télé sur un écran d’ordinateur n’est ni une chose évidente, ni un acte spontané. Pour des initiés, peut-être, mais pour la majeure partie de la population, c’est inimaginable. Pour les générations à venir, peut-être mais pour les dix, vingt prochaines années, j’ai des doutes. Mais sait-on ?...
Les choses évoluent souvent plus vite qu’on ne le pense. Avec des écrans d’ordinateurs adaptés, plus « confortables », pourquoi pas ? Cette télé là, en tous les cas, reste à construire et à développer.
16/ Et que penses-tu des mouvements de fans et de téléspectateurs éclairés comme l’association du FLT qui veulent une télévision de qualité et qui agissent en ce sens ? Est-ce suffisant ?
Je ne connaissais pas l’existence du F.L.T avant quelques mois, pour la simple raison que je ne suis pas assez branchée Net... Mea culpa ! Quoi qu’il en soit, je trouve ce front nécessaire et l’idée de savoir qu’il n’y a pas que les scénaristes ou certains producteurs qui en ont marre et qui revendiquent une autre télé, une télé de qualité, me rassure. Savoir qu’il y a aussi, derrière le petit écran, des spectateurs actifs et responsables, ça donne de l’espoir. Ce qu’il faudrait, maintenant, c’est unir tous ces désirs, toutes ces énergies pour créer un front commun. Car l’isolement est une mauvaise chose et dans un métier où tout est morcelé (si il y devait y avoir une devise propre à la télé, c’est « diviser pour mieux régner »), l’union serait la meilleure des armes. Les scénaristes devraient se joindre à certains producteurs, lesquels se joindraient aux téléspectateurs. Ainsi, on devrait pouvoir arriver à quelque chose, si ce n’est déplacer l’iceberg de quelques centimètres. Mais peut-être faudrait-il mieux descendre dans la rue, juste pour dire stop ou alors attention, un jour plus personne ne regardera votre télé de merde !
17/ Comment expliques-tu l’hypocrisie qui consiste à dire que les français sont trop bêtes pour comprendre et suivre des scénarios complexes, alors que les séries américaines qui en possèdent pour la plupart ont tant de succès chez nous ?
Dans les chaînes, beaucoup de décisionnaires prétendent, il est vrai, savoir ce que le public veut, qui il est et, surtout, parlent en son nom. On les entend alors, affirmer, sans la moindre hésitation, que la ménagère entre 35 et 50 ans aime ceci ou cela, déteste telle ou telle chose... Bref, ils ont le sentiment de tout savoir d’elle.
Est-ce de l’hypocrisie ?... Je crois que c’est pire, c’est de l’ignorance. Ces gens là sont généralement coupés du public, de la réalité et agissent comme des gestionnaires, incapables de se forger la moindre opinion sans chiffres ou courbes médiamétriques. Or ces courbes, comme les sondages, ne peuvent être, je le pense, le reflet complet de la société française. Mais les décisionnaires télé n’étant ni des artistes, ni des intuitifs, elles sont leur seule référence viable. Une fois de plus, on en revient au problème de la technocratisation dans les chaînes de télé françaises et aussi du manque de prise de risque. En résumé, il leur est plus facile de justifier leurs choix en prétendant être les porte-parole d’un public idiot que de reconnaître qu’ils n’ont pas la moindre jugeote artistique.
Quant à dire que les scénarii américains sont plus complexes que les nôtres, je ne suis pas d’accord. Au contraire, les scénarii américains sont si calibrés si techniques qu’ils sont pour la plupart prévisibles et très facilement reproductibles. D’un point de vue analytiques, ils sont souvent beaucoup plus simples à analyser que les Français. Plutôt que de parler de complexité, je préfèrerais parler d’originalité dans les contextes, les thèmes, d’audace et de diversité. Tout cela nous amène donc, une fois de plus au problème de la politique éditoriale des chaînes. Les Chaînes Françaises brident leurs auteurs, alors que les chaînes américaines les stimulent, les poussent à l’originalité.
Pour ce qui est du succès des séries américaines, il est relatif. Elles n’ont pas toutes du succès, celles qui cartonnent ne représentant (hormis Urgences par exemple...) souvent qu’un infime pourcentage de spectateurs en France. N’oublions pas que beaucoup de séries culte sont diffusées sur le câble et qu’elles ne touchent donc qu’une faible part de spectateurs, souvent des téléphiles avisés. Ally Mac Beal, Sex and the city, tout comme Soprano ou Six feet under ne sont pas des cartons en termes d’audience, comparés à d’autres chaînes. Par contre, ce sont des succès internes pour les chaînes qui ont diffusé ces séries.
Je ne sais pas ce que ces séries auraient donné sur des chaînes plus importantes, mais je suppose qu’elles n’auraient pas fait de bide. Aussi, le terme de succès est à nuancer. Ce qui est regrettable, c’est que des chaînes importantes, de grandes chaînes, n’aient pas eu l’envie, ni le cran de passer ces séries et de parier sur leur succès.
18/ Succès malgré des programmations chaotiques des séries américaines au profit de séries made in France et ce, sans aucune considération au niveau du contenu qualitatif ?
Même si j’aime les séries américaines et que j’ai souvent du mal à suivre les séries françaises, je n’ignore pas que les chaînes françaises ont certains quotas de production nationale et que, même si elles en avaient l’envie, elles ne pourraient pas privilégier des séries américaines, les préférant à des séries françaises et en outre à des heures de Prime Time. N’oublions pas que nos chaînes doivent favoriser les productions françaises et que ça, on ne peut pas complètement leur en vouloir. Ce qui est à regretter, c’est, une fois de plus, la qualité des séries françaises choisies. Qualitativement, c’est clair qu’il y a un problème et que beaucoup de bonnes séries américaines (comme Friends et bien d’autres...), passées à des heures peu avantageuses, mériteraient une autre considération. Je dirais donc que le problème n’est pas le mauvais traitement qu’on fait subir aux séries américaines, mais plutôt l’absence de prise de position en ce qui concerne la qualité des séries « bleu, blanc rouge ».
19/ Quelles sont tes séries de références, cultes, celles que tu aimes suivre ?
Shame on me !... Je regarde de moins en moins la télévision, mais j’avoue aimé ou avoir aimé Six feet under, Sex and the city, Ally Mac Beal... Etant fan de sitcoms, j’ai évidemment adoré Friends, Father Ted, Seinfeld. J’aimais aussi Spin city et Absolutely Fabulous, Dream on, même si ça commence à dater. Dans les séries que j’aime moins, mais que je trouve incroyablement bien fichues, il y a les Soprano, Urgences...Ah j’oubliais !... Il y a aussi Alias qui est une très bonne série. Sinon, en animation, il y avait les Simpsons, Southpark, mais aussi Funky cops. C’est vraiment un dessin animé d’une grande qualité, un véritable ovni dans la création française. L’auteur, il faut le dire est un fan de séries américaines des années 70 et 80.
20/ Y a t’il déjà des producteurs qui essayent de changer les choses dans le bon sens ?
Bien sûr !... Je peux même dire qu’il y en a pas mal, des jeunes et des moins jeunes. Le problème, c’est qu’ils n’arrivent pas à faire bouger les chaînes et qu’au bout d’un certain temps, ils fatiguent. S’ils ne veulent pas fermer boutique ou investir à perte dans le développement de projets qui ne verront jamais le jour, ils sont obligés de s’aligner au désir des chaînes. J’en connais qui ont investi dans des pilotes, ont même mis de l’argent personnel dans des séries de qualité, franchement originales, et ils se sont faits poliment refoulés.
Pour ne pas leur dire qu’on ne voulait pas de leur bébé, on leur a dit « ah, désolé, mais on ne sait pas dans quelle case on pourrait mettre votre série !... » Voilà un petit exemple du manque de curiosité et d’audace des décisionnaires télé.
21/ Et à l’inverse, ceux qui veulent que rien ne change ? Des noms !!!
Là, il n’est pas nécessaire de balancer. Il suffit de regarder la plupart des séries ringardes et de jeter un œil aux noms des productions qui les ont engendrées. Ce sont pour la plupart de grosses pieuvres télé, souvent issues de grands groupes, bref, des productions qui donnent dans le tout et le rien. Le problème, c’est qu’au sein de celles qui ne veulent pas que ça bouge, ou plutôt qui ne font pas en sorte que ça bouge, il y a aussi des producteurs qui rêveraient que ça change, mais qui ne peuvent rien faire tout seul. J’en connais qui, au sein de grands groupes on tenté de bousculer les choses et qui se sont faits rétrogradés, voire virés par leur big boss.
Il est donc difficile, voire arbitraire de généraliser, de dire qu’il y a ceux qui sont pour le changement et ceux qui sont contre... même si la tendance est plutôt mollassonne dans l’ensemble. Si vous voulez vraiment des noms, je dirais qu’Expand, Telfrance, Téléimages et j’en passe, ne sont pas vraiment les rois du changement, mais il y en a tellement d’autres...
22/ Que penses-tu de la « TV réalité » et de ses dangers pour la production de fictions en général ?
La télé réalité, c’est le mal audiovisuel du 21ème siècle, la récolte de ce que des producteurs peu scrupuleux ont semé pour aller jusqu’au bout d’un processus de mercantilisation de la télévision. D’une manière plus générale, il s’agit du reflet de notre société, dont le malaise culturel et la pauvreté ont atteint leur expression absolue. L’argent remplace la création, laquelle n’a plus de sens d’un point de vue économique.
Symboliquement, la télé réalité représente le produit contre l’œuvre, l’authenticité contre l’artifice. La télévision ayant de plus en plus besoin de produits à faible coût, rapidement consommables, donc éphémères, elle a créé la real T.V qui est une merveilleuse pompe à fric. Dans un siècle où les gens ont de moins envie de réfléchir, mais plutôt de se divertir, le plus simplement possible, ce genre d’émission est l’idéal.
On prend quelques types, on les balance dans une baraque pendant quelques mois, on les regarde juste vivre ou alors on prétend vouloir dénicher parmi eux, de futurs talents, et hop, la machine est lancée... Ça coûte que dalle en termes de production et ça rapporte gros. Entre les pubs passées lors de l’émission (les espaces publicitaires un soir de Prime Time sont payés une fortune), les produits dérivés (fringues, C.D etc...), les chaînes qui donnent dans la télé poubelle, se font des Couilles en or (pour les âmes pas trop sensibles, voire la traduction en police Wingdings...).
Bref, la télévision a trouvé le produit idéal à fabriquer, à côté des grosses cavaleries à la Napoléon and co qui rapportent pas mal, elles aussi. Par contre, c’est un danger réel pour la production fiction qui, comparée à la Real T.V, risque d’être minimisée, voire marginalisée. Certains producteurs désirant aller au moins cher et au plus efficace en termes d’audimat, choisiront cette solution de facilité. Heureusement, il n’y a pas que des pourris sur cette terre et il faut souhaiter que le reste de la profession (producteurs et scénaristes compris) essaiera de faire son métier avec intégrité et professionnalisme.
23/ Et de ses dangers pour le public ?
Le client est roi et, de ce point de vue là, le spectateur fait la télé.
Si des millions de Français se branchent sur Loftstory, sur L’île de la tentation ou sur Star Academy, c’est que c’est ce qu’ils ont envie de regarder. Après tout, il sont majeurs et vaccinés !...
Je pense qu’ils regardent non seulement parce qu’il n’y rien d’autre sur les autres chaînes à la même heure, mais surtout parce que ça les divertit. Au delà de l’effet de curiosité ou de voyeurisme suscité au début, lorsque ces émissions ont débuté, il y a un effet d’accoutumance, de routine. Le public, par l’effet de médiatisation et de starisation des cobayes (j’entends par cobayes les tordus qui acceptent de se laisser zieuter vingt quatre heures sur vingt quatre...) s’intéresse, voire s’attache à eux. Qu’il le veuille ou non, on lui fait croire que cela fait partie de son quotidien, que cela le meuble, que ça a de l’intérêt et il s’habitue. C’est surtout valable pour les ados qui sont quand même le public idéal de ce genre d’émissions. Au delà de ce phénomène routinier d’accoutumance, je pense que le public va vite en avoir ras le bol de mater Monsieur tout le monde s’emmerder dans son bocal et que peu à peu, il va décrocher.
Dans la plupart des pays qui ont fait de la real T.V, c’est ce qui s’est passé. Au bout de deux saisons, maximum trois, le public se lassait, boudait ou trouvait cela carrément ringard. L’exception, ce sont les émissions destinées à découvrir des talents, dans le style Star Academy ou Popstars. Comme c’est la découverte d’un quidam qui est en jeu, le public qui rêve lui aussi de paillettes et de gloire, s’identifie à lui, et, en suivant ses premiers pas et sa carrière, a le sentiment de créer sa star, puis de pouvoir se projeter dans sa vie, dans ses succès ou ses échecs. Comme ce type d’émission touche à une corde plus sensible que le voyeurisme, à savoir l’aspiration à l’argent, à la réussite, et à la performance, elle a des chances de durer plus longtemps, voire de définitivement s’installer sur les chaînes.
Pour en revenir aux dangers de la real T.V, je dirais que le pire des dangers, hormis l’abrutissement du public est sa chosification.
24/ Malgré le système castrateur de création de fictions de qualité, as-tu encore la passion ? Vas tu essayer de continuer ?
J’ai toujours écrit (au départ sans penser devenir scénariste), j’espère ne jamais arrêter. Et même si je suis arrivée à la télévision par hasard, je crois que je continuerai, que j’essaierai de lutter encore quelques années. Je suis peut-être un peu désenchantée, c’est sûr, mais j’ai toujours autant de passion qu’il y a six ans, lorsque j’ai commencé. Alors il faut espérer que ma patience et ma persévérance paieront et qu’une de mes séries verra le jour. Il faut espérer qu’elle n’aura pas trop été esquintée entre temps et qu’elle fera d’heureux spectateurs.
En tous les cas, le jour où je n’aurai plus le courage de continuer, c’est-à-dire celui où je n’aurai même plus envie de me regarder dans la glace, alors je laisserai tomber. En attendant, j’essaie de tenir le coup en écrivant d’autres choses (nouvelles, roman etc...) et parfois en faisant d’autres boulots qui n’ont aucun rapport avec l’écriture et encore moins la télé ; une manière de rester en contact avec la réalité. Par contre, si la télé ne veut vraiment pas de moi et qu’elle me le fait vraiment comprendre, alors je m’en irai tête en haute, en me disant que j’aurais essayé. Après tout, on ne vit qu’une fois !
Sinon, merci au F.L.T pour son action et longue vie à la télé libérée !
Propos recueillis par Guigui le gentil