FICTION CANAL, LE BILAN — Canal et ses auteurs (3/4)
Chapitre 3
Par Dominique Montay • 18 mai 2010
En quatre chapitres, le Village revient sur 5 ans de fictions sur Canal+ sous la direction de Fabrice de la Patellière.

2005 - 2010 : la série dramatique de Canal+, initiée par la première saison de « Engrenages », a cinq ans. L’occasion d’en dresser un premier bilan, en quatre parties. La première est accessible ici. La deuxième là. Et la troisième commence ci-dessous.

Un rapprochement avec le monde du cinéma

« Scalp », « Mafiosa » saison 2, « Braquo », autant de séries qui sont dirigées par un réalisateur qui vient du cinéma. Si, pour avoir souvent travaillé à la télévision et écrit de la série, Olivier Marchal a une réelle légitimité, on est en droit de se poser des questions sur Xavier Durringer pour « Scalp » et Eric Rochant pour « Mafiosa » saison 2.

Le premier le dit lui-même, il ne fait pas de la télévision, il fait “du cinéma à la télévision”. Magnifique non-sens qui prend toute sa dimension à la vue de ses huit épisodes de « Scalp ». Pas de rythme, cliffhangers ratés, équilibrage bancal des intrigues, perte de vue des pistes narratives… « Scalp », c’est un super film de 4 heures avec 4 heures de remplissage, haché menu et super frustrant. Ce n’est pas remettre en cause son talent que de dire qu’il n’est pas fait pour la série et que, de fait, on se demande si le choix de Canal ne s’est pas basé sur sa réputation de cinéaste, plus que sur son expérience dans la construction des séries.

Aller chercher des « novices » ailleurs et ne pas faire confiance aux réels professionnels du métier, c’est exactement ce que va faire Canal sur « Mafiosa », en passant les clés de Hughes Pagan (un nom énorme de la télé) à Eric Rochant, un réalisateur de cinéma qui végète un peu depuis la fin des années 90, après avoir réalisé les très bons « Un monde sans pitié » et « Les patriotes ». Le choix de se séparer de Pagan résultait d’un désaccord artistique majeur, et est totalement compréhensible, mais alors, pourquoi se tourner vers Rochant, qui s’il en a au cinéma, n’a pas de légitimité à la télévision ? Il y avait sûrement d’autres moyens d’avoir Hippolyte Girardot…

Des concepts plus forts que les auteurs

Chez Canal, on aime bien le turn-over. Et s’ils mettent souvent les auteurs en avant pour promouvoir leurs fictions, quand ça ne marche plus, ils n’hésitent pas à couper la tête et la remplacer. Une procédure très rare aux États-Unis, quasi inexistante sur le câble américain mais qui affaiblit encore plus le ou les auteurs principaux d’une série. Et pourtant, nous avons du mal, ici à imaginer ce qu’aurait pu être « Reporters » sans Olivier Kohn, heureusement on y a échappé. Mais on serait proprement atterrés de voir « Pigalle » sans Hadmar et Herpoux.

Si la procédure est étrange, elle est quand même à tempérer, la direction de la fiction n’agissant pas comme des cowboys au premier désaccord. On comprend aisément le changement de direction d’« Engrenages », le résultat se soldant par une hausse considérable de qualité. Sur « Mafiosa », c’est un peu plus obscur. Pour beaucoup, ce qui faisait le charme et l’attrait de la saison 1 a disparu en saison 2. C’est autre chose, forcément. Qu’on le veuille ou non, une série est l’œuvre de son ou ses scénaristes principaux, elle possède son humeur, son ton, sa marque de fabrique, comme un réalisateur “possède” son film au cinéma.

Pas évident de garder une continuité dans ces conditions. Rien que pour cela, et indépendamment du fait qu’il y a des saisons plus faibles, « Engrenages » ou « Mafiosa », avec leur façon de sauter comme un disque rayé d’une saison à l’autre, ne peuvent pas prétendre à être de grandes séries.
Si vous voulez être sûr de ne pas voir votre bébé entre les mains des autres quand vous écrivez pour Canal, il va falloir redoubler d’efforts.

Le showrunner, ça existe, mais...

Vous êtes un scénariste-réalisateur. Vous écrivez 8 épisodes d’une série. Vous les réalisez tout seul. Vous devez avoir un bon fournisseur de produits dopants, quelques anxiolitiques, du bicarbonate de soude pour bien digérer… et une bonne dose de patience. Là oui, vous êtes un showrunner à la française, quelqu’un qui dort peu, qui ne vit pas, mais qui maîtrise artistiquement son sujet.

Vous êtes juste scénariste, vous n’écrivez pas tous les épisodes de votre série feuilletonnante, vous ne les réalisez pas, vous laissez les manettes à un type qui, même s’il a une bonne composition et du talent, change des points de votre scénar en vous prévenant, ou pas (on ne sait pas). Vous avez toujours besoin d’anxiolytiques et de bicarbonate, mais vous n’avez pas les mains libres sur votre propre œuvre.

Canal se vante (à juste titre) de faire des séries différentes, même dans la fabrication, et s’il y a bien un point ou nous estimons qu’il faut qu’il fasse un effort, c’est sur la place faite à l’auteur principal. Canal est dans la meilleure position pour enfin créer le poste de showrunner en France. Mais en ont-ils vraiment envie, et est-ce qu’ils considèrent que ce profil existe dans nos contrées ?

Post Scriptum

La semaine prochaine, revenez pour le quatrième et dernier chapitre, « Diff, promo et avenir »

Dernière mise à jour
le 18 mai 2010 à 04h51