LE QUINZO – 2.02 : Ça tourne pas rond
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par le Village • 18 octobre 2010
La mi-octobre est dépassée. Il n’y a toujours pas d’annonce concernant la commande d’une saison 3 de « Hero Corp ». Par contre TMC a commandé une troisième suite/série dérivée de « Hélène et les Garçons ». En plus, M6 a fait subir à ses « Bleus » une agonie bien dégueulasse. Franchement, encore une nouvelle comme ça et on demande l’asile politique en Grande Bretagne ! Heureusement, il y a du positif : on apprend ainsi que le Docteur est immortel. Quoi que, est-ce vraiment une bonne nouvelle ?...

Les Bleus :
Derniers pas dans la police

Par Sullivan Le Postec.

Samedi soir, M6 a diffusé les tous derniers épisodes de sa série « Les Bleus, premiers pas dans la police ». « Kaamelott » avait pris fin l’automne dernier, M6 se retrouve donc privée de ses deux réussites dans le domaine des séries. A la place ? On annonce le tournage de tout plein d’épisodes de « Victoire Bonnot », nanard cheap et idéologiquement infect avec Valérie Damidot (voir le premier numéro du Quinzo). Pendez-moi ! Le pire, c’est que « Les Bleus » ne meurent pas de mort naturelle, mais d’avoir été sabordés par leur chaîne...

L’histoire des « Bleus », c’est un peu un condensé de ce pourquoi la série française peine tant à décoller. A la base, il y a un projet frais, attachant, certainement par parfait mais doté d’un vrai point de vu. Ce projet rencontre le public : 5 millions de téléspectateurs, 20,8% de part de marché, ce sont les scores exceptionnels réalisés par le Pilote, en février 2006.

Après ce lancement en fanfare, deux fois, la série s’est absenté de l’antenne plus de 18 mois. Et le pire, c’est qu’une de ces fois, entre la première et la deuxième saison, M6 était en mesure de proposer les épisodes un an après. Inexplicablement, elle les a laissé prendre la poussière pendant six mois, et entama la diffusion de la saison 2 au moment où la troisième finissait son tournage.
La décision de la chaîne aurait été à peu près compréhensible s’il s’était agi de proposer la saison 3 dès le septembre suivant, six mois plus tard, pour faire suite à une saison 2 raccourcie à six épisodes par une production chaotique. Mais il n’en fut rien, et M6 garda à nouveaux les huit épisodes inédits sur une étagère pendant des mois, avant d’enfin commencer à les diffuser en mai dernier.

A force, ces délais ont affaibli la série, de même que le refus de M6 de la protéger. « Les Bleus » auraient facilement pu tirer leur épingle du jeu le jeudi soir, et se stabiliser aux audiences de 3,5 / 4 millions de téléspectateurs qu’ils ont régulièrement atteint en saison 1 et 2, voire recommencer à gagner sur cette base. Mais le mardi ou le mercredi soir, régulièrement confrontés aux « Experts » qui leur enlevaient toutes les cibles jeunes, la série était un peu secouée.
C’est avec le lancement de la saison 3, au printemps dernier, que M6 a véritablement planté un couteau dans le dos de la série : elle l’expédie le samedi soir, case totalement sinistrée où les programmateurs balancent en vrac rediffusions de télé-réalité, fictions, dont la aussi plusieurs redif’, séries américaines usées ou au succès improbable ou encore émissions de plateaux improbables (remember le Best-of de « Surprise sur prise », évoqué dans le Quinzo n°7 par Dominique).

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Les Bleus, premiers pas dans la police
Distribution de la saison 4

Dans cette case, « Les Bleus » tournent alors autour de 2 millions de téléspectateurs. C’est pas beaucoup [1], mais c’est toujours 800 000 de plus que « Super Nanny », le programme qui occupait la case les semaines précédentes. Le dernier soir, l’audience progresse même un peu à 2,2 millions.
Malgré cela, M6 décide de stopper la diffusion après 5 semaines, après avoir diffusé les deux premiers épisodes de la saison 4. Puisque la case était en amélioration, je ne saisissais pas très bien la raison de la coupure à l’époque, surtout au milieu d’une saison.

C’est encore plus incompréhensible maintenant qu’il s’avère que c’était pour diffuser les six épisodes restants dans la même case quatre mois plus tard. Seule conséquence concrète de l’opération : samedi soir : la diffusion des derniers épisodes est descendue à 1 563 000 spectateurs, soit 7,2% de part de marché. 5 à 700 000 téléspectateurs que ce que les mêmes épisodes auraient récolté en juin. Du pur sabotage.

Tout cela laisse M6 avec tout simplement aucune fiction de prime-time à peu près valable. Et la grosse baisse d’audience enregistrée par le deuxième épisode de « Victoire Bonnot » à la rentrée me laisse penser que la chaîne se trompe en pensant qu’elle va pouvoir l’installer durablement sur son antenne.

Mais il ne faut pas se leurrer. Cette situation n’est pas le résultat d’une malchance, ni même d’une incompétence. C’est une stratégie limpide : M6 ne veut pas de fiction sur son antenne. Parce que c’est relativement cher, relativement compliqué à produire et surtout parce que c’est de la création, c’est à dire une chose que les financiers et marketeux à la tête de la chaîne ne peuvent pas du tout comprendre. M6 milite depuis des années pour être déchargée de ses quotas d’obligations de production et de diffusion de fiction originale. Et plus les audiences de ses fictions françaises seront faibles, plus il lui sera facile d’argumenter aux oreilles des politiques que ces fictions sont un boulet dont il faut la débarrasser. Avec cette perspective, le sort réservé aux « Bleus » semble soudain plus compréhensible...

Prisonniers du Temps

Par Emilie Flament.

J’ai découvert les séries avec les succès des années 90. Aussi quand la TNT recycle à moindre coût les classiques de l’époque, je me régale : « Friends » le midi, « Dawson » en rentrant du boulot, un épisode d’« Angel » par-ci, un de « Profiler » par-là. Mais, comme pour la mode, toutes les tendances ne sont pas bonnes à reprendre... en particulier en ce qui concerne la fiction française de cette période. Alors quand TMC annonce la production d’une 3eme série dérivée d’« Hélène et les garçons », j’ai peur...

Retour en 1990/1995 : TF1 lance en fin d’après-midi ses premiers feuilletons AB Production, avec « Salut les Musclés », puis « Premiers baisers » qui se concentre sur la nièce d’un des Musclés, Justine, et « Hélène et les garçons », sur Hélène, la grande sœur de Justine, et ses amis étudiants. En cumulant les personnages insipides et totalement irréalistes, les dialogues mièvres, les intrigues simplistes façon soap opéra, ces séries sont assassinées par la presse... mais grâce à l’énorme promotion faite par le « Club Dorothée », elles atteignent de très fortes audiences, avec près 4 à 6 millions de téléspectateurs (soit près de 50% de PDA). Leur grand nombre d’épisodes tournés avec un budget minime, dans un laps de temps très court, en font des séries très rentables pour leur producteur, Jean-Luc Azoulay (scénariste sous le pseudo Jean-François Porry [2]) et pour TF1... au point d’en multiplier les dérivées. Après 280 épisodes en 2 ans, « Hélène et les garçons » tire donc sa révérence en 94 pour mieux revenir sous la forme du « Miracle de l’amour » l’année suivante.

Avec la fin des années 90, arrive le déclin des productions AB qui quittent peu à peu nos écrans. C’est la fin d’une époque. ‘‘Enfin !’’ me direz-vous... N’empêche que cette période, même si elle n’est pas glorieuse pour notre fiction, fait partie de notre histoire de téléspectateur et doit être assumée pour pouvoir progresser et surtout passer à autre chose... sauf que « Les vacances de l’amour », la suite du « Miracle de l’amour », ont décidé de faire de la résistance. Difficile donc de totalement tourner la page.
Phénomène notable, d’un public de gamines de moins de 15 ans au départ, la dernière mouture de la saga est passée à un public dit de ménagères de moins (voire même de plus) de 50 ans grâce notamment à un changement de format (de 26 min à 42 min), un changement de décors (fini les studios aux couleurs saturées, bonjour les îles paradisiaques !) et un changement de case horaire (en matinée). Il n’y a pas à dire... la dernière survivante de la dynastie AB Production s’accroche quitte à muter.
2007 semblait pourtant mettre un point final à cette ère, 15 ans après son début : La production des « Vacances de l’amour » est arrêtée, il ne reste plus que quelques rediffusions sur la TNT ou le satellite. Voilà ! Le public, les chaînes et les producteurs français sont passés à autre chose.

Mais coup de théâtre ! A la rentrée, TMC annonce que le tournage d’une nouvelle série dérivée a débuté, « Les Mystères de l’amour », avec une grande partie de l’équipe originale, aujourd’hui quarantenaire, et se déroulant à Paris.

A l’heure où l’on s’acharne à tenter de sauver des séries innovantes qui représentent un véritable progrès dans notre fiction, j’avoue avoir du mal à digérer la mise en production en grande pompe d’un nième vestige de l’ère AB Production. Est-ce un dernier sursaut qui se fera rapidement oublier, ou, chose terrifiante, est-on reparti pour un tour ?

On est censé apprendre du passé et non perpétuellement le raviver (surtout quand il est peu glorieux), sinon on ne progressera pas. C’est applicable à notre fiction. Alors... et si on passait à autre chose ?

Le Docteur est immortel

Par Dominique Montay.

Si à cette affirmation vous enchaînez d’un « ben oui, on le savait déjà », et bien, vous faites erreur. Pas par ignorance révoltante, mais surtout par manque d’information, dirons-nous « latérale ». Si vous n’avez pas vu les 40 ans de docteur (rassurez-vous, nous non plus), ou si vous ne furetez pas sur le net pour avoir du complément d’infos, vous ne pouvez pas savoir que le docteur possède un nombre de régénérations limité. 12, pour être précis. Et à combien en est-on dans le décompte ? Vu que Matt Smith est le 11è docteur, le chiffre gagnant est 10.

De quoi ?

Il ne reste que 2 docteurs avant la fin définitive du show ? Quelle horreur !

Cette règle, acquise très tôt dans la série permit de mettre fin à certains personnages (à l’époque où le docteur n’était pas le dernier de sa race). Les auteurs devaient se dire que 13 rounds d’acteurs, ça les laissait relativement tranquilles, surtout qu’ils n’imaginaient sûrement pas quelle serait la longévité incroyable de leur série. Donc voilà, quand Matt Smith allait tirer sa révérence, l’avant dernier docteur rentrera en scène et on pourra crier notre désespoir quand le contrat de celui-ci viendra à expiration… jusqu’à l’un des prochains épisodes de « The Sarah Jane Adventures ».

Dans l’épisode qui verra le docteur faire une apparition, sera annoncé que ce dernier peut se régénérer autant de fois qu’il le veut. Une nouvelle qui devrait nous remplir d’une joie sans fin à l’idée que, potentiellement, nous ne perdrons jamais notre Docteur… mais à y regarder de plus près, ce n’est pas forcément la plus belle annonce qui le soit. Déjà parce que, comme le souligne le site Blastr, partant du principe que toute histoire a un début, un milieu et une fin, « Doctor Who » se met hors de la tradition narrative. Il prend le risque de ne jamais avoir de dimension mythique (à l’inverse de la dimension épique qu’il possède déjà), car il se peut qu’il n’y ait jamais de fin.

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Doctor Who
La dixième régénération du docteur (plus que deux ?)

De plus, et c’est peut-être plus grave (certaines règles sont, après tout, faites pour être transgressées), au lieu de mourir d’une belle mort au firmament dans une petite dizaine d’années, « Doctor Who » prend le risque de tomber dans la désuétude. Qui dit que la série réussira à revenir de ses arrêts comme elle a pu le faire en 2005 ? Qui dit qu’à l’instar de la franchise «  James Bond  » au cinéma, « Doctor Who » ne risque pas de s’arrêter pour raisons financières ou juridiques et ne jamais reprendre, sans avoir livré une fin convenable ? Alors, oui, les producteurs nous disent que le Docteur peut mourir définitivement (vraisemblablement si quelqu’un perfore ses deux cœurs pendant une régénération), mais dans un univers où ce qui régit la vie et la mort est remis en cause, quelle est la valeur des autres règles ?

Et pourtant, on comprend les gardiens du temple Who. La décision du nombre de régénération a été prise à une époque différente, quand la série était un succès mais pas un phénomène de 40 ans d’âge. De plus, les acteurs à l’époque faisaient des barouds de 5 ans minimum, et avec les cas Paul McGann (un film et c’est tout) et Christopher « Je veux bien-je veux plus » Eccleston, la série a déjà grillé deux jokers. De plus, une rumeur court actuellement, mais à laquelle nous ne pouvons accorder aucun crédit, selon laquelle Matt Smith ne veut pas s’installer dans le rôle. Si cette rumeur est fondée, on comprend mieux la volonté de la production de vouloir allonger le temps de vie de la série, et de ne plus être à la merci des départs.

En effet, et n’est-ce pas là le fondement de ce choix : imaginez le pouvoir du 13e acteur. Imaginez la production et la chaîne qui veulent continuer, et l’acteur qui veut tripler son salaire et qui brandit la menace d’un départ et donc, de la fin de la série. Un acteur aussi puissant que son rôle, c’est peut-être ça, plus que la fin d’une série que la production veut éviter. Un choix pragmatique, en somme.

Dernière mise à jour
le 6 novembre 2010 à 21h42

Notes

[1En même temps le même chiffre de 2 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis, alors qu’il y a près de 5 fois plus d’habitants, suffit à rendre rentables des séries de la CW ou des chaînes du câble en clair comme Starz ou AMC. Un jour il faudra qu’on m’explique pourquoi.

[2Porry. Pourri. Oui, c’est fait exprès et ça donne une idée du cynisme de la chose, Note de Sullivan