PREJUDICES - Saison 1
La société en débat
Par Sullivan Le Postec • 4 février 2007
Totalement singulière dans le monde de la série quotidienne, "Préjudices" était une série policière et judiciaire diablement intéressante.

L’arrivée sur France 2 d’une série quotidienne centrée sur les faits divers avait de quoi faire craindre une sorte de nouveau « Tribunal », statique et sans intérêt...

Mais, en dépit d’un budget dérisoire, « Préjudices » s’avère plus proche d’un « Law & Order », avec qui elle partage quelques points communs tels que les conclusions sous forme de discussion entre les personnages, ou les cartons situant lieu et date de l’action.
L’ambition des auteurs était en effet de se servir des faits-divers pour mettre la société française en débat, au travers de la confrontation des points de vue de quatre protagonistes.

Mathilde Armani (Tadrina Hocking) est une juge d’instruction déterminée et combative, ex-sportive de haut-niveau. Nacer Bessa (Smaïl Mekki), le greffier, est un père de famille rangé. Marie Belmont (Sandrine Rigaux, vue depuis dans les premiers épisodes de « Paris Enquêtes Criminelles ») et Alex Samowicz (Renaud Danner) sont deux lieutenants de police embarqués malgré eux dans un jeu de “je t’aime, moi non plus”.
Ces personnages sont aussi différents que possibles : quatre religions, quatre façon d’envisager le sentiment amoureux, etc. Ils apportent chacun leur grille de lecture aux faits divers qui les amènent à collaborer. Dotés d’une rare liberté par la chaîne et par leur manière de travailler, en équipe à l’américaine, les auteurs peuvent se permettre de faire exprimer de véritables opinions politiques à leurs personnages. Ils s’infiltrent ainsi dans la brèche ouverte par France 3 et « Plus Belle la Vie ».

Les contraintes pesant sur la série, d’origine principalement budgétaires, étaient multiples. Ses créatifs ont cependant veillé à en faire autant d’outils sur lesquels bâtir leur œuvre. Il en va ainsi de l’écriture construite autour des ellipses narratives, qui dynamisent les récits, ou de la réalisation caméra à l’épaule, pensée comme un moyen de voler les images des affaires, au plus près de la « réalité ».
Le grand point fort de la série est aussi qu’elle se bonifie au fil de ses épisodes, notamment parce que ses auteurs se sont montrés à l’écoute de leur public. La réalisation tressautante se pose un peu pour atteindre un point d’équilibre, les scénarios approfondissent leurs explorations de la société, ainsi que la psychologie des personnages principaux, dans la vie desquels on plonge au détour de certaines des affaires les plus marquantes.

Il est d’autant plus dommage, dès lors, que France 2 en ait brouillé la perception par une diffusion douteuse de deux épisodes à la suite qui amena vite à mêler anarchiquement inédits et rediffusions. Sans parler de l’horaire (18h), évidemment pas adapté pour une série adulte qui s’applique à placer son audience face à la société dans laquelle elle vit, dans toute sa complexité.

Finalement, malgré une audience en progression constante, la chaîne préféra bêtement arrêter là l’expérience, sans chercher d’alternative de programmation.

Avec un peu de recul, la réussite de la série est aussi la conséquence de la passion sincère que lui ont insufflée ses auteurs. Celle qui conduit le créateur Michel Reynaud à enregistrer lui-même les voix-off pour économiser ce poste de budget, ou les scénaristes à se réunir bénévolement pour les séances de travail collectif sur les scénarios. Une attitude trop rare à la télévision française, plus habituée à voir scénaristes ou réalisateurs cachetonner pour un média qu’ils méprisent, en rêvant de cinéma...

Post Scriptum

« Préjudices »
France 2, 2006.
Une saison de 115 épisodes de 22 mn
Créateur : Michel Reynaud, Directeur d’écriture : Martin Brossolet, Réalisateur principal : Fréderic Berthe.