Le dernier édito : retour sur Le Village
AOUT 2012
Par Sullivan Le Postec • 4 août 2012
Bienvenue au Village, le webzine des fictions européennes et francophones. Malheureusement, on est fermé.

Il y a des choses positives à l’arrêt du Village. Par exemple, c’est la dernière fois que je dois écrire un éditorial mensuel. L’édito remis à jour en fonction du dossier en cours, c’est sympa, c’est accueillant, c’est convivial. Mais surtout, c’est vraiment très pénible à écrire !

L’arrêt du Village, annoncé dans notre tribune du mois d’avril (Médias : volontarisme, ambition et pragmatisme doivent être le cœur d’une politique de gauche — on a la vanité de penser qu’elle n’a pas perdu toute pertinence quatre mois après), est finalement arrivé. Cette dernière semaine aura vu la rédaction faire un retour sur son expérience dans notre dernier Quinzo, la publication d’une interview d’un passionnant créateur de série européen, Lars Lundström de « Äkta Människor » / « Real Humans », et la mise en ligne d’une critique en avant-première de la série française qui devrait faire l’évènement lors de la prochaine rentrée, « Ainsi Soient-ils », diffusée en octobre sur Arte. Pas mal pour un sprint final, si vous me permettez que je nous jette des fleurs.

Le Village s’arrête parce que sa petite équipe bénévole l’a alimentée sans budget, sans autre moteur que sa passion, pendant cinq ans et six mois. Le type de contenus que nous affectionnions : fouillés, réfléchis (voire interminablement longs) demandait beaucoup de temps et d’énergie. Le temps et l’énergie ne sont pas inépuisables.
Le Village s’arrête parce que les choses changent et que nous ne sommes plus dans une position où nous pouvons continuer à parler de la fiction, notamment française, de la même façon que ces dernières années.

Cependant, pendant ces plus de cinq années, on a essayé au maximum de résister à la pression de l’actualité, de travailler à la constitution d’une archive au moins autant que de couvrir l’événement du jour. Cette archive est toujours là, en ligne. Elle n’attend que d’être redécouverte en même temps que vous vous plongerez dans une série de ces dernières années, au hasard d’une rediffusion (pas mal de Créations Originales Canal+ devraient refaire surface sur D8) ou d’un visionnage en DVD.

Bien sûr, c’est dommage, cette fermeture. Parce que même s’il y a de très bons sites et blogs qui parlent de séries, y compris de séries européennes, et même parfois de séries françaises, il n’y a rien qui ressemble tout à fait au Village.
Je vous le dis franchement, et d’autant plus facilement que nous, la rédaction du Village, tournons une page et que nous ne sommes donc pas candidats : je suis de moins en moins convaincu par l’argument selon lequel un modèle économique ne pourrait pas être trouvé pour un site équivalent. Surtout dans un monde où le CNC dégage des recettes supérieures aux prévisions. Faire un équivalent du Village, ça demande trois journalistes : ce n’est pas insurmontable.

Évidemment, au moment d’arrêter, on est irrésistiblement attiré par l’idée de revisiter l’histoire du Village, et de se demander si nous avons au moins un peu réussi ce que nous avons essayé.

Logiquement, je suis allé regarder du côté du tout premier éditorial, celui publié le 4 février 2007 et qui lançait Le Village dans un monde où la fiction télévisée européenne était ‘‘à peine plus, pour nous français, qu’un « Julie Lescaut » en bruit de fond, un soir où l’on s’est attardé chez Mamie’’... Ce texte tentait un diagnostic et annonçait des intentions, dont certaines ne se sont d’ailleurs jamais concrétisées — je souris en lisant l’annonce de l’ouverture, ‘‘d’ici à quelques courtes semaines’’, d’une rubrique pour suivre les fictions en développement.

Cet éditorial originel posait un premier constat et une première interrogation :
‘‘Le téléspectateur ne serait-ce qu’un peu assidu de télévision américaine connaît au moins une demi-douzaine de noms de showruners, ces scénaristes - producteurs artistiques qui donnent une âme à une série. Qui connaît les noms de ceux qui sont à l’origine d’« A Cran », « Police District », « Age Sensible », « Nom de code DP », « Préjudices »...?’’
Cette envie-là, de mettre en lumière des talents français, leurs univers créatifs, ne nous a jamais quittés. On l’a poussée autant que l’auront permis nos moyens. Quelques personnes connaissent peut-être des noms comme ceux d’Olivier Kohn, Virginie Brac, Frédéric Tellier — pour en citer une poignée qui ont marqué différentes étapes de l’histoire du Village — grâce à nous. Si c’est le cas, nous en sommes vraiment très fiers.
Ce travail-là doit continuer. Sûrement par d’autres moyens. Il est possible qu’on ait quelques idées là-dessus.

Deuxième constat :
En matière de séries américaines, ‘‘il existe de solides réseaux prescripteurs, sur internet, dans la presse, les librairies et autour des machines à café... Des réseaux à même de faire connaître ce qui innove, émeut, provoque, bref : se détache du tout-venant. En matière de fiction européenne, le constat s’impose, ces réseaux sont inexistants.’’
De ce point de vue, les choses ont considérablement progressé, même si elles restent insuffisantes. Et ce progrès est loin de se limiter au Village. D’autres espaces se sont créés sur Internet, et même des médias grand public comme l’émission séries du Mouv’ ou Les Inrocks n’envisagent plus de passer totalement sous silence les productions françaises. La fiction britannique s’est imposée dans le paysage, l’Europe du Nord n’est pas en reste. Arte fait désormais de la mise en valeur de ces réussites européennes un axe majeur de sa ligne éditoriale. Reste le problème d’une presse de programmes télé qui se complait dans une forme de populisme condescendant et cynique. Une tare bien française, loin d’être compensée par Télérama, qui reste sur son créneau “original” de magazine télé qui n’aime pas la télé.

Troisième constat :
‘‘La fiction télévisée européenne doit aussi son invisibilité à une absence quasi totale d’échanges, d’interactions entre ses créatifs et son public. Ce silence a beaucoup contribué à la scléroser. Les créatifs et leur public doivent échanger, débattre, s’engueuler, aussi, parfois !’’
Là aussi, des progrès sensibles sont notables. Au moment où j’ai écrit ces lignes, début 2007, l’intuition que les créatifs avaient envie de cet échange n’était justement que cela : une intuition. Elle s’est vite confirmée dans les faits. Nombre d’échanges que nous avons abrités dans ces pages ont été passionnants. D’autres ont eu lieu ailleurs. Des festivals permettant réellement la rencontre entre le public et les créatifs ont vu le jour. Le dialogue qui s’est peu à peu renoué, même s’il est parfois répétitif et pénible, est constructif. Il est tellement préférable à la situation des années 90, qui a conduit la fiction française à foncer dans le mur sans se poser de questions. Reste cependant que le public est encore trop souvent tenu pour quantité négligeable, ou regardé avec condescendance. Entre France Télévisions qui peine souvent à comprendre ses propres téléspectateurs, et TF1 qui se targue de les connaître sur le bout des doigts, mais refuse de reconnaître sa responsabilité vis-à-vis de lui — une chaîne façonne son public au moins autant que le public façonne la chaîne — il y a encore (beaucoup) de chemin à faire.

Malgré les limites, malgré le sentiment de surplace dans une crise de la fiction française interminable, ce retour en arrière me démontre tout de même que la situation d’aujourd’hui n’est pas celle d’il y a cinq ans et demi. Et, oui, qu’elle est un peu meilleure. Je ne sais pas si Le Village a eu un quelconque rôle dans ces évolutions. Mais je suis très fier qu’on ne soit pas restés passifs et qu’on ait tout fait pour essayer. Je pense toujours que si on se rassemble, et qu’on pèse de toutes nos forces, on peut faire changer les choses. Je crois qu’un évènement le prouvera bientôt...

Merci à vous, qui veniez régulièrement ici — ces deux dernières années, vous étiez plus de 20.000 chaque mois. L’expérience se serait vite arrêtée si vous n’aviez pas été là. Ça compte. Beaucoup.
Merci à Dominique Montay, Émilie Flament, et Nicolas Robert, la rédaction du site. Ils ont mis tellement d’effort à faire Le Village ! Merci à tous ceux qui ont contribué pour un article ou quelques-uns.
Merci à tous les scénaristes, réalisateurs, producteurs, comédiens, employés des chaînes qui nous ont ouvert leur porte.
Et un remerciement spécial à Blue Helium, Christophe Kerambrun, Yoan Jéronymos, François Mével, ainsi qu’à tous les attachés de presse avec qui nous avons travaillé.

Continuez à nous suivre sur Facebook, sur Twitter, ou sur nos comptes individuels (Sullivan, Dominique, Émilie, Nicolas) : on vous donnera des nouvelles. Parce que bon, on ne va pas arrêter d’aimer la télé du jour au lendemain. Quelque chose me dit que vous non plus...

Sullivan Le Postec,
Le samedi 4 aout 2012
Le Village
Webzine des fictions européennes et francophones

4 février 2007 – 4 aout 2012

Créé par : Sullivan Le Postec

Rédaction : Sullivan Le Postec, Dominique Montay, Émilie Flament, Nicolas Robert

Collaboration à la rédaction : Carine Wittman, Loïc Le Roux, Jeff Gautier, Jean-Baptiste Dancre, Amrith, Arnaud J. Fleischman, Anthime Caprioli, Jérôme Tournadre, Séverine Barthes, Jean-Michel Vacheron, Tomemoria, Amandine Sourisse.

Logo / design : Jean-Michel Vacheron, Jean-Baptiste Dancre.

A-Suivre.org : Anthime Caprioli, Séverine Barthes.

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