AVANT-PREMIERE – Mafiosa, épisodes 3x01 & 3x02
Épisodes, 3x01 et 3x02 : la Mafiosa Sandra Paoli revient, soutenue par une écriture de grande qualité.
Par Sullivan Le Postec • 23 novembre 2010
Avant-goût de la troisième saison de « Mafiosa » sur la base de ses deux premiers épisodes. ceux-ci mettent la barre haut, du fait d’une qualité d’écriture rare qui donne vraiment vie aux personnages.

« Mafiosa » revient le 22 novembre pour sa troisième saison. La deuxième aux commandes de laquelle se trouve Eric Rochant, avec Pierre Leccia comme co-auteur. Après une saison 2 de transition, Eric Rochant s’est, cette fois-ci, pleinement réapproprié l’univers de la série.

Commençons par dire les choses simplement : à la base, j’ai un problème avec « Mafiosa », qui n’a pas grand-chose à voir avec la série elle-même. Je déteste les histoires de mafieux. Je ne suis jamais allé au bout du premier « Parrain » sans m’endormir. J’ai dû voir en tout cinq épisodes de la première saison des « Sopranos », dont quatre en me forçant, et ça a été cinq heures d’ennui maximal. Les codes des films de mafieux me paraissent ridicules et inintéressants, sans compter que je n’arrive qu’extrêmement rarement à m’attacher à des personnages de vrais méchants (par opposition à un personnage comme le Nadir de « Pigalle, la nuit » qui roule des mécaniques mais n’est pas fondamentalement si dangereux que cela). Alors, forcément, vous comprenez bien pourquoi, à la base, rien ne m’attire dans « Mafiosa ».

A ce niveau, le virage réaliste pris par Eric Rochant et Pierre Leccia, largement amplifié cette saison, m’aide pas mal. Il n’est en effet plus question pour eux d’écrire sur le fantasme de la Mafia. On redescend de plusieurs crans, en montrant essentiellement des guerres de clans voyous, chaotiques et brutales, et en chassant le folklore et l’imagerie qui me rebutent tant.

Mais si je me suis surpris à m’accrocher, puis à être vraiment passionné, par ces deux premiers épisodes, c’est grâce à une qualité d’écriture qu’on en voit encore rarement en France.

Relancer la machine

Le premier épisode de la saison est un petit peu plus mécanique. Il s’agit avant tout de résoudre la situation créée par le cliffhanger de la saison précédente de la façon la plus rapide possible, ce qui lance l’intrigue de la saison quand on propose à Sandra Paoli, revenue en Corse, de faire amende honorable envers elle en lui vendant 35 hectares sur le littoral Corse, qu’un vote de Conseil Municipal est sur le point de rendre constructibles – et donc très profitables. Mais les Nationalistes, déterminés à préserver l’île, voient évidemment tout cela d’un très mauvais œil, et sont décidés à intervenir.
Parallèlement, où nous présente une autre bande de voyous, qui gagne en importance et en pouvoir, à Bastia. La fille de Jean-Michel, Carmen, est amoureuse de Mikael, le chef de cette bande de jeunes ambitieux.

Mais ce début de saison replace aussi au cœur des thématiques de la série la misogynie brutale qui sévit sur l’île. Rochant et Leccia sont parfois agressifs et dérangeants sur le sujet. Mais au-delà du fait que cet état d’esprit — ce virulent sexisme ambiant — se veut fidèle à la réalité, il sert surtout le propos de la série. En effet, il met d’autant mieux en valeur l’incongruité de voir une femme chef de Clan, comme c’est le cas de Sandra, et donc la force de caractère qui lui est nécessaire pour se maintenir à cette position. Par contraste avec le sort violent fait à presque toutes les autres femmes – à qui les hommes imposent effectivement d’être soit putes, soit soumises – la dureté de caractère de Sandra se voit un peu justifiée, et le personnage en ressort comme adouci.
C’est un peu le cas aussi de Carmen : elle cherche sa propre voie de l’indépendance vis-à-vis d’un père qui, à peine sorti du coma, s’emploie à la chaperonner et à déterminer ce que devraient être tant ses activités que ses relations.

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Ce contexte sert aussi à la définition du personnage de Nader (génial Reda Kateb, qui était déjà brillant dans la saison 2 d’« Engrenages »), grosse réussite de cette saison. Tandis qu’il discute affaires, le frère de son camé de contact tabasse sa copine. Nader réagit avec une violence froide très surprenante, mais qui pose le code moral du personnage... Le temps que le remous se calme, il est envoyé à l’ombre en Corse. Là, il recroise Sandra Paoli, pour qui il pourrait être précisément l’homme idéal dont elle avait tracé les contours au début de l’épisode, tout en étant persuadé qu’il n’existe pas.
« Mafiosa » a toujours eu des problèmes de jeu des comédiens, et une certaine partie du public est, il faut bien le dire, allergique à Hélène Fillières. Mais l’alchimie entre elle et Kateb fonctionne immédiatement : leurs scènes communes sont vibrantes et intenses. Il l’élève et contribue très largement à humaniser et réchauffer le personnage de Sandra.

Des personnages qui vivent

La grande réussite scénaristique de ces épisodes, particulièrement visible dans le deuxième, c’est la manière dont les personnages de la série se voient insuffler ce qui ressemble à une vraie vie. Trop souvent, et c’est particulièrement le cas en France, les personnages sont soumis à l’intrigue. Comme si l’épisode fini était encore sous le diktat du séquencier : les personnages agissent de façon fonctionnelle, concentrés sur ce qui fait avancer l’intrigue.

Rien de cela dans « Mafiosa », saison 3 : les personnages vivent leur vie, et ont réellement l’air d’ignorer la mécanique du scénario. La première scène que Sandra Paoli et Nader partagent ensemble sert à installer leur relation, à montrer l’attirance qui naît du fait qu’aucun des d’eux, malgré leur respect mutuel, n’est prêt à se soumettre à l’autre. Mais pour les personnages, il n’est question que du fait que Nader conduit une voiture qu’il a démarré sans les clefs, et que Sandra refuse de se trouver dans une voiture volée. Quand le patron du Bellagio demande à Manu de se placer sous la protection de Sandra Paoli contre le clan de Mikael, en train d’envahir sa boite, Manu est simplement occupé à tenter d’enseigner comme on fait un vrai bon café serré à un serveur peu doué. Et quand Nader arrive à Bastia, il fait carrément exploser les codes originaux de la série en se foutant ouvertement de la gueule de Manu, à qui il demande de lui faire la célèbre réplique de De Niro...

Comme on l’a évoqué dans notre Preview de la saison, Eric Rochant a fait reposer une partie de la mise en image de cette saison sur l’improvisation, une approche similaire à celle de la série « Friday Night Lights ». Les scènes ainsi proposées sont parfois très intéressantes mais, sur ce point précis, la série nous semble encore un petit peu au milieu du gué. En effet, on n’atteint pas encore la qualité saisissante de réalisme du show sur le football Texan, et de ses acteurs qui butent sur les mots et bégaient comme dans la vraie vie, notamment parce que seule une partie de la série est pour l’instant tournée avec ce parti-pris. En l’absence d’une sensation d’immersion absolue, le caractère anodin des dialogues saute parfois un peu trop aux oreilles et peu donner une impression de pauvreté davantage que de réalisme.
L’intention d’Eric Rochant est d’aller encore plus loin dans ce domaine lors de la prochaine saison, actuellement en écriture toujours avec Pierre Leccia, ainsi qu’avec Aurélie Teisseire (qui était l’assistante des deux scénaristes sur cette troisième saison). On a déjà hâte de savoir où ils pourront emmener la série si elle progresse encore. En attendant, on ne boudera pas notre plaisir devant les épisodes à venir de la saison 3.

Post Scriptum

« Mafiosa » saison 3
Huit épisodes. Images & Compagnie pour Canal +.
Scénario de : Eric Rochant et Pierre Leccia
Réalisation de : Eric Rochant
Avec : Hélène Fillières, Thierry Neuvic, Éric Fraticelli, Frédéric Graziani, Phareelle Onoyan, Joey Starr, Jean-Pierre Kalfon, Reda Kateb, Helena Noguerra...