DISPARITION - Patrick McGoohan s’est évadé du Village
Notre hommaga
Par Amrith • 15 janvier 2009
Il était celui que le Village aux aguets n’aurait laissé partir pour rien au monde.
Mais malgré toute notre vigilance, cette fois le N°6 nous a bel et bien faussé compagnie...

- N°2, nous vous écoutons à présent.

Messieurs, je vous l’assure, ce n’est pas faute de l’avoir surveillé de près. Caméras rotoscopiques implantées dans les lampadaires en bordure, intrusions quotidiennes dans ses songes subversifs, Rôdeurs immanquablement postés à chaque coin de rue, batterie d’hélicoptères survolant la plage en permanence, dois-je énumérer la liste dans les moindres détails pour me disculper ? Je le certifie devant ce tribunal souverain mais surtout souterrain, mes hommes et moi-même avions engagé tous les moyens nécessaires à la prolongation de la captivité du N°6. Et croyez-moi, harassé, meurtri, blasé par toutes les défaites et désillusions successives que nous lui infligions sans ménagement depuis 1967, il était sur le point d’abdiquer. Là, maintenant.

- Nous avons du mal à le croire. C’est ainsi que vous vous dédouanez ?

Je ne plaisante pas. Tous nos systèmes de contrôle l’affirment, quelques heures seulement nous séparaient du moment où le N°6 allait enfin renoncer à ses vélleités individualistes et rentrer dans le rang de ceux qui, à notre image, se flattent d’avoir un numéro épinglé au torse. Qua-ran-te années d’efforts messieurs, enfin récompensées. Nous avions anticipé l’imminence de sa reddition avec tant de certitude que la place du Village était d’ores et déjà prête à entériner sa capitula... son intégration, en organisant un grand bal populaire sur l’échiquier central – filmé, bien entendu. Tenez, hier soir encore à 21h tapante, nos micros suspendus derrière sa commode attestaient qu’il était bien chez lui, en robe de chambre et pantoufles : un progrès hors-du-commun si l’on se souvient qu’il dédiait autrefois cet horaire à monter des radeaux qui prenaient l’eau. Bref, nous le pensions formellement, intégralement, finalement résigné, abattu. Et voici que l’on m’apprend ce matin qu’il a réussi à partir ni vu ni connu !

- Justement, et c’est la raison pour laquelle nous vous avons convoqué. Nous nous sommes adressés à l’un de ses vieux amis, lieutenant à Los Angeles, pour tenter de le localiser, sans résultat concret. Alors, où est-il ?

Vous m’embarassez à vrai dire. En plus, notre fugitif est un nomade né ! On l’a vu à New-York, en Irlande, en Suisse... Tout ce que je peux affirmer moi en l’état, c’est qu’il a su déjouer une dernière fois nos mécanismes de surveillance les plus retors. Bon, pour être honnête, dans mon dôme, on le savait depuis longtemps capable de malice. Plus d’une fois, il a refusé le DVD de James Bond que l’une de nos complices hypnotisées lui tendait amicalement – il subodorait les images subliminales que nous y avions glissées. Mais à ce point... Enfin, pour reprendre votre question, est-ce qu’il est parti faire le tour du monde en grand-bi, est-ce qu’il a rejoint une destination dangereuse, messieurs je donne ma langue à Big Bro... Big Ben. La meilleure solution pour offrir une lisibilité à ce tragique incident serait encore de consulter le Général. On l’a réparé au fait ?

- Nous recevons à l’instant une requête du N°1, qui plaide en faveur de votre incarcération. Tout ceci est bien naturel dans le fond, si vos prédécesseurs avaient échoué à reconvertir le N°6, ils n’avaient jamais commis l’erreur béante de laisser la porte ouverte...

Une seconde, attendez ! Je comprends complètement la fureur du chef. Vous imaginez quoi, je suis le premier à évaluer l’étendue des dégâts. Que puis-je faire de plus ? Vous démontrer par A, B et C que je n’y suis pour rien ? J’en appelle au coeur brave du N°1. Comme vous, je suis navré, ou plutôt scandalisé, par la perte définitive de renseignements que nous savions cruciaux. D’après nos recherches par psycho-scanners interposés, ils concernaient une arme abominable et nocive, une sorte de méthodologie pratique pour une fiction de qualité. Fort heureusement, les données doivent être corsées à décoder puisqu’aucune nation européenne ne semble en avoir fait usage en quarante ans... Mais, pendant que nous y sommes, plutôt que de nous lamenter, ne pouvons-nous pas regarder le bon côté des choses ?

- ... le bon côté des choses, c’est ça ?

Mais oui ! Maintenant que le N°6 n’est plus parmi nous, le grain de sable qui coinçait dans les rouages, ce petit rien qui résistait à la technocratie, à la pensée unique, s’évapore de fait ! Qui peut nous remettre en cause aujourd’hui ? Messieurs, je ne conteste pas la valeur des informations sur lesquelles nous devons tirer un trait, mais tout de même, la machine est de nouveau en marche, et tout le monde devra le savoir ! Un peu de Télé-Réalité par-ci, un peu de "La Réforme" par-là, beaucoup de messages lénifiants et tout redeviendra comme avant – et qui sait, peut-être plus encore. Ensemble, vivre en harmonie selon les règles de l’uniformisation consentante. C’est une promesse que je vous fais. Laissez-moi continuer. Et alors le monde deviendra comme le Village !

- Vous semblez ignorer qu’à l’extérieur, Le Prisonnier a marqué un certain nombre de personnes au fil des années. Tous ne sont pas dupes de nos agissements...

L’adage du "Un homme averti en vaut deux" ? Allons, ne les surestimez pas : la série ne sera bientôt qu’un vague souvenir. Elle ne fera pas de vieux os, c’est moi qui vous le dis. En dehors du fan-club esseulé dont j’ai oublié le nom, ils garderont l’image de la boule blanche qui rebondit sur le sable, sans plus d’approfondissements. Je vous rappelle que, pour nous en assurer, nous avons infiltré les structures idoines il y a de cela une bonne décennie. Nos hommes sont en place et tout se passe comme prévu. Les naïfs, ils n’imaginent même pas que nous puissions être les commanditaires du remake de la série qui se prépare en ce moment, alors comment pourraient-ils à côté ne serait-ce qu’égratigner nos plans ! Soyez lucides, vous avez encore besoin de moi pour le véritable dénouement !

[Transmission Coupée]

Patrick McGoohan s’est éteint à Los Angeles le 13 Janvier 2009.

Publier une biographie de celui qui reste pour nous le plus grand visionnaire du genre télévisuel européen et, on a tendance à l’oublier, un grand acteur séducteur et charismatique, à l’heure où une recherche sur le net offre immédiatement ce type d’informations, ne nous apparaissait pas comme spécialement relevant. Plutôt qu’un texte ordonné, nous avons donc opté pour un petit couplet spontané, écrit à chaud une fois la triste nouvelle révélée, et qui n’a pas d’autre prétention que de resituer certains caractères inoubliables des pérégrinations du N°6.

Vous l’aurez remarqué, ce site doit son intitulé et une portion de son existence au Prisonnier. Nous souhaitons toujours ardemment que cette série, pour laquelle nous ne tarirons jamais d’éloges, continue de parler aux futures générations comme elle a su nous parler, ironiquement, en un temps où l’on pouvait encore relativiser son acuité ou son degré de pertinence. Et dire que, dans sa grande humilité, McGoohan considérait y être passé à côté de son propos !

On raconte que l’homme était un amateur éclairé de whiskey, alcool qu’il affectionnait de boire loin du star-system et des trivialités mondaines, dans l’intimité feutrée des pubs. En ce sens, pour les majeurs en tout cas, il ne serait pas tout à fait inconvenant de contourner la prohibition villageoise et de lever notre verre, en la mémoire que l’on prédit inaltérable de Mr. McGoohan. Un verre résolument irish, bien sûr.

Bonjour chez vous !