C DANS LES VIEUX POTS — Destination Danger (Danger Man) • Episode 2.02
Par Arnaud J. Fleischman • 29 mars 2007
Nous avons tous une série culte. Au dela de cela nous avons tous, dans notre panthéon des séries, une qui tient une place particulière...

Si l’on évoque le nom de Patrick McGoohan devant un seriephile, il lui viendra immédiatement à l’esprit des images du « Prisonnier », série emblématique, à la richesse thématique, visuelle et symbolique telle que 40 ans après sa diffusion elle suscite encore l’intérêt, la curiosité et les analyses. Mais avant d’être indissociable de son chef-d’oeuvre télévisionnaire, Patrick McGoohan fut une vraie vedette populaire du petit écran grâce à la série « Destination Danger ».

Agent au service de l’OTAN, John Drake est envoyé en mission aux quatre coins du monde. Aventures exotiques, jolies filles, et bagarres échevelées sont au programme de cette série qui fit les beaux jours de ITV de 60 à 66.

Nous sommes en 1960. Le monde vit encore dans la guerre froide. Les stigmates de la Seconde Guerre commencent juste à disparaître, mais l’insouciance qui sera la caractéristique des sixties n’est pas encore de mise. Dans ce climat particulier, le personnage d’espion international au service de l’OTAN incarné par McGoohan est à des années lumières de ce que sera James Bond quelques années plus tard. Car nous ne sommes pas devant une série d’espionnage post-bondesque, surfant sur le succès cinématographique du personnage crée par Ian Flemming. Sean Connery n’a pas encore enfilé les smokings de l’agent 007, popularisé le Martiny Dry, et abusé des gadgets inventés par Q. « Danger Man » est une série réaliste sur le monde de l’espionnage, plaçant son personnage principal dans situations certes périlleuses, mais toujours ancrées dans la réalité, la vraisemblance, la contemporalité. Il ne s’agit jamais de sauver le Monde d’un mégalomane ayant une soif incontrôlable de pouvoir, mais de démanteler un réseau de faux monnayeurs, de renverser un dictateur, de découvrir un traître. John Drake est en ce sens plus espion que ne le sera jamais Bond. Il utilise les techniques « classiques », infiltrations, camouflages, déguisements, interceptions d’information. Drake puise plus dans les romans de John LeCarré que dans ceux de Flemming.
Les seuls points communs entre Bond et Crake sont la nationalité britannique, le fait qu’il agisse en solitaire, et dans la seconde partie de la série qu’il travaille au service de Sa Majesté. Drake ne lutte pas pour défendre les intérêts du monde occidental contre la menace rouge, le péril jaune ou n’importe quel autre danger coloré, même s’il agit pour l’OTAN ou pour la Reine, ce qui prime pour lui c’est le « Bien ». Drake est guidé par son sens moral, ce qui le place face à des interrogations, des doutes, des dilemmes. Contrairement à Bond, il n’est pas un personnage monolithique, sur de lui et de sa légitimité. Cet aspect donne à la série une tonalité sombre, qui est contrebalancée par des pointes d’humour forcement britannique, distillées avec intelligences par les scénaristes.

« Destination Danger » offre aussi, surtout, au spectateur des histoires d’une qualité constante. Que ce soit dans la première période de la série où le format des épisodes de 30 minutes donne des histoires très rythmées, sans temps mort ou dans la seconde partie, ou en augmentant la durée à 50 minutes, les scénarii loin de tirer à la ligne, s’étoffent, se complexifient, se densifient, et font de chaque épisode un petit film noir.

En dépit des qualités intrinsèques de la série, ce qui a fait rentrer « Destination Danger » dans les oeuvres marquantes et incontournables de la fiction télévisuelle c’est bien évidemment son interprète principal : Patrick McGoohan. Ce dernier incarne John Drake, lui donne toute son épaisseur, son charme, sa diction si particulière. Bien avant d’être l’immortel Nº 6, McGoohan fut un John Drake exceptionnel.
Si « Destination Danger » porte en germe certaines idées, situations qui seront par al suite développée dans « Le Prisonnier » (c’est notamment ne tournant un épisode à Portmeirion que McGoohan découvrira ce qui sera son Village), je ne sauterais pas directement à la conclusion Drake=Nº 6. Certes les deux personnages sont remarquablement interprétés par McGoohan (habités serait plus exact), mais de nombreuses différences existent pour aller contre cette idée. Drake est certes un solitaire, mais il n’a pas le côté asocial du nº 6. Drake manie plus facilement l’humour que le Nº 6. Et surtout Drake s’il remet en question l’autorité de ses supérieurs reste ouvert, et pas buté comme l’est très souvent le Nº 6. Je sais que cet avis n’est pas partagé par tous. Le débat depuis des années est ouvert.

« Destination Danger » est sans doute la série d’espionnage la plus réussie de l’histoire de la télévision, sinon la plus réaliste. D’une qualité narrative et formelle remarquable, portée par une interprétation solide.
À mes yeux, elle ne trouve d’équivalent dans la profondeur des personnages, la diversité des situations et la complexité des histoires qu’avec « [MI-5] ».