PREVIEW – Le Troisième Jour de Bernard Stora
Le scénariste-réalisateur signe une fiction contemporaine et sociale.
Par Sullivan Le Postec • 4 novembre 2010
Bernard Stora fait partie de ces personnalités de la télévision française dont nous suivons la carrière avec attention. Son dernier téléfilm, "Le 3e Jour" est diffusé vendredi soir sur France 2.

Bernard Stora fait partie des grands noms de la fiction française, et aussi des plus prolifiques. Au Village, nous vous avons déjà parlé de la mini-série « Elles et moi » ou du formidable « Suzie Berton ». Et nous vous rapportions récemment le tournage de son prochain unitaire, « Isabelle Disparue ».

Vendredi soir, France 2 diffuse « Le 3e jour », un unitaire de 100 minutes qu’il a réalisé, d’après un scénario qu’il a signé avec la collaboration de Mathieu Fabiani. Ses deux projets les plus récents, « Le Grand Charles » et « Elles et moi » l’avaient conduit à la fiction historique. Il signe cette fois un téléfilm social et contemporain.

Léo Dembélé (Yann Ebongué) n’a pas encore vingt ans, Manon (Lubna Gourion), sa petite amie, en a à peine 18 quand elle accouche d’un enfant de lui. Soucieux d’assumer ses responsabilités, Léo est bien décidé à chercher du travail et à se ranger. Mais comment trouver les mille euros nécessaires à l’achat d’une jolie chambre pour le bébé ? Titi (Jean-Pierre Sanchez), son meilleur copain, connaît le moyen de lui faire gagner de l’argent rapidement. A condition de remettre à plus tard ses bonnes résolutions…

Découvrez la bande-annonce, et des extraits de l’interview que Bernard Stora nous avait accordé en 2008, dans le cadre des Rencontres Internationales de télévision :

Dans l’interview présente sur le dossier de presse, Bernard Stora expose plus avant ses intentions :


A première vue, « Le 3e Jour », film contemporain, social, tourné dans une forme d’urgence, contraste avec vos deux précédentes réalisations, « Le Grand Charles » et « Elles et moi », mini-séries historiques plus ‘‘lourdes’’...

J’avais en effet envie de me renouveler, de retrouver une certaine énergie, en me consacrant à un film plus vif, plus réactif, en prise avec l’actualité. Oser un cinéma plus direct, un cinéma d’intervention, un peu à la manière de ces séries B de la grande époque américaine qui compensaient la modestie de leurs moyens par l’urgence de leur écriture et l’inventivité de leur mise en scène. Le 3e jour a été réalisé dans des conditions proches de celles d’un court métrage, avec une équipe réduite et une petite caméra numérique en décors et lumière naturels. Concrètement, au lieu de quatre ou cinq camions gorgés de matériel, l’équipe n’avait besoin que d’une simple camionnette... Cette légèreté permet d’être davantage concentré sur l’essentiel. Elle favorise une plus grande mobilité de tournage. Elle permet de s’adapter aux événements, de mieux accueillir les imprévus. Elle suppose aussi, bien évidemment, une grande cohésion au sein d’une équipe davantage sollicitée, nécessairement plus polyvalente. J’ai eu la chance, en cela, d’être particulièrement bien entouré et de retrouver des collaborateurs fidèles et enthousiastes, notamment mon chef opérateur Gérard de Battista. Nous avons créé là un véritable esprit de troupe, très amusant, très stimulant.

Qu’est-ce qui a déterminé l’envie d’écrire sur un tel sujet ?

Je suis parti de la lecture d’un article sur le grand banditisme, dont les méthodes de recrutement évoquent à certains égards celles du football professionnel. Dans les cités, les jeunes sont repérés très tôt, parfois dès 7 ans. On les forme en les faisant entrer dans le circuit de la petite criminalité puis, peu à peu, on écrème pour garder les “meilleurs”. Le personnage principal du 3e jour, Léo, est un de ces enfants-là. C’est un bon garçon mais, très tôt, il a commencé à faire des “bêtises”. Et, très tôt, se sont créées autour de lui des solidarités avec des personnes beaucoup plus dangereuses que lui. Il est entré dans leur cercle. Il se retrouve dans leur orbite. Aussi, quand il décide de se ranger (un peu naïvement certes, à la naissance de son premier enfant), la réalité le rattrape... C’est une histoire de fatalité, comme je les affectionne. J’aime beaucoup les films dans lesquels une mécanique se met en route qui, d’un tout petit événement, fait naître de grandes conséquences. Au fond mon premier film, Le jeune marié, racontait déjà cette histoire à sa façon : un homme qui essaie d’échapper à son destin mais que ce dernier rattrape par la manche.

Comme un principe de tragédie antique...

Oui, c’est une tragédie, qui s’annonce dès le départ comme telle. L’accident qui sera fatal à Léo est montré très tôt et sa voix off est comme un récit de l’au-delà. Comme dans toute tragédie, on sait parfaitement que ça va mal se terminer. L’intérêt n’est pas là, dans la chute, mais dans l’enchaînement. Comment en est-on arrivé là ?

Vous abordez, avec cette question du destin et du ‘‘comment’’, l’histoire actuelle de la même manière que, dans « Le Grand Charles » ou « Elles et Moi », vous abordiez la grande Histoire. Quel regard transmettez-vous ?

C’est en effet ce qui me passionne : saisir le “comment”, comprendre “par où ça passe”. L’Histoire ne s’écrit jamais en ligne droite. Elle est toujours une somme de contradictions et de hasards. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’on vit une période de grand doute, comme il a pu
y avoir par le passé des périodes de certitude. Notre société connaît actuellement de nombreux bouleversements et je ne suis pas sûr qu’on les analyse suffisamment finement, que l’on se pose les bonnes questions pour les comprendre. Prenons l’exemple de la criminalité et de la sécurité qui sont au cœur du 3e jour. Ce n’est pas en criant au loup ou à coups de “c’est pire qu’avant” que l’on pourra avancer. Je ne pense pas qu’il y ait plus d’insécurité à l’heure actuelle. Il suffit de relire les romans du XIXe siècle pour s’en convaincre... En revanche, il est plus intéressant d’essayer de voir quelle forme moderne prend cette insécurité.

D’où ce sentiment de légèreté, ces instants de respiration, malgré la gravité du sujet ?

En général, les films de télévision sont axés sur des “grands sujets de société”. En toute bonne foi et avec les meilleures intentions du monde, la majorité de ces films est habitée par un esprit de sérieux absolument paralysant. Il y a, à chaque scène, des panneaux clignotants qui annoncent : “Attention, grand sujet !”. Or, je pense que toute situation, même la plus grave, comporte de l’ironie, de la drôlerie. C’est cet humour qui crée une part d’incertain, qui ménage des marges de flou, des nuances de gris entre le tout noir et le tout blanc. Tout le discours actuel sur les cités est très angoissant et ne rend pas du tout compte, à mon sens, de la réalité de ces cités. Les films qui veulent dénoncer les ghettos ne font bien souvent qu’en perpétuer une vision fantasmée. Quand on y pense, le cinéma des années 1940 et 1950 que nous aimons tant était marqué socialement : il se passait dans les milieux populaires, dans des banlieues familières et identifiées et non pas dans des “cités” anonymes, et encore moins dans des “zones de non droit”. Des banlieues avec leur lot d’histoires de famille, de galères, de fêtes... Il racontait simplement la réalité quotidienne de couches populaires qui vivaient avec leurs maigres moyens. C’est en ramenant ces histoires dans un cadre familier qu’elles peuvent prendre toute leur force.

Comment trouver la bonne distance ?

Le piège à éviter est de vouloir faire un “film à thèse”. Beaucoup de thèmes sont abordées dans le 3e jour : la question de l’immigration, de la responsabilité, des racines, de l’absence de père, de la deuxième chance, etc, mais tous ces thèmes sont inclus dans l’histoire elle-même et répondent à la logique propre du récit. Ce qui conduit le film, ce sont avant tout les personnages, les émotions, les sentiments...

Par cercles concentriques, la structure du « 3e Jour » dévoile peu à peu l’environnement du héros (sa famille, ses amis, les parents de sa copine, l’assistant social, la police, les brigands) et conduit, au final, à un constat plutôt sombre...

Car cette histoire, tragique, débouche sur le sentiment d’un immense gâchis. Quand un pays comme la France connaît de tels problèmes sociaux, on a, quelque part, l’impression qu’on pourrait faire mieux... J’ai écrit le scénario avec Mathieu Fabiani, qui avait notamment collaboré avec moi sur « Suzie Berton ». C’est un homme pour qui j’ai un grand respect. Ancien commissaire de police, il fait partie de ces hommes de terrain, de ces policiers “républicains”, conscients de leur rôle. Et je l’ai vu, au fur et à mesure de sa carrière, de plus en plus découragé par la situation. Dans le film, Léo veut juste “avoir une belle vie”, comme il le dit lui-même. C’est un garçon de bonne volonté, entouré de personnes de bonne volonté. Chacun essaie de faire de son mieux. Simplement, l’enchaînement des choses, la pression sociale, les logiques qui se heurtent, ne lui laissent finalement aucune chance...

Interview de Cyrille Latour / France Télévisions


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Merci à Blue Helium.

Post Scriptum

« Le 3e Jour »
2010 - K’ien productions (David Kodsi) – France Télévisions.
Scénario : Bernard Stora et Mathieu Fabiani. Adaptation et dialogues : Bernard Stora.
Réalisé par : Bernard Stora
Avec : Yann Ebongé (Léo), Etienne Chicot (Commissaire Richaud), Marc Duret (Commissaire Blache), Lubna Gourion (Manon), Doudou Masta (Bouba), Jean-Pierre Sanchez (Titi)…

Vendredi 5 novembre, 20h35, sur France 2