LE QUINZO — 2.14 : Où la rédac’ est prise en otage
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village
Par le Village • 18 avril 2011
Le Quinzo, saison 2, épisode 14. Parfois, on se sent un peu pris en otage par la télé. Quand un acteur se barre à la sauvette et nous force à nous demander si on a envie de continuer la série sans lui. Ce sentiment désagréable est aussi courant à la télé française, qui plutôt que de retenir le spectateur par sa pertinence et son imaginsation, préfère lui coller un flingue sur la tempe. Et y’a-t-il pire prise d’otage que celle qui consiste à tuer une série sans qu’elle n’ait jamais de fin ?

Cherchez l’intrus

Par Sullivan Le Postec.

Quand « Misfits » va revenir à l’automne prochain pour sa troisième saison sur E4, il y en a un qui va se sentir carrément décalé, c’est l’acteur casté pour remplacer Robert Sheehan. L’acteur principal d’une série qui la quitte après deux saisons et à peine treize épisodes, c’est très British. Dans le cas présent, c’est aussi vraiment très, très pas cool.

A la base, il y a un problème économique qui est le même en France : en Europe, nous n’avons pas la puissance financière nécessaire pour acheter l’exclusivité d’un acteur pendant plusieurs années sur une série. Comme de toute façon les séries européennes occupant leurs acteurs toute l’année sont très rares (à part les soaps quotidiens et « Doctor Who », je ne vois pas) cela n’aurait pas beaucoup de sens.
La conséquence, c’est qu’à chaque fois qu’un acteur a envie de s’en aller, et bien il s’en va. Du coup, les séries britanniques qui durent ont souvent un taux de rotation de leur casting qui peut donner le tournis (évidemment, on pense à « Spooks / MI-5 », et évidemment cette série est la preuve qu’un changement de casting mal géré peut s’avérer handicapant).
En France, c’est à peu près la même chose. « Un Flic » de France 2 a à peine eu le temps de se faire connaître des téléspectateurs qu’il changeait de visage, et on se souvient des allers et venues chez les « Bleus ».

On remarque quand même que les partenariats de long-terme entre une série et ses acteurs sont possibles : les séries de Canal+ ont eu peu à souffrir de problèmes d’acteurs se faisant la malle, à part pour des seconds rôles, comme le jeune flic de la saison 2 de « Engrenages » et la Sophie de la première saison de « Reporters » — soit des rôles un peu ingrats en cela qu’ils vous demandent d’être disponible durant des mois sans pour autant que cette disponibilité ne se convertisse en un nombre de cachets (journées de travail) qui rende l’opération pleinement satisfaisante voire simplement très rentable.
Cette relative fidélité française est aussi une question de marché. Si vous arrivez à obtenir un premier rôle dans une excellente série française, un problème viendra contrarier une éventuelle volonté de se faire la malle au premier signe de lassitude : les bonnes séries sont tellement rares, il n’est pas dit que vous en trouviez une autre de sitôt. Ajoutons aussi le rythme auquel on tourne en France (grosso modo une saison tournée en cinq mois tous les deux ans) laisse le temps de se régénérer en tournant d’autres choses en parallèle.

Le marché anglais soumet les acteurs à une pression contraire. Il se tourne beaucoup de choses, et un pourcentage extrêmement élevé de ces projets est d’une très haute qualité. En plus le paysage audiovisuel est extrêmement diversifié : period drama, policier, drame intimiste, SF... vous pouvez facilement tout faire !
Du coup, la tentation est grande d’aller vite voir si l’herbe ne serait pas plus verte ailleurs.

Dans le cas de Robert Sheehan de « Misfits », il faut aussi ajouter le fait qu’il a acquis une reconnaissance internationale via une série de la TNT dont le budget ne tient très certainement pas la comparaison avec ce qu’on doit lui proposer, pour le petit et aussi le grand écran, en provenance des deux côtés de l’Atlantique.

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Gougeât, moi ?

Ca n’empêche pas de faire remarquer que Robert Sheehan se comporte un peu comme un gougeât. A moins, et c’est possible, qu’il y ait des choses qu’on ne sache pas. Mais partir entre deux saisons, sans préavis, et sans avoir laissé la possibilité aux scénaristes d’organiser un vrai départ au personnage, même à la télé anglaise, c’est rare. On apprendra peut-être dans quelques semaines qu’Howard Overman savait en écrivant la saison 2 que Sheehan ne reviendrait pas et qu’il a préféré ne pas en tenir compte, mais j’en doute tout simplement parce que si c’était vrai, Sheehan répondrait à l’une des 1000 demandes d’interviews qui ont dû tomber chez son agent, plutôt que d’encaisser la volée de bois vert qui lui tombe dessus sur Internet en silence.

« Misfits » pourra-t-elle se passer de Robert Sheehan et de Nathan ? La première réponse que j’ai envie de donner, c’est que « Misfits » abordait sa troisième saison sur des bases de toute façon bien précaires, la deuxième ayant fait la preuve de son incapacité à raconter une histoire ne serait-ce qu’à peu près cohérente.
Mais Robert Sheehan, lui, peut-il se passer de « Misfits » ? A vrai dire, c’est de cela que je doute le plus. Car autant la série a fait la démonstration de son charisme incroyable, de sa capacité à tout oser, autant elle a aussi laissé à voir son incapacité à sortir d’un certain registre. De là à penser que Sheehan ne sait jouer que Nathan et des déclinaisons, il n’y a qu’un pas que je n’aurais pas trop de mal à franchir. Et ça risque de lasser vite.

Prise d’otage

Dans cet article, un pan de ma vie privée va s’ouvrir devant vous, en parallèle d’un aveu. J’ai une compagne (ça c’est le pan de la vie privée). Même une concubine, même si je n’aime pas ce mot, puisque mon statut de sériecinéphilie m’oblige à l’accompagner du terme « adieu » (en plus du simple fait qu’il est décomposable en trois mots qui donne un fragment de phrase absolument atroce). Et donc, elle apprécie les procedurals (ça, c’est l’aveu). Pas tous, mais quelques uns. En l’occurrence, « Bones ».

Ce n’est pas tant qu’elle aime follement cette série, mais elle la consomme à l’occasion (c’est après tout la fonction première du procedural). L’autre soir, elle zappe sur M6, et reste sur les enquêtes improbables d’un flic et d’une spécialiste des os. Un duo qui me faire autant dire « gné » que celui de « Numbers », flic et matheux, et qui me donne envie d’en voir un avec un flic et un charcutier qui s’appellerait « Pierre et Rosette », un flic et une nonne « La loi et les Ordres », ou bien un flic et un manchot « Haut les mains ». Soit.

Donc, 20h50, un petit « Bones ». Jusqu’ici tout va bien. Episode inédit pour tout le monde, elle reste devant la télé, je vaque à mes occupations (je ne m’en souviens plus trop, mais ça se situait entre le visionnage d’une interview de Jean-Paul Sartre sur le site de l’INA et un best of de chats qui se cassent la gueule sur youtube… j’ai un trou de mémoire sur le contenu, mais c’était super)

Je sors de mon activité une heure plus tard et je retrouve ma compagne, front un peu plissé. Rien ne m’étonne. Il est 21h50, le second épisode (une rediff pour certains qui suivent la série assidûment) est commencé depuis quelques minutes, pas de souci. Ma compagne est satisfaite, elle voit un second épisode d’une série qu’elle croise pas si souvent que ça, et qu’elle n’avait pas déjà vu.

Tout va bien.

Je m’isole à nouveau, afin d’éviter de pourrir le visionnage en faisant des petits commentaires taquins (genre « David Boreanaz, depuis qu’Angel s’est arrêté, à chaque fois que je le vois à la télé, je me demande si ça n’est pas une image 4/3 tassée en 16/9e ! »… avouez que c’est emmerdant pour celle(celui) qui suit, il vaut mieux s’abstenir). Je sors de ma torpeur ¾ d’heure plus tard. Ma compagne fait la moue. Je lui demande ce qu’il se passe. Elle me répond qu’elle en est au troisième épisode. Qu’elle ne l’a jamais vu mais qu’elle commence à fatiguer. Elle se demande pourquoi autant d’un coup. Je commence à me demander si c’est vraiment sain, tout ça.

Je vais me coucher.

Pour me réveiller quelques temps plus tard. Je retourne dans le salon. Ma compagne a la bouche mi-close et l’œil humide. De façon robotique, elle m’interpelle sans me regarder. « Ca ne s’arrête jamais. Tu crois que c’est fini, ils te mettent le générique… et là, ils ne coupent pas. Même pas de pub. Tu pourrais regarder ailleurs et te dire : ça va, c’est bon, on arrête, 3 épisodes ça suffit. Mais non, ils en mettent un quatrième… j’en peux plus, je craque, ils ne veulent pas que je zappe ». J’éteins la télévision. J’appelle une cellule de crise. Ils calment ma moitié, lui disant que sur TF1, ils font pire, enchaînant parfois jusqu’à trois heures du matin les procedurals. Qu’ils ont retrouvés des gens qui s’en sont arrachés les yeux, ou qui sont devenus cannibales (des personnes peu résistantes, quand même, ils auraient pu attendre le lendemain).

Bon, je l’avoue. J’ai exagéré. Ma compagne n’a pas craqué nerveusement. Je n’ai pas appelé une cellule de crise. Là où je n’ai pas exagéré, c’est sur la notion de prise d’otage. Notre télévision est aujourd’hui comme ça. On a dépassé le concept des tranches d’une heure et demie pour arriver dans celui de l’accumulation jusqu’à overdose. Aujourd’hui, le but du programmateur est de scotcher le téléspectateur en accumulant son programme favori (ou juste celui qu’il a envie de voir) jusqu’à des heures impossibles, supprimant progressivement la tranche horaire de 22h30.

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Grille de programme d’M6
Exemple de cette semaine avec "Lie to me", réalisé sans trucage (à part le piti carré fluo)

On s’étonne de ne pas voir de programmation type pour cet horaire, mais le problème commence là. TF1 multiplie les « CSI » et autres « Law and Order » à tellement de cases horaires qu’on ne sait plus trop quand est diffusé quoi, pendant que M6 vide ses achats à une vitesse incroyable. Il est presque aujourd’hui impossible de comprendre réellement la logique de la programmation des chaînes. Les rendez-vous sont explosés, ventilés, avec comme exemple la diffusion de « NCIS », un coup le jeudi, l’autre le vendredi, et puis aussi après le spin-off du samedi… on se plaignait il y a presque dix ans du fait de voir les chaînes diffuser les séries dans le désordre, ils arguaient à l’époque d’une raison d’interdiction et d’heures adéquates de diffusions (-12 ans à 20h50, -16 à 22h…), mais ils ont aujourd’hui explosé le système puisqu’ils diffusent toujours dans le désordre mais massivement.

En faisant cela, les chaînes tournent le dos à la notion d’évènement créé par la diffusion d’une série étrangère inédite, la plongeant dans la banalité et la confusion. Cet état a une influence directe sur les fictions françaises, et il ne faut pas s’étonner qu’en répercussion, les chaînes ne sachent plus créer l’évènement pour leurs propres produits.

De plus, cette absence de notion de programmation empêche l’évolution vers une nouvelle ère, en accord avec les standards des autres pays, c’est à dire la diffusion par tranches de 52 minutes. Avouez qu’une soirée « NCIS »/« Bones » ne serait pas une idiotie. Que conserver les rediffs pour les chaînes bis TNT du groupe (W9 pour M6...) non plus. Et, rêve ultime, que cette soirée « NCIS »/« Bones » soit suivie d’une vraie tranche de 22h30, avec pourquoi pas un procédural français ? J’exagère ? Peut-être. Je rêve, plus sûrement.

Post-mortem d’Outcasts (suite... et fin)

Par Emilie Flament.

Il y a quelques semaines, dans le Quinzo 2x10, je décortiquais les failles des premiers épisodes de cette série que je défends malgré le massacre en règles dont elle est victime dans la presse britannique. Maintenant que les 8 épisodes ont été diffusés, et que la BBC a annoncé le non-renouvellement de la série, il est temps de dresser un bilan suite aux ultimes épisodes. !!! Attention !!! La suite est remplie de spoilers si vous n’avez pas vu toute la série !!!

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Je suis déçue qu’« Outcasts » s’arrête. Certes, il y avait des défauts, et pas forcément des moindres, mais le fond était franchement intéressant et commençait à vraiment se révéler. Les 2 premiers épisodes sont perturbants car ils ne correspondent ni aux codes des séries ‘‘classiques’’ ni à ceux des séries de science-fiction. L’équipe artistique a fait des choix pour le moins osés et pas toujours compréhensibles immédiatement : un rythme lent, une lumière inhabituelle, un passé complexe dont on ne révèle presque rien, des menaces que l’on dévoile au compte-goutte... Globalement, il faut au moins regarder les 4 premiers épisodes pour avoir réellement un aperçu de la série qui ne trouve son format qu’à partir du troisième épisode. Chaque épisode d’« Outcasts » se construit autour de l’exploration d’un personnage, récurrent ou non, et les problématiques qu’il expose. L’épisode 5, par exemple, se concentre sur Patrick Baxter, le premier homme à avoir posé le pied sur Carpathia, considéré comme mort depuis son ‘‘coup de folie’’. A travers lui, on en apprend plus sur les ACs, sur la planète et les raisons du confinement à la zone de Forthaven, on découvre également que des humanoïdes ont vécu sur la planète et semblent avoir disparus. En plus de l’intrigue, on décortique les motivations et les conflits des différents personnages principaux. En résumé, un épisode équilibré à l’image de la plupart des épisodes de la série (donc premiers épisodes mis à part !).

Je suis frustrée qu’« Outcasts » s’arrête. Beaucoup de pistes ont été lancées, quelques unes ont été explorées, très peu ont été bouclées. Sur le passé d’abord : on ne sait toujours rien du destin de la Terre, ni même de la vie des personnages principaux avant Carpathia. Sur Carpathia : quelle est cette mystérieuses entité alien ? qu’est-il arrivé aux précédents humains habitant la planète ? pourquoi n’y a-t-il plus de naissances à Forthaven ? Quel marché ont passé les ACs avec l’entité ?
Sur le nouveau Transport en provenance de la Terre : on ne sait pas qui est à bord et quels sont leurs plans pour la planète, même si il semble clair que le changement risque d’être radical. Dans une interview à Den Of Geek, Ben Richards explique que le premier épisode de le seconde saison devait être une grande bataille pour Carpathia qui aurait coûté la vie à plusieurs personnages importants et introduit un nouveau personnage crucial, la commandante du vaisseau, une vraie ‘‘méchante’’.

Mais, je ne suis pas surprise qu’« Outcasts » s’arrête. C’est une série de science-fiction, avec une narration atypique, qui ne mise pas du tout sur l’action et les effets spéciaux. Les audiences ne sont pas décevantes, elles ne correspondent juste pas à celles attendues à cette case. Et pour cause, « Outcasts » est loin d’être mainstream, c’est une série de niche. En tant que telle, elle se défend (même si du coup elle ne justifie plus son budget). Pour moi, la plus grosse erreur ne vient pas de la série en elle-même, elle vient de la BBC qui a mal jugée la série et l’a vendue comme la nouvelle grande série de science-fiction et programmée comme un show grand public. Le pire dans l’histoire, c’est le lynchage dont est victime l’équipe de la série et Ben Richards en particulier. Les critiques sont parfois justifiées, parfois non, et la plupart du temps extrêmement violentes, voire personnelles, alors qu’au final, la série s’en sort honorablement.

Malgré sa courte vie, « Outcasts » aura pour le moins animé le débat. Personnellement, je la regretterai, ayant trouvé dans la majorité de la série de quoi satisfaire mes attentes. Je comprends que ce ne soit pas le cas de tout le monde, et je n’oublie pas non plus les faiblesses du démarrage, mais, après tout, créer un univers en 8 épisodes est un exercice extrêmement compliqué.