LE QUINZO — 3.18 : Où l’on tombe le masque
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay & Nicolas Robert • 28 mai 2012
Le Quinzo, saison 3, épisode 18. Dominique pense que certains films français feraient de bonnes séries, mais pas forcément ceux vendus comme tels. Nicolas est plongé dans une certaine perplexité par la fiction de France 2. Quant à Sullivan, il rêve d’un nouveau modèle pour la TNT.

C’est mauvais, on dirait une série télé !

Par Dominique Montay.

Depuis quelques années, je suis un auditeur assidu de l’émission "Le Masque et la Plume" sur France Inter. Émission où des critiques ciné (ou livres et théâtre suivant le thème de l’émission) viennent confronter leurs opinions avec intelligence, et surtout, humour. J’écoute leurs avis, parfois je m’y retrouve, parfois pas... mais je m’ennuie rarement en les écoutant. De la même façon, je suis rarement outré par leurs propos (qui sont très souvent bien argumentés). Sauf quand ils décident, pour parler d’un film qu’ils ont détesté que c’est “digne d’une série télé”.

Forcément, c’est une affirmation qui me hérisse le poil. Et pas qu’un peu. Sans rentrer dans les détails des spécificités techniques des deux modes d’expression, on peut résumer simplement : le cinéma est un médium, avant tout, de réalisateur. La sérié télé en est un de scénariste. Peu étonnant donc, que dans cette même émission, le critique qui sort souvent l’argument qu’un film pourri est digne d’une série, soit aussi celui qui considère que raconter la fin d’un film n’a pas d’importance. Que ce qui importe, c’est la façon dont c’est fait, pas l’histoire. Il aime les réalisateurs, semble mépriser les scénaristes (certainement sans s’en rendre compte). Son passeport doit être français, la logique est sauve.

Au-delà de ces considérations qui ne sont en aucun cas des griefs (le critique en question est au demeurant, un critique très intéressant), le sujet m’a fait réfléchir sur deux succès récents du cinéma français, les très différents « Polisse » et « L’Exercice de l’État ». Deux films plutôt encensés, deux beaux succès au box-office.

« Polisse » à sa sortie, a parfois été comparé à une série policière. “Une très bonne série policière, en film”, entendis-je. Et là je m’inscris en faux, je dis non, je dis mais vous y connaissez rien bande d’ignares. Si « Polisse » emprunte énormément, sur la forme, aux séries modernes policières, elle n’est en aucun cas “une très bonne série policière”. Pour les points positifs de « Polisse » : son sujet, casse-gueule et plutôt bien traité, son aspect très documenté, qui lui donne un aspect tranche de vies (et donc suite d’épisodes), des acteurs sincèrement formidables, dans un style qu’on voit rarement en France, le faux documentaire (à part Karine Viard qui donne vraiment l’impression de “jouer” quand les autres sont confondants de naturel).

Le film est aussi une réussite émotionnelle totale. Il bouscule, remue, tire la larme en de nombreuses occasions. Par contre, au niveau du scénario, soyons clairs, il n’y en a pas, ou si peu... les scènes réussies sentent le copié-collé de faits-divers, les scènes très écrites sont à contre-courant (le repas de famille avec Maïwenn, la conciliation de divorce de Viard, la scène finale qui nous crie que la réalisatrice ne sait pas comment finir son film). Le film n’a pas, ou très peu, de colonne vertébrale et ne tient que par la force dramatique de certaines situations et par les personnages et leur interprétation.

Dans les séries télés, pour nous aider à nous immerger dans un univers, il y a très souvent besoin d’un point d’entrée. Soit quelqu’un qui commence sa première journée de travail et à qui on présente ses collègues de façon didactique (John Carter dans « Urgences », par exemple). Soit un élément extérieur, censé observer l’univers, et donc personnaliser le téléspectateur (le Dr Melfi dans « Les Sopranos » a un peu cette fonction, la caméra de « The Office » aussi). C’est ce dernier choix qu’a fait Maïwenn, se donnant par la même occasion un rôle. Sauf qu’elle échoue dans les grandes largeurs. Le personnage n’est pas intéressant au départ, il est introduit trop tard dans le récit pour être un point d’entrée (au moment où elle arrive, le spectateur a déjà admis l’univers), elle disparaît même un moment du film sans qu’on s’en émeuve... Si Maïwenn a réalisé un bon film, et même s’il possède un ADN commun avec des séries policières, il n’en est pas une version de luxe, mais une version bancale, déficiente.

Le fait qu’aujourd’hui, les américains s’intéressent à « Polisse » pour la remaker en série ne change rien à la réflexion. Si les américains ont décelé le potentiel sériel de ce film (il est présent), on peut leur faire confiance pour l’expurger de tous les défauts sus-cités.

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L’Excercice de l’Etat
Un film qu’on aurait aimé avoir en série française pour en parler des pages et des pages sur le Village

« L’Exercice de l’État », par contre, possède tout d’une grande série politique. Un personnage charismatique, d’envergure, faillible et pourtant d’apparence inflexible. Des seconds rôles périphériques là aussi écrits, incarnés magistralement. Et un scénario. Un formidable scénario qui pose un univers cohérent, qui fait évoluer une histoire émotionnellement riche et qui évolue avec une maîtrise remarquable. Rarement dans une fiction française je n’avais ressenti autant de réalisme et de crédibilité en suivant une équipe politique. « L’Exercice de l’Etat » rappelle, dans ces moments, l’excellence de "The West Wing", dans un genre et un style très différent, mais tout autant passionnant.

Le récit, de plus, et sans accumuler les péripéties gratuites, est dynamique, rythmé, sans aucune longueur. Du travail d’orfèvre.

Un film qui pourrait, si c’était le souhait de son scénariste-réalisateur Pierre Schoeller, aisément devenir une série télé du niveau de ce qui se fait aujourd’hui sur le câble américain.

La tendance, aujourd’hui, en France, est de considérer qu’un film correct est digne d’une très bonne série télé, situant ainsi la série au niveau-étalon de la médiocrité, du facile, du produit de consommation de base. Pour voir des films et des séries plus que de raison, je suis évidemment en désaccord complet avec cette analyse, qui prouve juste le niveau de snobisme de certains spécialistes, ou leur méconnaissance totale du sujet. Pour la provoc’, je suis même tenté de dire que si « Polisse », film très correct, ne vaut pas une “bonne série policière” sur la base de son scénario, « L’Exercice de l’État », est, lui, bon comme une grande série.

« Clash » versus « Trafics » : rien à déclarer ? Pas sûr…

Par Nicolas Robert.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : la semaine dernière, j’ai déprimé à cause de/grâce à France Télévisions. La raison : quand je trouve un programme qui fait briller mes petits yeux d’enfant, il a tendance à foncer dans un mur.

Pour allumer mon regard (et faire plaisir au petit téléspectateur que je resterai toujours), je vous avouerai que ce n’est pas bien compliqué. Dès que vous me proposez une histoire prenante, bim : ça marche.

Dernier exemple en date : « Clash ». Vous l’avez lu sur ce site, au Village, on est plusieurs à avoir aimé (oui : plusieurs, c’est à partir d’au moins deux). Dans sa critique de la saison 1, Sullivan a souligné combien cette production était attachante. Pas dépourvue de défauts non (certains épisodes marchent carrément mieux que d’autres), mais résolument ambitieuse, culottée.
Il fallait un certain courage pour aborder la question des rapports parents/adolescents, et de ce que c’est, être parent ou ado aujourd’hui. Surtout que cela n’a jamais été vraiment fait. Mais la série fait globalement bien ce qu’elle dit : dans les meilleurs moments, sa narration reste chevillée à son concept et c’est là qu’elle séduit [1].

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On peut déplorer des trous d’air, quelques scènes ratées mais comme cette production bénéficie d’une troupe de jeunes comédiens talentueux (et j’insiste là dessus : ils sont bons), quand ça marche, ça marche vraiment.

Enfin presque, puisque le public n’était pas là. Vraiment pas là : on a enregistré 2,4 millions de téléspectateurs la première semaine et un peu plus d’un 1,5 million les deux suivantes. Une déception que l’on peut sans doute imputer à la politique de programmation du groupe (l’hypothèse d’une diffusion sur France 4, formulée par Sullivan, m’aurait également paru plus pertinente).

Résultat : cela devrait logiquement enterrer tout espoir de voir une saison 2 un jour.

“Pas grave : ce sera pour une prochaine fois”, direz-vous peut-être ? Pas sûr. Parce que sur France 2, il y a encore et toujours des productions qui n’éclairent rien dans mes petites prunelles. Mais alors rien de rien.

C’est le cas avec « Trafics », dont les deux premiers épisodes étaient diffusés vendredi. L’histoire, c’est celle d’une brigade d’investigations des douanes qui a pour mission de démanteler toutes sortes d’opérations frauduleuses.
Une production calibrée pour les vendredis soir de France 2 (même si, sur le papier, j’aurais plus vu la série sur France 3) qui a de quoi séduire. C’est vrai : à partir d’un événement plus ou moins grave, il y a moyen d’articuler un récit riche, étonnant et vraiment accrocheur. Après tout, aux États-Unis, c’est ce qu’a fait Dick Wolf avec « Law & Order » : ça a duré 20 ans et c’est tout sauf un scandale.

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Sauf que là, on n’y est pas du tout. La série a un vrai problème : elle ressemble à ce qui a déjà été fait un (trop) grand nombre de fois sur la même chaîne à la même heure. Avec en plus, une direction des acteurs inexistante, une exposition des enjeux à la truelle (encore…) et un gros souci de ton (vouloir apporter une touche de comédie avec le personnage de Camino, l’agent chien fou du service, est une TRÈS mauvaise idée).

Le bilan de la semaine ? J’ai l’impression de vivre dans un monde très frustrant. Un monde au sein duquel le service public propose des productions de deux types.

D’un côté, on a des fictions audacieuses (Souviens-toi l’hiver dernier : « La Nouvelle Blanche Neige »), qui me plaisent mais pour lesquels on ne fait rien pour en “aménager” l’accès. La preuve : « Clash » était diffusée un mercredi soir, soit le même jour que « Les hommes de l’ombre » et « Des soucis et des hommes », alors que ces trois séries n’ont pas grand-chose à voir.
De l’autre, on a des fictions dont on se demande ce qu’elles apportent. Qui répètent à l’envi un schéma bancal et des poncifs usés à la corde depuis plus de dix ans. Dans les pires moments, on en vient à songer qu’elles sont là parce qu’elles ont surtout le mérite d’exister. Point barre. Et c’est plutôt grave.

Ça l’est d’autant plus que ce sont des créations auxquelles il est difficile de s’identifier, et dont on se demande sérieusement si elles peuvent durer. Vendredi, face à « Secret Story » et « NCIS : Los Angeles », « Trafics » a réuni près de 2,8 millions de téléspectateurs avec son premier épisode [2].

Donc, de deux choses l’une : soit je suis un élitiste intoxiqué par les fictions étrangères qui n’a pas saisi la richesse de ce qu’on lui propose, contrairement à la majorité ; soit je fais partie d’un groupe de plus en plus nombreux et de plus en plus agacé.

Dans tous les cas, j’ai un truc à vous avouer : je trouve ça lassant.

TNT : ancien et nouveau modèle

Par Sullivan Le Postec.

Il faut qu’on se dise la vérité, vous et moi. Le malheur des autres, dans certaines circonstances, ça fait rudement plaisir. Un petit plaisir méchant. Aujourd’hui, par exemple, j’ai lu une brève qui, pour les personnes concernées, était forcément une mauvaise nouvelle. Moi, ça m’a mis en joie.

Ça se trouvait sur Toute la télé, et ça disait : ‘‘Le retour des « Mystères de l’amour » passe inaperçu’’. En effet, la série — qui est la suite des « Vacances de l’Amour », qui est la suite du « Miracle de l’Amour », qui est la suite de « Hélène et les Garçons », qui a eu 20 ans le 11 mai dernier — réalise des audiences très faibles pour son retour pour de nouveaux épisodes (dans lesquels tout ce petit monde ré emménage ensemble dans une grande maison, comme à l’époque du « Miracle »). Les deux nouveaux épisodes, diffusés samedi entre 17 et 19h sur TMC ont réunis 190.000 téléspectateurs, soit un petit 1,8% de part de marché.

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Ces chiffres ne sont pas neufs : la première partie de la deuxième saison, 20 épisodes diffusés à l’automne 2011, avait réuni une moyenne de 275.000 téléspectateurs, soit 2.2% de part de marché.

Nous sommes loin des chiffres du lancement de la série, en février 2011 : 530.000 téléspectateurs (4.5% de pda et même un 7,3% sur la cible des femmes de moins de cinquante ans). A l’époque, il y avait de quoi flipper en voyant une des premières fictions de la TNT, hors programmes cours, reprendre les mêmes recettes et la même logique de télévision de nos chaînes historiques, mortifère.

Cette chute rapide et sévère a plusieurs enseignements.
D’abord, il faut tirer le bilan de ce que les excellents tous premiers chiffres d’audience doivent à une couverture presse démente par son ampleur et son manque de la moindre parcelle de recul critique. La nostalgie a bon dos. Au final, le produit télévisuel proposé n’a d’impressionnant que son insondable médiocrité. Le système français s’est bien trop abreuvé au cynisme.
Ensuite, elle remet certaines pendules à l’heure. Certains, dont d’ailleurs Jean-Luc Azoulay, le grand manitou français de la fiction-poubelle, se font l’avocat d’une pensée selon laquelle la longueur de la série serait le principal facteur de la fidélisation et de l’audience. Azoulay avait fondé le projet de sa chaîne de la TNT gratuite, heureusement recalée (il reste quelques neurones actifs au CSA), sur ce ‘‘principe’’ : de la série longue, y compris une ‘‘sitcom quotidienne’’, et la fidélisation viendra. Dans la réalité, une très mauvaise série comme les « Mystères de l’Amour », voit son audience chuter fortement, même si elle aligne quarante épisodes dans l’année.

Quel est l’intérêt, et même plus fondamentalement, quel est l’avenir d’une TNT qui se contenterait de mimer les chaînes historiques ? Si ces chaînes s’inscrivent dans les pas de TF1 et M6, et réunissent le même public, elles se heurteront toujours à une réalité : une publicité achetée sur TF1 ou M6 permettra de toucher le même public qu’eux, mais en quantité cinq ou dix fois supérieures.

Il y a d’autres modèles.
Celui d’un ciblage plus pointu, en premier lieu, qui secouerait un PAF où ne semble exister que la ménagère de moins de cinquante ans. Aux États-Unis, le paysage intègre par exemple une chaine pour midinettes (CW), une chaîne pour ados et parents de bonnes familles (ABC Family), une chaîne pour catégories socio-professionnelles très supérieures (AMC), une chaîne pour hommes virils (FX)... Et je ne parle là que de chaînes du basic câble qui se financent par la publicité et pas par les abonnements, l’équivalent réel de notre TNT.
Et puis surtout, il convient de faire comprendre, enfin, l’intérêt d’une télévision d’engagement par opposition à la télévision pantoufle qui est la nôtre depuis trente ans. Une télévision qui ne soit plus un fond sonore pendant que l’on s’attache à remplir des grilles de mots croisés, mais à qui on consacre pleinement son attention, avec laquelle on soit en interaction par le truchement des réseaux sociaux.

Évidemment, l’exemple de la Nuit « Doctor Who », de ses 12.500 tweets, de ses téléspectateurs rivés à leur écran jusque tard dans la nuit, vient immédiatement en tête. Imaginez la puissance de cela, appliqué à une série dont la majorité du public n’aurait pas déjà vu les épisodes inédits avant leur diffusion officielle, via le téléchargement illégal.
Avec cette expérience, France 4 a assumé le rôle de laboratoire d’une nouvelle TNT, qui pourrait laver l’affront du naufrage éditorial qu’ont été les nouvelles entrantes depuis 2005. Pourtant, la chaîne numérique publique est toujours en danger, sa ligne éditoriale remise en cause par la gauche. C’est une bêtise, je l’ai déjà expliqué longuement.

France Télévisions ne doit pas oublier de s’en prendre à elle-même. Le fauchage de France 4 serait aussi le prix payé pour ses cinq ans de retard. Un retard qu’elle laisse se creuser : contrairement au bon sens, aucune fiction originale n’est encore annoncée sur France 4.

Dernière mise à jour
le 28 mai 2012 à 20h10

Notes

[1Dans ses meilleurs passages, elle renvoie à la citation de Clarence Darrow : “La première moitié de notre vie est gâchée par nos parents ; la seconde l’est par nos enfants”.

[2Et 2,47 millions pour le deuxième, la part d’audience chutant assez fortement de 12,4 à 10,6%.