SUZIE BERTON • PLEIN FEUX BERNARD STORA
France 3 ose le thriller provincial du troisième âge. (Et le réussit !)
Par Sullivan Le Postec • 5 janvier 2008
France 3, 2004, 129 min.
Scénario : Mathieu Fabiani et Bernard Stora
Réalisation : Bernard Stora
Avec : Line Renaud, André Dussollier, Daniel Russo.

« Suzie Berton », un téléfilm de France 3 avec Line Renaud en vedette. Vous êtes déjà parti en courant ? C’est peut-être dommage, le thriller du troisième âge de France 3 est sûrement plus intéressant que vous ne pensez...

D’ailleurs si vous n’avez jamais vu ce film de 2004, c’est que vous y mettez une certaine mauvaise volonté : rediffusion en prime sur France 3 le 21 juin 2007 fait suite à une autre sur la même chaîne, à la même heure mais samedi soir, en octobre 2006. Sans compter que « Suzie Berton » était aussi programmée sur 13ème Rue le 23 décembre 2006 et sur France 4 le jeudi 4 janvier 2007 (mais dans ce dernier cas ’’seulement’’ à 23 heures). Dernière redif’ en date, celle de Direct 8 le 3 janvier 2008.

Il faut dire, aussi, que lors de sa première diffusion, le samedi 1er mai 2004, « Suzie Berton » s’était payée le luxe de placer France 3 en tête des audiences de la soirée, devant « Les enfants de la télé » et une variété spéciale Sardou sur France 2. Près de 6 millions de téléspectateurs et une part de marché record pour la chaîne de plus de 27%. Le 21 juin 2007, France 3 reprogrammait elle-même le film en prime-time. Sans doutes la chaîne ne visait-elle pas le même succès un soir de fête de la musique, mais même multi-diffusé, le téléfilm a de quoi tirer son épingle du jeu... à cause de son excellente qualité.

A 67 ans, Suzie Berton (Line Renaud) tient avec une fermeté joviale et maternante un salon de coiffure à Saintes. Certes “pas sortie de la cuisse de Jupiter”, elle s’est tout de même élevée aujourd’hui à la place d’une des bourgeoises les plus en vue de sa ville de province, parmis les notables qui sont de tous les dîners en ville. Un jour pourtant, la police vient l’arrêter au milieu de ses clientes, d’abord sans lui donner d’explications. Suzie en réclame, s’impatiente, fait son numéro. Mais sans jamais vraiment perdre son calme, éternellement maîtresse d’elle-même. De fait, elle pavoise en jouant la victime...
Les explications viendront, quoiqu’au compte-gouttes, pendant sa garde à vue. Au fil d’un bras de fer psychologique entre Berton et l’Inspecteur Ferrand (Dussollier) qui, sans avoir de preuve matérielle, est persuadé que la bonne dame a tué Marco (Daniel Russo), l’amant qu’elle voyait régulièrement à l’insu de tous et qui, dans les faits, tenait plus du gigolo. Une relation complexe, à la fois humiliante, compte-tenu de ses bases malsaines, et confortable pour l’indépendante Suzie Berton. Ferrand a 48 heures, le temps de la garde à vue, son sang-froid, qu’il tente de préserver bien qu’il soit lui-même en train de vivre une séparation, et le soutien d’un dialoguiste hors-pair, pour conclure, à son avantage espère-t-il, le jeu du chat et de la souris auquel lui et Suzie se livrent bon gré - mal gré. Ferrand la pousse tour à tour au mensonge puis, quand il abat ses cartes — soit les preuves matérielles qu’il a rassemblé des différentes rencontres entre Suzie et Marco — la conduit finalement aux aveux. Mais le principal, le seul qui compte vraiment, celui de sa culpabilité dans la mort de Marco, l’obtiendra-t-il ? Car aussi intrigante, menteuse, provocatrice et délicieusement odieuse qu’elle soit, Suzie Berton est-elle vraiment coupable ?

La réussite de ce téléfilm tient à deux choses : une absence rafraîchissante de formatage au service d’un créatif de talent particulièrement lucide : Bernard Stora, réalisateur, co-scénariste et initiateur de « Suzie Berton ». (Tout récemment, il signait aussi l’intéressant « Grand Charles ».)
A l’origine, peu ou prou dix ans avant la première diffusion sur France 3, Stora pense faire de cette histoire un film de cinéma. “Je voulais faire un film sur la parole”, dit-il dans une interview à L’Humanité faite au moment de la diffusion originale, “et qui soit centré autour d’un personnage de femme diabolique. Personne d’autre qu’elle ne pouvait incarner ce personnage”. Or, cataloguée ’’actrice de télévision’’, Line Renaud ne permet pas d’organiser autour de son nom un tour de table de film de cinéma. Qu’à cela ne tienne, le film sera donc de télévision. Mais, en dehors des impondérables que sont la réduction forte du budget et donc du temps de tournage, rares sont pour autant les concessions faites par Stora. Le plus évident à ce niveau est la durée du téléfilm. Deux heures et neuf minutes, dans un monde où l’on est plus habitué à envoyer mathématiquement le générique de fin à la 52ème ou 90ème minute. D’ailleurs, tout récemment, c’est la même France 3 qui laissait libre aux producteurs de « L’Affaire Villemin » le minutage précis de chaque épisode. Une pratique qu’on croyait réservée à HBO ou Canal+ et qu’on aurait peut-être pas pensé à chercher du coté de la chaîne publique du terroir. Nos grilles de programme sont loin du calibrage millimétré de celles des Networks américains. Il est très intelligent de la part de France 3 de laisser ses créatifs se saisir d’une telle liberté - surtout, et c’est le cas pour ces deux fictions, quand ils ont quelque chose à dire.

Face à Line Renaud, un acteur qui, lui, arpente plus volontiers les plateaux de cinéma, André Dussollier. Un ’’coup’’ de casting de dernière minute qui est une autre manière pour Bernard Stora de conquérir du pouvoir et de rééquilibrer les forces dans cet autre bras de fer psychologique qui, en coulisse, occupe en permanence créatifs, diffuseurs et producteurs. Le casting est complété par Daniel Russo, parfait comme à son habitude dans un rôle en flash-back qui tire parti de sa gouaille, élément de respiration supplémentaire entre les scènes de huis-clos très contrôlées par leurs deux protagonistes.
La télévision française s’en offre rarement, des huis-clos. Trop hors-normes. Trop dangereux, aussi : s’il est raté, rien n’est plus soporifique et, donc, en mesure de pousser au zapping. « Suzie Berton » sait prendre le temps d’installer le sien, avec succès parce que la fiction tisse patiemment le fil de ses personnages-adversaires, complexes et passionnants. Le long échange entre Berton et Ferrand, Renaud et Dussollier, est servi par des dialogues exemplaires, face la plus visible d’un scénario par ailleurs sans failles qui tient en haleine son spectateur, pour peu qu’il soit de ceux qui peuvent se passer deux heures durant de fusillades ou de crash d’avions.

Il y a un autre fait remarquable à propos de « Suzie Berton ». La réussite de ce téléfilm est entièrement sienne. Il ne cherche à copier, immiter, importer, “rendre hommage” à personne. Sans singer la fiction anglo-saxonne, définitivement très français, il impose, subrepticement mais implacablement, sa force tranquille.

Post Scriptum

Pour plus d’informations, n’hésitez pas à lire un excellent entretien avec le réalisateur Bernard Stora sur le site web de l’Humanité. Interrogé en avril 2004, peu avant la première diffusion du film, Stora livre aussi une réflexion très pertinente sur la fiction télévisée française.

Dernière mise à jour
le 3 janvier 2009 à 23h53